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ZONE DES NIAYES – PARTICIPATION AU DEVELOPPEMENT LOCAL : A l’ombre des cheminées d’usine les femmes triment

A une centaine de kilomètres de Dakar se dressent deux des plus gros bras du secteur extractif sénégalais : d’un côté les Industries chimiques du Sénégal avec près de 200 milliards de francs  de chiffre d'affaires, de l’autre la Grande Côte Opération et ses 481,1 milliards de francs sur la balance. Tout autour d’eux, des communes qui végètent dans la précarité. On aurait pu se demander où est passée la Responsabilité sociale des entreprises… Dans l'équipe municipale ou les femmes côtoient les hommes dans une parité parfaite, la réponse prend l’air d’une moue dépitée. En collaboration avec l'Institut Panos d'Afrique de l'Ouest (Ipao), PressAfrik est allé dans cette zone des Niayes pour voir la lutte politique des femmes en faveur d’un nouvel ordre.

 

Avec ses 520 km2 de superficie, c’est la plus vaste commune du Sénégal après Touba.  De Diop Sao à Lompoul, Darou Khoudoss abrite aussi deux des plus grandes entreprises minières du Sénégal : les Industries chimiques du Sénégal (Ics) et la Grande Côte Opération (Gco). Les retombées économiques auraient pu être importantes et le maire Magor Kane fait des pieds et des mains pour que ses administrés ressentent l’impact social de ces deux géants de l’économie sénégalaise. Parmi ses rêves, bénéficier d’un financement pour accompagner les femmes qui s’activent en vue de jouer leur partition dans le développement local.

A Darou Khoudoss la parité a un heureux effet à l’occasion des dernières élections locales de 2014. Sur  les douze commissions que compte l’équipe municipale cinq sont dirigées par des femmes. Elles ne sont pas toutes de «simple» portée sociale. Car si elles contrôlent l’Education, la Santé, l’Action sociale et la commission féminine, on trouve aussi une femme à la tête de la commission Tractation des marchés et une femme occupe la vice-présidence de l’institution municipale. Le maire ne tarit pas d’éloges à leur endroit. «Elles sont plus performantes que les hommes. Si on évalue le travail effectué dans les différentes commissions de la mairie, les leur sont de loin les plus productives. Lors des réunions de l’équipe administrative de la commune, elles ne sont pas des suiveuses. Elles proposent, innovent, imposent et surtout apportent des solutions aux problèmes», note-t-il. Une vidéo prise lors du dernier vote du budget de la commune, diffusée sur la page Facebook de Darou Espace Echange en offre une illustration. La présidente de la commission Education, Mme Hélène Ciss, dresse un bilan et des perspectives qui satisfont toute l'assistance.

 Intervention de la présidente de la Commission Education Madame Hélène Ciss (Vidéo)

 

Dans une seconde vidéo prise le même jour, la présidente de la commission Santé, Mme Ndèye Mbaye, en dressant son bilan, explique comment, avec son équipe, elle a réussi à démarcher des partenaires tels que Plan International et l’Usaid pour financer certains de leurs plans d’actions, notamment le Plan de renforcement nutritionnel qui cible les enfants âgés de 0 à 5 ans.

 

Intervention de la présidente de la commission Santé Madame Ndeye Mbaye (Vidéo)

Ces actions, dans deux secteurs clés du développement, corroborent le satisfecit du maire Magor Kane, qui loue par ailleurs l’engagement des femmes dans  les groupements féminins de sa commune. Darou Khoudoss accueille en effet la plus grande fédération de groupements féminins de la zone des Niayes. Elles sont plus de soixante organisations à se ranger derrière la présidente de l’union locale des femmes, Mme Aida Cissé. Dans un mélange subtil de fierté et d’amertume, celle-ci compte les réalisations de sa structure, mais souligne également les charges et les difficultés qu’elle traine : «Notre unité de transformation de fruits continue de fonctionner, même si elle ne tient pas toutes ses promesses en termes d’emplois et de revenus. Les charges sont importantes. Déjà nous louons le local à raison de 60 000 F par mois. Les factures d’électricités atteignent parfois 150 000 F. Si nous arrivions à écouler tous les produits que nous transformons, il n’y aurait pas de problème. Mais le commerce ne marche que par intermittence», confie-t-elle. Elle se reprend cependant pour affirmer avec fierté : «Nous avons cependant réussi à gagner le respect des habitants de la commune et de ses environs. Les commandes de jus, de gâteau et d’autres produits pour les besoins des baptêmes, mariages et autres cérémonies se passent bien». Dans les carnets de commande de l’unité de transformation, la mairie de Darou Khoudoss et les membres de l’équipe municipale figurent en bonne place.

Par-delà ces activités, les membres du groupement s’impliquent aussi dans d’autres initiatives. «Les soixante groupements qui ont adhéré à l’union locale que je dirige gardent une certaine autonomie, confie la présidente Aida Cissé. Ils peuvent aller chercher des partenaires à l’extérieur de l’union. De même ils bénéficient comme tous les adhérents des prêts tournants qu’ils doivent rembourser au bout de 9 mois avec un taux d’intérêt insignifiant de 2%», explique-t-elle.

 

Parité intégrale, mais…

 

Darou Khoudoss tarde pourtant à faire école en terme de participation politique. A la mairie voisine de Mboro, les femmes ne dirigent qu’une commission sur la dizaine que compte l’équipe dirigée par le maire Moussa Ndiaye. Et il s’agit de la commission Culture et Loisirs, placée sous la direction de Mme Aminata Fall. Avec elle et la première adjointe au maire, Mle Fatou Ndao, ce sont les seules conseillères municipales à être réellement impliquées dans l’administration de la commune. Et pourtant Mboro est loin d’avoir mis les femmes au placard, car il s’agit d’une des rares localités à se prévaloir d’une parité intégrale, avec autant d’hommes que de femmes parmi les 46 conseillers municipaux.

A l’ombre des cheminées des Ics ou aux abords des chantiers de la Gco, la vie aurait sans doute été meilleure si simplement une partie des bénéfices de ces unités industrielles tombait dans les caisses des femmes. Mais pour l’heure, elles ne récoltent que poussière et pollution. Les services qui s’occupent de l’environnement social des zones impactées par les sociétés minières ne sont liés par aucune disposition de la loi ou du Code minier qui les pousse vers une politique sociale, voire une politique genre. Ainsi que le souligne le maire de Mboro, commune voisine de Darou Khoudoss, M. Moussa Ndiaye, «les sociétés minières interviennent de façon générale à trois niveaux, avec le cadre de la responsabilité sociétale de l’entreprise, le fond minier et les impôts et taxes au profit de l’Etat. En ce qui concerne la commune de Mboro, nous n’avons jamais bénéficié du fonds minier. Les impôts et les taxes sont également directement versés à l’Etat qui décide de leur affectation», précise-t-il.

Au chapitre de la Rse, les espoirs sont minces. «C’est une notion assez vague qui implique une contribution des entreprises dans le développement local des zones impactées, note le premier magistrat de Mboro. Elle ne précise ni la nature ni les montants des contributions qui sont laissés à la guise des entreprises. Donc leur apport n’est pas orienté de façon précise. Tout dépend des demandes qui émanent des collectivités locales des zones impactéesA notre niveau, les premiers programmes que nous avons soumis aux Ics et à la Gco concernent le commerce, avec la réalisation d’un marché et l’électrification de la commune. Des domaines d’intérêt général qui ne cible pas forcément le genre». Ainsi, à Mboro comme à Darou ou ailleurs, les femmes comptent essentiellement sur elles-mêmes pour s’en sortir. Pas toujours avec bonheur.

Fait anecdotique, le maire se rappelle un financement venu des Ics et de la Gco, d’un montant… de 500 000 F destiné aux groupements féminins pour l’organisation de la Journée mondiale de la femme en mars dernier. Yaye Guiré Loum, présidente de l’union locale des groupements féminins de la zone de Mboro, confirme qu’il s’agissait d’une contribution pour le repas des autorités.

ENCADRE

L’union locale des femmes tire le diable par la queue

 

Entre les communes de Mboro, Taiba Ndiaye, Méwane et Darou Khoudoss, près de 200 organisations et groupements féminins répartis dans quatre unions locales mènent leurs activités. Ces quatre collectivités sont toutes impactées par la présence des Industries chimiques du Sénégal et de la Grande Côte Opération (Gco) qui exploite le zircon, mais elles ne ressentent guère la puissance économique de ces deux grandes sociétés minières.

Dans cette zone des Niayes propice aux cultures maraichères, fruitières et céréalières (mil et maïs pendant l’hivernage), les organisations féminines de développement concentrent leurs activités dans le domaine de l’agriculture et, à défaut de pouvoir acquérir des terres, elles sont lancées dans la transformation des produits agricoles. Un secteur l’union locale des groupements féminins de Mboro a pu bénéficier de l’appui de l’Institut de technologie alimentaire qui a financé la construction d’une unité de transformation de produits locaux tels que les fruits, les légumes et les céréales. Assise devant son magasin avicole, en ce matin du 30 octobre 2017, la présidente de l’union, Yaye Guiré Loum, la cinquantaine dépassée, souligne que ni les Ics ni la Gco n’ont un quelconque apport pour le développement local, encore moins pour les femmes. «Nous leur avons écrit plusieurs fois pour les solliciter sans recevoir la moindre réponse. Nous avons aussi écrit à Daour (Dieng) qui gère la Rse au niveau de la Gco. Rien. Le sous-préfet nous a même demandé de lui donner une lettre pour qu’il lui fasse parvenir. Toujours rien. Ce qu’elles font ailleurs, nous le voyons à travers les médias, mais pour nous il n’y a rien », lâche-t-elle avec amertume.

Les associations de femmes de Mboro, Darou Khoudoss, Taiba Ndiaye et Méwane ont aussi produit un document à l’intention du Directeur général des Ics. Leur requête portait sur l’équipement de salles pour la formation de jeunes filles aux métiers agroalimentaires. «Nous, les quatre présidentes, nous avons pu obtenir une audience avec le Directeur général (des Ics) Alassane Diallo. Nous lui avons fait part de nos besoins en équipement pour une salle où former les jeunes filles aux métiers de la transformation des produits agricoles. Depuis quatre ou cinq ans on a plus eu de nouvelles», révèle la présidente de l’Union locale des femmes de Mboro.

En 2002 les Ics avaient initié, en partenariat avec le Pnud et l’Oit, un Projet d'appui à la lutte contre la pauvreté dans les zones riveraines des Industries chimique du Sénégal (Palpics). L’entreprise avait déboursé 500 millions de francs pour accompagner les populations de la zone dans leurs activités de développement. «A l’époque où le Palpics était en marche, nous avions reçu un financement de 10 millions de francs. C’est le seul financement dont je me rappelle, de la part des Ics, en destination des femmes de la localité», confie la présidente de l’Union locale des femmes de Mboro. Le projet a ensuite été stoppé par la crise qui a secoué les Industries chimiques du Sénégal entre 2004 et 2009. Depuis lors plus rien.
Responsable du département Environnement de l’entreprise, M. Babacar Sow a été sollicité pour cette enquête. Après avoir pris connaissance de nos requêtes il n’a plus répondu aux appels. C’est un cadre de l’entreprise qui, sous le couvert de l’anonymat, a répondu pour souligner qu’il n’y a pas de politique systématique d’appui aux femmes. « Le département qui s’occupe de la responsabilité sociale de l’entreprise n’a pas de démarche précise dans ce domaine. Les femmes sollicitent souvent l’entreprise pour un appui logistique. Par exemple un tracteur par-ci, un camion par-là. Mais pour ce qui est du financement de leurs projets de développement, j’ai pas encore eu vent d’un quelconque financement », dit-il.

A. FAYE

(avec le soutien de l’Institut Panos Afrique de l’Ouest)