Les femmes jouent les seconds rôles dans le landerneau politique thiessois malgré leur poids électoral et leur capacité exceptionnelle de mobilisation. Même si elles disent surmonter les obstacles socioculturelles et religieuses qui, quelques fois, les empêchent d’émerger, elles sont tombées sur le pouvoir exorbitant et sans partage des hommes politiques de la ville du rail.
C’est une illustre inconnue à Bagdad. Dans ce quartier perdu dans la lointaine commune de Thiès-Est, Maty Senghor Bèye est un nom qui aide à orienter. Ici, elle est presque connue de tous. Seulement pour y accéder, il faut boire le calice jusqu’à la lie. En plus de l’état cahoteux de la route qui y mène, les nombreux contournements de flaques d’eau boueuses qui couvrent le chemin rendent plus inconfortable le déplacement. Au bout de 100 mètres environ sur une bretelle perpendiculaire à la route centrale, devant une maison en terrasse peinte en jaune-clair, le taxi se gare. Quelques minutes plus tard, une dame teint noir d’ébène laisse affichée sur un visage rond un sourire avenant. Elle nous entraîne dans un salon sobrement décoré comme si elle essayait de faire du slogan de son leader politique, le président de la République, Macky Sall, une « gouvernance sobre et vertueuse », une réalité. La vie de cette dame est partagée entre l’enseignement, la politique et les actions de développement. Dès que l’occasion s’est présentée à elle, Mme Sow a adhéré à l’Alliance pour la République(Apr) à travers son réseau des enseignants à Thiès. Elle y occupe actuellement le poste de présidente des femmes. Elle a également lancé l’Alliance nationale pour un développement endogène (Ande) afin de mieux s’impliquer dans le combat pour l’émergence de sa ville et du Sénégal en général.
D’illustres figures féminines du passé
Malgré son engagement, sa vie de politique n’est pas un long fleuve tranquille. A l’image de beaucoup de femmes engagées à Thiès, Maty peine à s’imposer. Elle écarte la thèse de considérations socioculturelles ou religieuses du fait de la proximité de Thiès avec des cités religieuses comme Tivaouane, Ndiassane, Thiénaba etc., mais le constat est que dans la capitale du rail, la politique reste une affaire d’hommes. Même si par le passé des femmes se sont illustrées comme feue Mantoulaye Diène, Adji Anta Dièye, Sokhna Ndèye Nogaye Ndiaye, Garmi Fall etc. Pour Maty Bèye Senghor, aujourd’hui, les plus gros obstacles à l’émergence des femmes engagées en politique à Thiès sont les hommes et le manque de responsabilité politique. « Les femmes occupent une place très importante sur l’échiquier politique thiessois. Parfois, nous avons même l’impression qu’elles seules travaillent. Quand nous appelons à un rassemblement, 90 % de ceux qui répondent présents sont de la gente féminine. Au sein du réseau des enseignants de l’Apr de Thiès, 98 % sont des femmes.
Malheureusement, elles n’ont pas de responsabilités qui peuvent leur permettre d’être autonomes vis-à-vis des hommes », estime-t-elle. Selon l’enseignante de l’Apr, en politique même si tu as une base, il faut des moyens pour la maintenir. « C’est pourquoi, ajoute-t-elle, certaines femmes se cachent derrière les hommes qui ont des responsabilités pour pouvoir bénéficier de moyens afin de financer leurs activités. C’est l’une des raisons qui explique qu’à Thiès, les femmes n’émergent pas souvent, quelle que soit leur compétence », rétorque-t-elle. Elle souligne qu’à Thiès, on parle d’ailleurs « de femmes de tel ou de tel ». Et les hommes derrière qui les femmes se cachent ne font jamais leur promotion auprès des plus hautes autorités. « Nous avions tenté de mettre en place un collectif des femmes de «Benno Bokk Yaakaar», mais ça n’a pas abouti. Parce que simplement, chaque femme venait avec les instructions de son leader. Du coup, on ne pouvait rien décider. Personne ne voulait se départir des instructions de son responsable. Cela signifie que les femmes n’ont aucune liberté de décision », déplore-t-elle. Maty fait même constater que de tous les partis politiques à Thiès, il n’y a aucune femme qui incarne un leadership fort.
Déception
Dans le somptueux salon de son domicile du quartier Grand Standing, Adji Diatta, responsable politique de l’Apr à Thiès-Ouest, accueille avec toutes les commodités. Elle a adhéré au parti présidentiel « par affection à Macky Sall » bien avant que celui-ci n’accède à la magistrature suprême. C’était en 2011. « C’était un peu difficile au départ parce que je ne voyais pas une porte d’entrée dans le parti. J’ai cherché pendant un an avant de rencontrer le Pr Demba Diouf de l’Ecole polytechnique de Thiès qui a facilité mon adhésion », se souvient-elle.
Depuis, elle a toujours réussi la prouesse de gagner son centre de vote si l’on sait que Thiès est comme « une chasse gardée » pour Idrissa Seck, le patron de « Rewmi ». Cela ne lui a pourtant pas permis de gagner des galons au sein de son parti. Adji Diatta semble aujourd’hui être déçue par l’attitude des responsables politiques de son parti à Thiès. D’ailleurs, lors des dernières Législatives, elle n’a pas battu campagne. « Je suis combattue dans le parti à Thiès parce que simplement je suis une femme et j’ai une solide base politique. Les hommes qui sont à la tête de notre parti à Thiès ne veulent pas que les femmes émergent. Si nous étions suffisamment impliquées, Thiès serait devenue aujourd’hui un bastion de l’Apr. Sur le terrain, toutes les tâches sont exécutées par les femmes. Mais s’il y a un poste à pourvoir, elles sont tout bonnement écartées au profit des hommes. Et cela, nous en avons assez. Nous demandons au président Macky Sall de revoir son casting à Thiès », invite-t-elle.
Par Ndiol Maka SECK
Encadré :
DES HOMMES AU BANC DES ACCUSÉS
Pour elle, il n’y a aucune considération socioculturelle à Thiès qui fait que les femmes doivent toujours rester derrière. « C’est peut-être gênant pour les hommes à la tête de notre parti de voir une femme sans aucun poste politique gagner son fief alors qu’ils ne le peuvent pas, malgré les lourdes responsabilités. Ils savent que si les femmes dirigent, elles vont réussir là où ils ont échoué. Et dans ce cas, leur faiblesse sera mise à nu. C’est pourquoi ils font tout pour que les femmes n’émergent pas », conclut-elle. Dans le même registre, Sokhna Fatma Bèye Fall de la Convergence patriotique pour la justice et l’équité (Cpji) du député Demba Diop dit Diop-Sy mentionne que le problème des femmes politiques à Thiès est plus lié au manque de moyens qu’à autre chose.
« Ce qui plombe l’émergence des femmes engagées en politique ici, c’est l’argent. Pour mon cas, j’en ai souffert lors des dernières Législatives avec certaines listes concurrentes qui avaient plus de moyens. Des élections, ça demande beaucoup de moyens. Ce que je n’avais pas. Mais j’ai pu surpasser tout cela parce que j’œuvre dans le social. Nous sommes sortis en huitième position », se félicite-t-elle. A l’en croire, la manière dont les hommes font la politique est différente de celle des femmes qui se sont engagées pour pouvoir aider leur communauté. « Ce qui handicap les femmes politiques, c’est surtout le manque de moyens pour pouvoir conquérir l’électorat. Si les gens te soutiennent, ils attendent en contrepartie des actions sociales concrètes. Peut-être que les armes ne sont pas égales, mais j’essaie de me battre avec les hommes pour m’imposer. Ce n’est ni une question socioculturelle ni religieuse.
C’est simplement parce que les hommes ont plus de moyens financiers que nous. Ils ont la capacité de mobiliser aussi bien la population que la presse », insiste Mme Fatma Bèye Fall.
Quant à Ndèye Woré Fall, de la Convergence d’initiatives pour le Sénégal (Cis) du professeur Pape Ibra Samb, elle soutient également la thèse du manque de moyens. Même si elle reconnaît que sur le plan coutumier, les hommes ont une avance sur les femmes.
« Il y a des hommes qui ont fait de la politique un métier depuis le plus bas âge. Ils ont la liberté d’aller suivre les rencontres politiques où et quand ils veulent. Les jeunes filles n’ont pas cette possibilité. La tradition veut qu’elles aident les mamans dans les tâches ménagères », souligne-t-elle. Avant de préciser que cela n’entache en rien la qualité intellectuelle des femmes qui font la politique à Thiès. « Les femmes n’ont rien à envier aux hommes. Nous avons suivi un cursus scolaire normal. Pour mon cas, j’ai obtenu mon Bac plus 5 ans d’études supérieures. J’ai travaillé dans une grande banque. Même certains hommes politiques dont on parle tant à Thiès n’ont pas un niveau d’études élevé. Ils sont peut-être plus âgés ou ont plus de moyens », relève-t-elle.
Le débat sur la participation politique des femmes à Thiès n’intéresse pas que la gente féminine. Certains hommes ont aussi leur part de vérité sur le sujet. C’est le cas de Modou Ngom, un enseignant militant de l’Apr. « Les figures qui ont pu émerger comme feu Mantoulaye Diène étaient dans des partis structurés où de grandes responsabilités leur a été données. C’est ce qui leur a permis de s’imposer avec, bien sûr, un bon profil. Concernant notre parti, tant que le président de la République ne crédibilise pas les femmes en leur donnant des postes de responsabilité, on perdra toujours la commune de Thiès. La politique c’est une affaire de femmes », juge M. Ngom.
Nd. M. SECK
Encadré
LES DÉFIS DE LA DÉCONSTRUCTION SOCIALE D’UNE DOMINATION MASCULINE
« On ne naît pas femme mais on le devient », cette la boutade de Simone de Beauvoir, selon le Pr Alioune Badara Diop, agrégé de Sciences politiques à l’Ucad, est destinée à déconstruire la domination masculine en révélant qu’elle n’est pas naturelle mais procède d’une construction sociale. Il l’a dit dans une tribune sur « Engagement et participation politique des femmes ».
Même si chaque région à ses spécificités, Thiès n’échappe pas à ses réalités socioculturelles globales au Sénégal. Selon l’enseignant à la Faculté des sciences juridiques et politiques, il est difficile dans notre pays de légitimer ce type de discours tant les obstacles sont nombreux. « Toutefois, l’évolution des dynamiques sociales et politiques participe naturellement de ce processus de déconstruction. Il s’agit donc de le hâter. S’il y a certes des progrès louables, une prise de conscience croissante et l’acceptation du leadership des femmes sénégalaises, les obstacles qui freinent leur ascension sont légion », dit-il. A l’en croire, « notre société patriarcale très conservatrice entretient des stéréotypes qui visent à aliéner les femmes et à leur assigner une place inférieure ».
Pour l’universitaire, pendant longtemps l’hostilité et la cruauté des pratiques coutumières à l’égard des femmes les ont marginalisées et éloignées de l’espace public démocratique où s’exprime le leadership. « Il est demeuré paradoxal de voir que cette situation perdure en dépit du fait que beaucoup d’obstacles légaux ont été pourtant surmontés ou abolis. Le défi est donc de se défaire des perceptions d’un autre âge du rôle de la femme dans la société et ceci ne peut se produire qu’avec le temps et une attitude positive », estime-t-il.
Nd. M. SECK