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ASCENSION DES FEMMES AU POUVOIR : Les premières heures de la révolte

L’engagement politiques des femmes date du temps de Lamine Guèye. Et malgré le peu de responsabilités qui leur est accordé, les revendications pour plus de responsabilisation dans les instances de décisions remontent aux années 50.

 

Les femmes ont du mal à arriver à un certain niveau de responsabilité dans la vie publique. Et la raison est à chercher ailleurs que dans leur engagement. Elles ont été les premières à se battre, avant même l’indépendance du Sénégal. Dans son mémoire de Diplôme d’études approfondies (DEA) intitulé ’’Contribution à la réflexion sur la participation des femmes sénégalaises à la vie politique de 1945 à 2001’’, Seynabou Ndiaye Sylla soutient que le début de l’année 1945 marque le démarrage de la campagne en faveur du vote des femmes sénégalaises, accentuée par l’imminence des élections générales annoncées pour la période postérieure au 1er avril 1945. Les femmes ont commencé à se réunir sur le plan politique sous Lamine Guèye. Selon l’auteur, celui qui est considéré comme le fer de lance de cette bataille politique n’est autre que le premier avocat noir de l’Afrique française au sud du Sahara et leader de la Fédération socialiste S.F.I.O du Sénégal, en l’occurrence Me Lamine Guèye.

A partir de janvier 1945, relève la rédactrice du mémoire, Me Guèye s’investit ouvertement dans la défense du droit de vote des femmes nées dans les 4 communes de pleins exercices (Gorée, Dakar, Saint-Louis et Rufisque) au nom de l’égalité devant les lois entre les citoyens d’une même République. ‘’Une femme renommée par sa notoriété et sa capacité de mobilisation avait déjà déblayé le chemin de sa vie politique à ses débuts à Saint-Louis. C’est sa cousine Soukeyna Konaré qui marqua fortement l’histoire politique des femmes dans la ville de Saint-Louis du Sénégal, du fait de la position stratégique qu’occupait l’ancienne capitale de l’Afrique occidentale française. Elle tient sa popularité du rôle de premier plan qu’elle a joué dans l’affirmation de son cousin Lamine Guèye comme leader politique’’, lit-on dans le mémoire.

‘’Si tu recules, donne-moi ta place et tu verras comment une femme se conduit’’

Soukeyna Konaré fut à l’origine de la mobilisation de l’électorat féminin à un moment de l’histoire politique du Sénégal jugé décisif et où l’élite africaine exigeait d’assumer le pouvoir politique en lieu et place des métis et des Européens. ‘’Tous les ténors de l’arène politique de Saint-Louis cherchèrent la collaboration de Soukeyna Konaré parmi lesquels on peut citer : Blaise Diagne, Galandou Diouf, et surtout son cousin Lamine Guèye au côté duquel elle donna toute la mesure de son engagement. L’Association ‘’Soukeyna Konaré’’ du nom de la présidente de cette structure organisait des soirées dansantes suivies de thé, pour soutenir la campagne politique de son cousin Lamine Coura Guèye. Déjà en 1930, lors d’une réunion politique, Soukeyna Konaré exhortait l’orgueil de Lamine Guèye en lui disant : ‘’Si tu es le digne descendant de Bacar Waly Guèye, tu ne devrais pas avoir peur… si tu recules, donne-moi ta place et tu verras comment une femme se conduit’’, raconte-t-elle dans son document.

L’effervescence à Dakar va débuter avec la réunion organisée par le comité des femmes indigènes, le 5 mars 1945, dans le quartier Fakk Dieuff, situé au centre-ville.  Les femmes exigent leur participation au vote ou la suppression tant pour les citoyennes françaises de la métropole et des départements français que pour celles de passage dans les colonies.

‘’Contrairement à Dakar, Saint-Louis redouble d’ardeur en organisant meeting sur meeting. C’est dans cette ville que la détermination dans la lutte sera la plus perceptible en raison de la position sans équivoque de la municipalité et des associations patriotiques. Dans le cadre de ces manifestations pour le droit de vote des femmes, les agents des services de sûreté vont espionner les faits et gestes des populations et tiennent informées les autorités de l’évolution de la situation. C’est ainsi que le Cabinet du Gouvernement du Sénégal s’est vu adresser un courrier estampillé ‘’confidentiel’’. Dans cette correspondance secrète, il est fait état d’une réunion publique qui s’est tenue à Ndar-Toute dans la cour de l’école Alfred Dodds. On y comptait environ 200 femmes’’, relate le document. Amadou Cissé, président de la Délégation municipale, prit le premier la parole pour inciter les femmes à venir nombreuses au meeting de protestation qui sera organisé le lendemain dans la salle de cinéma REX à Saint-Louis, ajoute la source.

20 ans de participation pour un poste de député

Au vu de cet engagement, se pose alors la question de savoir pourquoi les femmes sénégalaises peinent à figurer dans les instances de décisions. La réponse est sans doute dans la forme de la mobilisation. Pendant plusieurs décennies et même jusque-là, en dehors d’une petite poignée, les femmes se mobilisent en masse, non pas pour elles-mêmes, mais derrière les hommes, destinataires principaux des fonctions politiques et étatiques. Le rôle des femmes, la plupart du temps, se limite à rythmer la vie des partis par des tenues d’hôtesse, la danse et les applaudissements.

Il en a toujours été ainsi depuis les premières heures du militantisme. Lors des élections municipales du 1er juillet 1945, les résultats sont venus sans surprise confirmer le rôle éminent des femmes sénégalaises sur la victoire éclatante de Lamine Guèye. Sur un total de 16 900 inscrits dont 3 066 femmes indigènes et 845 européennes, 9 800 ont rempli leur devoir de citoyen. Lamine Guèye avait 8 590 voix, suivi d’Alfred Goux avec 951 voix et enfin Graziani avec 240 voix. Lamine Guèye est élu dès le premier tour en battant son suivant Goux de 7 539 voix.

Malgré cette participation décisive, dès 1945, il faut attendre près de 20 ans après, c’est-à-dire 1963, pour voir la première femme sénégalaise en la personne de Caroline Faye Diop accéder à l’Assemblée nationale, lors de la deuxième législature (1963-1968). Enseignante-éducatrice de formation, elle sera l’une des chevilles ouvrières, dans les rangs socialistes, de la lutte pour l’éveil des consciences féminines et pour la promotion et l’émancipation de ses sœurs. Son engagement au service de la femme l’a portée à la tête du Conseil national des femmes, le mouvement féminin affilié à l’U.P.S, dès sa création le 14 juin 1964 à Thiès.

La naissance de l’Union des femmes du Sénégal

Elle a été aussi la seule femme à avoir siégé en commission pour l’étude du projet de loi portant Code de la famille en 1973. De sa détermination et ténacité, en dépit des réussites, elle garde aussi de mauvais souvenirs. Elle s’en est rappelée devant une étudiante en 1991, à l’âge de 68 ans, soit un an avant sa disparition : ‘’Lorsqu’on votait à l’Assemblée le Code de la famille, j’étais seule (femme). Inutile de vous dire ce que j’ai enduré. A un moment donné, j’ai fondu en larmes, je n’avais plus d’autres moyens de me défendre.’’

Aux côtés de cette militante des causes de la femme, il y en a d’autres, parmi les pionnières, telles que Adja Ndoumbé Ndiaye, Arame Tchoumbé Samb, Rose Basse, Jeanne Martin Cissé, Aïda Sarr. Ces dames regroupées autour d’une organisation féminine dénommée Union des femmes du Sénégal (U.F.S) ont été les premières à commémorer la Journée internationale de la femme, le 8 mars 1954. Mis sur pied la même année, ce collectif de femmes n’obtiendra son récépissé que deux ans plus tard. L’objet de la naissance de ce regroupement est contenu dans le récépissé de déclaration de l’Association, comme on peut le lire dans le Journal officiel de l’A.O.F du samedi 22 septembre 1956.

Prise de conscience chez les femmes, oui mais toujours aucun signe de revendication d’une quelconque intégration aux hautes instances politiques. Sur ce plan, elles semblent se satisfaire d’être reléguées au rôle de force de mobilisation et de propagande. En atteste la cooptation de la seule femme Rose Basse au poste de Secrétaire à la propagande, lors de la mise en place, le 8 avril 1958, du bureau exécutif provisoire de l’Union progressiste sénégalaise (U.P.S) fort de quarante et un membres. Ce texte aux allures de manifeste est la preuve que les femmes ont été très tôt conscientes de l’instrumentalisation dont elles ont toujours fait l’objet. Elles ont également posé les revendications. Mais hélas ! Plus de 50 ans après, l’on se rend compte que la marche reste à la fois lente et difficile.