Soutenir la production et le partage d'informations qui contribuent au changement social

Dossier : La politisation des organisations féminines de base

Partis politiques, organisations féminines et société civile : la triple appartenance de certaines femmes militantes  

Dakar, 30 juin (APS) - Les organisations féminines de base au Sénégal ne sont pas politisées, mais des femmes engagées en politique peuvent être membres de ces structures pouvant également se confondre avec des mouvements citoyens, a souligné le journaliste et analyste politique Serigne Saliou Guèye.  
"La plupart des organisations féminines de la société civile s’interdisent dans leurs dispositions statutaires et réglementaires de parler politique dans leurs instances, mais elles n’interdisent pas à leurs membres de militer dans des formations politiques", a-t-il fait observer.  
L’analyste politique rappelle que des femmes membres des mouvements citoyens ont participé aux élections locales de 2014 et aux législatives du 30 juillet 2017.  
Sur la différence entre mouvement citoyen et participation politique, il a estimé qu’on ne peut pas tracer une ligne de démarcation nette entre le mouvement citoyen et la politique, deux domaines entretenant, selon lui, "une relation dialectique".  
Il arrive aussi que les mouvements citoyens arbitrent les conflits politiques et jouent des rôles de régulation, selon Guèye.  
"Malheureusement, au Sénégal, ils commencent à perdre leur véritable vocation puisque 
certaines de ses figures emblématiques ont abandonné le combat citoyen au profit de postes politiques", a-t-il déploré.  
Il est donc nécessaire, selon lui, de faire en sorte que les mouvements citoyens ne deviennent pas "un tremplin, un ascenseur pour gravir des échelons et accéder à des fonctions politiques".  
Serigne Saliou Guèye estime que les organisations à vocation économique, comme les groupements d’intérêt économique (GIE) et les groupements de promotion féminine, sont "de véritables acteurs de développement".  
Les organisations féminines de la société civile estiment qu’elles doivent "s’engager dans l’œuvre de construction et de développement de la société" et s’interdisent, sur cette base, de toute position pouvant être considérée comme partisane, mais elles peuvent, selon Serigne Saliou Guèye, intervenir dans le champ politique pour dénouer une crise entre les partis d’opposition et le pouvoir, par exemple.  
S’agissant des GIE, leurs domaines d’intervention se limitent à la sphère économique, même si elles peuvent faire l’objet de "manipulations de la part des hommes politiques", a souligné l’analyste.  
"Leur poids politique reste relativement faible. Cela traduit une crise de leadership féminin dans les centres de décision. Les femmes qui ont été élues députés sont membres de partis politiques, alors que celles de la société civile n’ont pas obtenu les voix nécessaires pour siéger à l’Assemblée nationale", a-t-il fait remarquer.  
Parlant de l’engagement politique des femmes membres d’organisations féminines, Serigne Saliou Guèye a donné l’exemple de l’ancienne présidente du Conseil sénégalais des femmes (COSEF), Hawa Dia Thiam, qui a été militante d’And-Jëf/PADS avant de rejoindre "Yoonu Askaan Wi" en même temps que plusieurs cadres de son ex-parti.  
Mme Thiam a en outre "occupé un poste ministériel. Pourtant, dans le cadre du COSEF, elle s’est battue pour l’institutionnalisation de la parité", a expliqué le journaliste, pour dire que cette double appartenance ne lui a pas fait perdre sa liberté d’action en tant que femme politique.  
De même, l’actuelle représentante du chef de l’Etat auprès de la Francophonie, Penda Mbow, est également leader d’un mouvement citoyen, alors qu’elle occupe un "poste politique dans l’actuel régime". Mais pour l’analyste politique, l’engagement de Mme Mbow "pour la cause citoyenne ne souffre d’aucune ambiguïté". 

Des organisations féminines de base si proches de la politique  30 juin 2018 à 21h34min 461 1% Tags:  Dakar, 30 juin (APS) – Militantes d’une plus grande participation de la gent féminine à l’économie et aux affaires sociales, de nombreuses femmes se sont ensuite presque naturellement retrouvées dans des mouvements citoyens, si elles n’ont simplement pas rejoint les rangs des partis politiques, lesquels profitent de manière ambigüe de leurs capacités de mobilisation, sans forcément leur renvoyer l’ascenseur comme elles pouvaient s’y attendre.  
Les pionnières dans ce domaine sont parties, à l’époque coloniale, des mobilisations pour l’indépendance pour investir toutes les luttes politiques et sociales jusqu’à celles plus actuelles de l’égalité de genre et de promotion intégrale de la femme au sein de la société.  
Malgré les évolutions contradictoires qui renseignent sur l’importance des enjeux, le militantisme féminin semble intact, les femmes continuant de se mobiliser pour améliorer leurs conditions de vie et exiger leurs droits dans la société.  
"Il y a plusieurs décennies, des organisations féminines ont vu le jour. Certaines icônes de ces 
organisations, dont Annette Mbaye d’Erneville, et Maimouna Kane, sont encore là", rappelle la présidente du Conseil sénégalais des femmes (COSEF), Rokhyatou Gassama.  
Selon elle, ces femmes intellectuelles ont mené de nombreux combats au péril de leur vie, de leur mariage et de leur situation sociale. Elles ont lutté pour l’amélioration de la situation économique des femmes, leur autonomie financière, l’éveil des consciences chez les femmes, le renforcement de leurs capacités, la préservation des liens de solidarité, l’alphabétisation, entre autres questions.  
La participation des organisations féminines du Sénégal à la prise en charge de ces questions "est très importante. La loi sur la parité n’est pas seulement le combat de cette génération, mais celui de plusieurs autres", précise Mme Gassama.  
"Les organisations de femmes ont marqué tous les secteurs d’activité de leur empreinte. Une empreinte indélébile, avec énormément de souffrances, de contraintes et de pertes", a-t-elle souligné.  
--- "Le COSEF n’est ni politique, ni instrumentalisé" ---  
Le COSEF, créé en 2004, milite pour un Sénégal où hommes et femmes participent à la prise des décisions, pour un développement durable, selon sa présidente. "C’est une organisation de la société civile qui n’est pas politique, mais qui travaille avec les politiques. Nous ne sommes membres d’aucun parti politique. Et pourtant, les femmes qui dirigent cette organisation sont en politique", explique sa présidente.  
Elle a donné en exemple l’ancienne présidente Ndèye Lucie Cissé, sixième vice-présidente de l’Assemblée nationale et présidente du mouvement des femmes du Parti de l’indépendance et du travail (PIT).  
Comme Mme Cissé, plusieurs ex-présidentes du COSEF ont milité dans des partis politiques : Hawa Dia Thiam ("Yoonu Askan Wi"), Aminata Faye Kassé (PIT), entre autres. "Je suis fondamentalement de la société civile", précise l’actuelle présidente du COSEF, assurant que son organisation n’est pas instrumentalisée par les politiques.  
La Fédération des associations de femmes du Sénégal (FAFS), organisation créée en 1977 par la journaliste Annette Mbaye d’Erneville, sur la base de sept autres associations féminines de l’époque, fait valoir un point de vue quelque peu identique.  
"Je suis contre l’idée que les associations féminines ne font pas de la politique. Nous faisons toutes de la politique, mais c’est la politique de développement qui domine", soutient Ndiouck Mbaye, présidente de la FAFS, qui est constituée de 450 associations basées dans les départements du pays.  
Mme Mbaye rappelle que la structure qu’elle dirige est "la première organisation féminine créée au Sénégal par des femmes intellectuelles", sous le règne du premier président sénégalais, Léopold Sédar Senghor (1960-1980).  
"Aujourd’hui, toutes les couches sociales s’y retrouvent pour travailler et réfléchir ensemble, de manière solidaire, sur la situation de la femme et y apporter des solutions, pour faire la promotion de la femme, pour l’émergence du pays", dit-elle, derrière son bureau embellie des 
photos de plusieurs responsables de la FAFS, au siège de la structure, à Sacré-Cœur 3, à Dakar.  
La FAFS bénéficie de certains privilèges dont un siège au Conseil économique, social et environnemental (CESE). "Mais nous ne faisons pas de la politique", a insisté cette conseillère municipale à Kaolack, une commune du centre du Sénégal.  
Ndiouck Mbaye assure que "la FAFS mène beaucoup" d’activités sociales et ne compte pas se détourner de ses objectifs premiers. "Notre bilan est positif. Nous sommes exemplaires. Nous avons travaillé sur le Sida. Nous avons financé des femmes. Nous avons beaucoup travaillé sur le volet social, ce que nous faisons jusqu’à présent", dit-elle.  
--- "Je fais de la politique et je l’assume" ---  
Si la FAFS qu’elle dirige se veut apolitique, Mme Mbaye ne cache pas son engagement politique et son soutien à l’Alliance pour la République, le parti au pouvoir, à travers la Fédération nationale des femmes rurales du Sénégal, une structure qu’elle a mise en place en 2004.  
Cette association constituée de 302.000 femmes milite pour la réélection du président Macky Sall en 2019. "Je fais de la politique. Nous le soutenons parce que durant l’hivernage, le président nous donne des intrants agricoles : des semences, de l’engrais et des tracteurs, dont on a besoin pour entretenir nos cultures", justifie-t-elle.  
"En réalité, je crois qu’aucune association ne peut prospérer sans faire de la politique. On ne peut pas bénéficier du soutien de quelqu’un et ne rien lui donner en retour", lance Ndiouck Mbaye, sourire en coin.  
La présidente du Réseau des jeunes femmes entrepreneures du Sénégal (REJEFE), Fatoumata Fall, reformule la question autrement : "Aujourd’hui, affirme-t-elle, dès qu’une association travaille sur des problématiques, même si elle ne fait pas la politique politicienne, elle fait de la politique de développement."  
"Nous voulons aider notre pays à se développer, la politique nous intéresse forcément", tranche Mme Fall, s’empressant d’ajouter que la structure qu’elle dirige demeure malgré tout "apolitique".  
Les membres du REJEFE, dont le bureau se trouve en plein centre-ville de Dakar, ne sont militants d’"aucun parti politique, mais néanmoins, nous sommes intéressées de savoir qui dirige notre pays. Nous sommes patriotes et citoyennes", insiste Fatoumata Fall, rappelant que l’objectif du réseau est de faire la promotion de l’entrepreneuriat féminin.  
--- ‘’Nos membres font individuellement de la politique’’ ---  
A Thiaroye Azur, dans la grande banlieue dakaroise, la conseillère de l’Union nationale des femmes coopératrices du Sénégal (UNFCS), Amsatou Thiaw Cissé, assure également de la neutralité de sa structure, "apolitique" comme les précédentes. "Nous ne militons pour aucun parti, mais nos membres soutiennent individuellement" des partis, précise-t-elle.  
Des Sénégalais rencontrés au hasard des rues de Dakar donnent leur avis sur les organisations féminines. Ils semblent partagés sur la perception que l’on peut avoir de ces organisations 
féminines et de leurs actions.  
Ngagne Fall, rencontré Place de l’indépendance, près du ministère des Affaires étrangères, estime qu’il y a une différence perceptible entre les organisations féminines engagées dans les actions de développement et celles dites citoyennes.  
"Ces dernières ont le privilège de se rapprocher de l’Etat. C’est souvent elles qui sont beaucoup plus intéressées ou susceptibles d’être récupérées politiquement par l’Etat. Les autres organisations exclusivement consacrées au développement n’ont pas ce problème", soutient-il.  
Le cinquantenaire ajoute, réajustant la monture de ses lunettes, que "les dirigeantes récoltent les dividendes" que ces organisations peuvent éventuellement tirer de leur rapprochement avec les politiques.  
"Si le parti au pouvoir sent qu’il y a beaucoup de monde derrière un mouvement féminin, il va tout faire pour avoir la tête de la structure, c’est-à-dire sa présidente, sa coordonnatrice, etc.", argumente-t-il, avant de donner en exemple la configuration actuelle du CESE.  
"Il y a beaucoup de femmes qui sont là-bas, qui avaient dirigé des mouvements citoyens. Compte tenu de leur poids en termes de membres, l’Etat essaie de faire un petit rapprochement en les nommant" au sein de ces instances, analyse-t-il.  
Selon M. Fall, les membres simples de ces structures "ne posent pas problème, mais ce sont les dirigeantes qui récoltent les fruits d’un rapprochement avec les pouvoirs publics ou d’autres organisations politiques".  
La dimension politique des organisations féminines "est réelle dans la mesure où l’Etat s’est doté d’un ministère de tutelle pour mieux accompagner leur structuration, notamment en matière de renforcement des capacités de gestion et des modes de financement", fait observer Ibrahima Bâ, se détournant un moment de la discussion qu’il entretient via le réseau social WhatsApp.  
M. Bâ estime que "la place de la politique est mieux marquée au sein des groupements féminins, dont certains sont dirigés, voire contrôlés, par des femmes militantes de partis politiques".  
Avec la multiplication, selon lui, de chartes et conventions internationales sur le genre, "les politiques ont très tôt compris l’importance d’avoir des structures féminines dynamiques en leur sein", poursuit M. Bâ.  
"C’est doublement gagnant, les femmes organisées en groupements d’intérêt économique font du développement et gagnent leur vie", les politiques de leur côté "trouvent dans ces structures un potentiel électoral et de mobilisation non négligeable", conclut Ibrahima Bâ. 
 

La politique est une activité centrale dans les organisations féminines (socio-anthropologue)

Dakar, 30 juin (APS) - La socio-anthropologue Fatoumata Hane juge "centrale" la place de la politique au sein des organisations féminines du Sénégal qui, selon elle, constituent des structures "politiquement engagées", sans occulter le rôle prépondérant qu’elles ont joué dans les mouvements de lutte pour la citoyenneté et les droits des femmes en général.  
"La politique est centrale dans leur fonctionnement. Plus l’accointance entre les leaders politiques et les responsables d’organisation est forte, plus ces organisations vont pouvoir mobiliser des ressources et bénéficier des +largesses+", soutient Mme Hane, directrice de l’Institut supérieur de l’enseignement professionnel (ISEP) de Bignona (sud).  
"L’engagement dans les organisations féminines apparaît, pour les femmes, comme une forme de légitimité dans le champ politique", ajoute-t-elle.  
"La corruption politique (…) est amplifiée par des financements octroyés et des promesses faites aux organisations féminines", affirme-t-elle, quand on l’interroge sur le rapport de la gent féminine à ce fléau.   Mme Hane fait toutefois part d’avancées "significatives" dans le positionnement des femmes dans le jeu politique, puisque ces dernières "constituent un poids électoral important", dans la mesure où elles représentent près de 53 % de l’électorat sénégalais.  
  En conséquence, leur engagement sur le terrain de la politique "semble être la [conséquence] de leur capacité à se mobiliser en réseaux et à s’inscrire dans des dynamiques collectives. Cependant, constate-t-elle, malgré le vote de la loi sur la parité" en 2012, "les femmes restent faiblement représentées dans les instances de décisions".    S’y ajoute que les associations de femmes au niveau local continuent d’être les bases de recrutement des politiques.  
Les femmes leaders sont souvent cooptées par les partis politiques qui en font les têtes de file des mouvements de femmes, fait observer la socio-anthropologue.   Toutefois, les organisations de femmes "investies dans la bataille de l’égalité des sexes s’activent dans les organisations de la société civile, en s’éloignant d’une certaine manière du jeu politique, tout en essayant de l’influencer", constate Fatoumata Hane.    Interpellée sur le "rapprochement entre le combat politique et le combat pour l’autonomisation des femmes", elle a estimé que les luttes en faveur du droit des femmes et de l’égalité des sexes sont souvent portées par des figures féminines actives dans le champ de la société civile et qui se défendent d’être des politiques.   Selon la directrice de l’ISEP de Bignona, la mobilisation collective des femmes est souvent analysée comme une conséquence de l’évolution de la vie politique des pays africains.    Pourtant, relève-t-elle, une approche sociohistorique permet de se rendre compte de leur rôle central dans les mouvements de lutte pour la citoyenneté et d’autres problématiques les concernant.   Ce rôle est resté longtemps ignoré et parfois faiblement documenté, a déploré Fatoumata Hane, ajoutant que des figures féminines rarement citées ou peu connues ont joué un rôle jugé déterminant sur ce plan et ont émergé dans des contextes nationalistes pré-indépendance.   Ces dernières décennies, souligne la socio-anthropologue, la reconnaissance de la contribution des organisations de femmes à la résolution des problèmes liés au sous-développement économique font qu’elles sont "très bien perçues".    "Aujourd’hui, avec les programmes de lutte contre la pauvreté, on remarque une implication importante des femmes au point qu’il est possible de voir qu’elles sont devenues des actrices de développement local de premier plan", a-t-elle souligné.   Selon Mme Hane, des femmes ont fait émerger "des pratiques économiques nouvelles", ainsi que "des dynamiques locales importantes" qui fondent la reconnaissance sociale des organisations féminines de base.