Bien présentes sur le terrain politique, les jeunes militantes sont souvent reléguées au second plan dans les partis, malgré leur militantisme sans faille. Hormis les mouvements et coordinations de jeunesses féminines réservés de facto aux jeunes dames, elles occupent souvent, dans les bureaux politiques, instances suprêmes des partis, dans le meilleur des cas, le poste de deuxième ou troisième adjointe derrière des hommes. Cependant, la majorité des personnes abordées reconnaissent qu’elles assurent la mobilisation et l’animation des partis au Sénégal. Au-delà de la volonté des hommes de les cantonner à ces fonctions, les femmes de manière générale s’auto-excluent de la prise de décision. C’est ce qui ressort des entrevus entre Le Quotidien et des jeunes militants de l’Alliance des forces de progrès (Afp), du Parti démocratique sénégalais (Pds), de Pastef Les patriotes et de Rewmi. Mais aussi des analyses du journaliste-politologue Yoro Dia et de la sociologue Selly Ba sur la question.Un après-midi frétillant au siège de l’Alliance des forces de progrès (Afp) à Sacré-Cœur 1. Que de convivialités au niveau de la porte et dans l’enceinte de cette demeure, lieu de ralliement depuis quelques heures, de jeunes militantes et cadres de l’Afp. Sur l’une des façades du bâtiment est suspendue l’effigie de Moustapha Niasse, Secrétaire général de cette formation politique. La cour de la maison est occupée par les jeunes filles qui ont fini de dresser tables et chaises pour tenir leur rencontre. Parmi les points à débattre figurent l’organisation d’un panel et la tenue d’un «sabar» des jeunes militantes de l’Afp. La rencontre a du mal à prendre véritablement son envol. Chaque nouvelle arrivée renforce cette ambiance chaleureuse. L’on se donne alors des accolades, des tapes amicales tout en appréciant le teint de l’une, la coiffure de l’autre, les tenues dans la majorité à l’occidentale. Et l’on rit, et l’on exclame et l’on se partage des astuces pour avoir un teint plus brillant, une peau plus lisse… Entourée de ses sœurs de parti, la présidente de séance est parvenue avec beaucoup d’efforts à passer aux choses sérieuses. La réunion aura duré moins d’une heure et la question du «sabar» aura suscité tellement de réactions que le choix du lieu a été renvoyé à une autre rencontre. Si les unes proposent la cour du siège, les autres préfèrent un cadre plus luxueux. Enfin libérée de ses sœurs, Ndèye Maguette Lô, la trentaine révolue, présidente du mouvement des jeunes femmes de l’Afp à Dakar, se penche sur la question de la participation des jeunes militantes. Mlle Lô cherche ses mots, hume ses lèvres, fonce les cils, manient ses mains. Le regard perdu, elle lance dans une voix timide : «Celles qui se battent occupent des postes de responsabilité. A l’Afp, les jeunes femmes sont représentées dans toutes les instances de décision, même au sein du Bureau politique qui est l’instance suprême. Elles sont aussi au secrétariat exécutif.» Toutefois, la jeune progressiste n’a pas en tête la composition du Comité exécutif de son parti, encore moins le nombre de jeunes femmes qui y figurent. «L’engagement sans faille des jeunes militantes n’est plus à démontrer en politique», défend Ndèye Maguette Lô. Un rapport de l’Observatoire national la parité (Onp) sur la Loi sur la parité de décembre 2016 indique que plus de 7 millions de Sénégalais sont des femmes, soit 51,9% de la population totale du Sénégal. Mais ce document ne précise pas le niveau d’implication ou le rôle joué par la gent féminine encore moins la composante juvénile de celle-ci dans les partis politiques. La présidente du mouvement national Jiguenou Pastef (Les femmes de Pastef) observe de plus en plus un engagement des filles en politique. «Mais est-ce pour occuper les places qu’il faut ? Est-ce pour jouer un rôle prépondérant ? Est-ce pour vraiment ce qu’on attend d’elles en politique ?», s’interroge Maïmouna Dièye, présidente du mouvement national des femmes de Pastef, qui ne s’aurait répondre par l’affirmative à ces questions. Eprouvée par les petites rencontres individuelles ou par de petits groupes avec de nouveaux adhérents, les interviews accordées une heure avant dans le cadre du 8 mars cumulées à son travail professionnel, Madame Dieye salue la bravoure malgré leur jeune âge et la participation des jeunes militantes à Pastef. A la permanence Omar Lamine Badji du Parti démocratique sénégalais (Pds) sise à la Voie de dégagement nord (Vdn), à deux ou trois, les Libéraux discutent naturellement de politique et de tout dans la cour, d’autres suivent les informations sur le poste téléviseur installé dans le hall en face du poste du réceptionniste. La présidente de la commission féminine nationale de l’Union des jeunesses travaillistes libérales (Ujtl) du Pds, Marie Sow Ndiaye, très engagée sur le terrain politique, et qui avait fait l’objet d’une arrestation par les agents de la gendarmerie, lors de la marche de l’opposition pour le départ de Aly Ngouille Ndiaye du ministère de l’Intérieur, évoque la participation politique des jeunes femmes.
Son avis sur la question ne souffre d’aucune équivoque. «La jeunesse est bien représentée au Parti démocratique sénégalais, surtout la jeunesse féminine. On n’est pas là juste pour la mobilisation. Pratiquement, on siège là où les grands responsables siègent. Ce n’est pas pour rien que depuis 1974, la présidente de la commission féminine est toujours investie numéro 2 pour les élections législatives», fait savoir Marie Sow Ndiaye. Cette jeune députée libérale renseigne sur le positionnement de ses «sœurs» sur les listes de leur parti lors des joutes électorales. «Le Pds avait 25 femmes têtes de listes dont deux jeunes femmes lors des dernières élections législatives de juin 2017. Pikine, Kolda, Bignona (…), sont des localités dirigées par des jeunes dont des jeunes femmes». Cependant, Marie Sow Ndiaye informe que le Pds n’a qu’un seul maire femme, en l’occurrence Rokhaya Diouf de Guinguénéo, et elle demeure la seule jeune femme députée du Groupe liberté et démocratie dirigé à l’Assemblée nationale par la formation libérale. Il faut rappeler que la Législature actuelle compte 69 femmes et 96 hommes avec une moyenne d’âge de 54 ans. Selon Enda Lead Afrique francophone, avec la nouvelle législature, 4 jeunes femmes seulement ont moins de 35 ans sur 165 députés. Alors qu’au niveau du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct), on remarque qu’il y a 31 femmes élues et 19 femmes nommées, soit 33% de l’effectif global du Hcct ou le tiers (50 sur 150). Le même déséquilibre est noté au Conseil économique, social et environnemental (Cese) où l’on enregistre 25 femmes et 96 hommes, soit 20,7% de femmes. Même si Rewmi est en instance de renouvellement, les jeunes femmes y occupent de manière générale les seconds rangs, à l’image de ce qui se pratique dans beaucoup de partis politiques. Mariétou Dieng Gadiaga, responsable politique de Rewmi pour la commune de Malika et au niveau du département de Pikine, par ailleurs membre du Secrétariat national des jeunes de Rewmi, ne dit pas le contraire : «Tous les responsables avaient des adjoints jeunes filles et garçons.» Cependant, Mariétou n’y voit pas beaucoup d’inconvénients, puisque même reléguées au second plan, les jeunes femmes occupent des responsabilités. Par ailleurs, la responsable politique de Rewmi de Malika soutient mordicus que le temps où les politiciens utilisaient les jeunes filles est révolu.
Même si elles n’ont pas les mêmes sensibilités et visions politiques, la majorité des jeunes militantes partagent deux sentiments paradoxaux : être à la fois bien traitées et reléguées au second plan dans leur parti au moment de la prise de décisions. «Je ne me sens pas du tout utilisée, mais responsable au même titre que les hommes du parti. Ici, on ne donne à personne 2 mille ou 5 mille francs pour mobiliser et remplir les cars. Grâce à nos idées, à nos pensées, à nos valeurs, nous parvenons à mobiliser et apporter quelque chose au parti», renseigne la jeune Dieynaba Seck, militante du parti Pastef Les patriotes. Les responsables politiques sont souvent accusés à tort ou à raison de distribuer de l’argent, notamment aux femmes et aux jeunes pour les motiver à prendre part aux meetings politiques. Son jeune âge n’empêche guère Dieynaba Seck de souffrir du traitement réservé aux filles dans les partis où elles militent. «Je remarque et je regrette que la femme soit reléguée au second plan au Sénégal, de manière générale. Mais nous sommes en train de renverser la tendance. Ce ne sera pas chose facile. Il nous appartient en tant que jeunes filles de changer la donne», sensibilise la jeune militante de Pastef.
Touba est une ville du Sénégal, capitale de la confrérie musulmane des mourides, située à 194 km à l’Est de la capitale Dakar dans le département de Mbacké, région de Diourbel. Il s’agit de la deuxième ville la plus peuplée du pays avec plus de 700 mille habitants, après la capitale Dakar. Mais à Touba, qui est une ville religieuse, comme à Mbacké sa voisine, les pesanteurs socio-culturelles modèrent la participation politique des femmes de manière générale. Elles semblent exclues de la prise de décisions. Sur les cinq députés du département de Mbacké, il n’y a qu’une seule femme en l’occurrence Fanta Diop, députée du Pds, qui est une femme âgée. Par contre, l’on n’y compte pas de maire femme, ni de présidente de Conseil départemental. C’est à Touba où le Khalife général des mourides est l’autorité morale, que la parité a été mise à rude épreuve aux élections locales de 2014, puis aux Législatives de juin 2017. Responsable de l’Union des jeunesses travaillistes libérales (Ujtl) à Taïf, commune située à 28 km de Mbacké, Fatima Saliou Sène, la voix éteinte, souligne toute la complexité d’être jeune fille célibataire et militante politique, de surcroît membre d’une famille maraboutique. «On entend du tout mais on gère, parce qu’on aime la politique et on a des ambitions politiques», confie-t-elle. Fatima, qui fait le tour de sa ville d’origine pour des réunions de massification du Pds avant de regagner Dakar où elle réside, regrette que les filles ne s’intéressent pas beaucoup à la politique au niveau de Mbacké. A titre d’illustration, le bureau politique de l’Ujtl à Taïf par exemple ne compte que 10 filles sur un total de 25 membres. Pourtant, témoigne le coordonnateur départemental de la Convergence des jeunesses républicaines (Cojer) de Mbacké, la jeunesse féminine assure toutes les mobilisations avec en bandoulière un engagement et une fidélité sans faille vis à vis de leur parti et leader politique. Toutefois, Serigne Saliou Faye observe une absence de leadership féminin chez ses jeunes camarades et voisines, dans les débats intellectuels. «C’est dû à un manque de responsabilisation qui s’explique par les caractéristiques de notre localité. On leur (les femmes) confie la mobilisation mais je suis convaincu qu’elles peuvent mieux faire», confie le jeune responsable politique. Alors que l’école coranique demeure un passage obligé pour tout enfant, fille comme garçon, les habitants du département de Mbacké n’accordent pas beaucoup d’importance à la scolarisation des filles. Ici, note la responsable de l’Ujtl de Taïf, «les filles sont données tôt en mariage. Il est mal vu que les femmes abandonnent leur foyer pour aller à des réunions politiques». Toutes choses qui, selon Fatima Saliou Sène, entravent les ambitions politiques des filles dans son département. La jeune responsable de l’Ujtl de Taïf avoue par ailleurs les limites financières des filles pour mieux servir au niveau de sa base politique. «Tout le monde sait qu’au Sénégal, on ne peut faire de la politique avec des mains vides. Nous sommes trop sollicitées et attendues sur beaucoup de choses. Il faut participer aux dahiras, présenter des condoléances par-ci, des mariages et baptêmes par-là et tout cela demande des moyens. Les gens ne comprennent pas qu’il n’y ait pas de budget dédié à cela», se plaint mademoiselle Sène. Même si elle est convaincue que sa voix compte au sein du Pds, elle estime tout de même qu’il est temps d’accorder plus de confiance, de place et de responsabilités aux jeunes et aux femmes.
Au Pds comme à Pastef, le maître mot concernant la jeunesse, c’est la formation. Il s’agit là d’un soubassement important pour l’avenir de tout jeune politicien. «Ce qu’on voudrait, c’est réanimer l’école du parti pour pouvoir bénéficier des savoirs de maître Wade qui nous a laissé pas mal de choses à découvrir, à apprendre pour mieux cerner le Sénégal, pour mieux travailler pour le Sénégal», souligne Marie Sow Ndiaye de l’Ujtl. Dieynaba Seck de Pastef a également soif de connaissances. «Nous avons besoin de savoir pour mieux servir le parti et, au-delà, le pays. Le savoir, c’est le pouvoir.» «Il est important d’impliquer les jeunes, si l’on veut changer les choses dans ce pays», renchérit la présidente du mouvement des femmes de Pastef, Maïmouna Dièye.
Les jeunes et les femmes souffrent toutes du même mal : se faire entendre dans les instances politiques. Ce fait n’est pas une spécificité sénégalaise. En Afrique, alors que les jeunes de moins de 30 ans représentent environ 70% de la population, ils ne sont que 1,5% à être parlementaires selon les recherches de l’Uip (Union interparlementaire 2017). Bien que cela soit souvent dû à des perceptions telles que le manque d’expérience. Dans de nombreux pays africains comme le Sénégal, la limite d’âge pour être candidat notamment à la Présidentielle (35 ans) représente une vraie barrière alors que la population sénégalaise est essentiellement constituée de jeunes, avec un âge moyen de 19 ans. Si l’absence de formation et de qualification professionnelles n’exposent pas les filles à l’exploitation, ces maux freinent le plus souvent leur élan politique. A ce propos, Serigne Saliou Faye de la Cojer à Touba donne une réponse ambiguë : «Je ne peux ni le nier ni le confirmer. Quand il y a une activité politique, on les cantonne dans la mobilisation et l’animation en leur donnant des tee-shirts. Mais, on les consulte pour recueillir leur opinion sur chaque situation ou décision à prendre.» Même si les choses bougent, les interdits religieux et coutumiers sont tels que les femmes s’auto-excluent elles-mêmes du pouvoir, pour laisser libre cours aux hommes dans la prise de décisions. «La tradition à Touba et Mbacké veut que les femmes laissent la prise de décisions aux hommes. Les femmes ont intériorisé cela et l’ont accepté de facto», témoigne encore Serigne Saliou Faye.
La politique étant par excellence un domaine de confrontations d’idées, d’opinions et de positionnement, les jeunes militantes éprouvent des difficultés à faire face aux jeunes hommes dans les débats intellectuels. Ce constat fait par bon nombre de Sénégalais est partagé par M. Zator Mbaye, président du mouvement des jeunes de l’Afp. A l’en croire, les jeunes militantes manquent de sérieux dans leur militantisme politique. «Elles doivent être sérieuses, conscientes de leurs rôles, ne pas jouer des rôles d’hôtesse, de faire-valoir ou d’animatrice, mais jouer des rôles éminents dans la prise de décisions au sein des appareils politiques, peser en termes de mobilisation et jouer également un rôle éminemment scientifique et intellectuel», préconise le président du mouvement national des jeunes de l’Afp. Son opinion n’est pas la même que celle de Marie Sow Ndiaye. «L’opinion va en juger, mais les jeunes militantes du Pds ravissent la vedette aux autres sur les plateaux télévisés et autres émissions. Donc, le Pds a la ressource et l’exploite à merveille», se glorifie la jeune députée libérale.