Présentes, oui, mais pas forcément décisives. La participation des conseillères municipales de Kaffrine dans la gouvernance locale reste mitigée. Malgré leur nombre important dans le conseil municipal, elles n’arrivent pas à inscrire leur priorité dans le budget de la mairie. Cette enquête a été réalisée en partenariat avec l’Institut Panos.
Maïmouna Cissé se lève brusquement. Elle entre dans sa chambre et en sort moins d’une minute après, documents à la main. ‘’Je ne sais pas lire, mais je garde les papiers. Voici ce qu’on nous a donné le jour du vote du budget.’’ Conseillère municipale de Kaffrine, sa réponse résume à suffisance le niveau de participation des femmes dans la gouvernance de la localité. L’intérêt est certain pour la tâche. La participation est massive. Mais l’influence dans les débats reste faible.
En fait, les Kaffrinoises ont encore du mal à comprendre les enjeux du développement local et à s’impliquer de manière décisive.
Kaffrine compte 56 conseillers municipaux. Selon Benoît Ndione, proche collaborateur du maire Abdoulaye Wilane, la parité y est parfaite et la présence des femmes conséquente. ‘’Elles sont parfois plus nombreuses que les hommes, aux sessions du conseil municipal’’, affirme-t-il. Khady Thiall, Patritia Kantoussan et Ndèye Oumy Mbaye, toutes conseillères membres du camp au pouvoir, se disent satisfaites de la place qui leur est accordée dans la gestion des affaires de la cité, parce qu’impliquées dans tout ce qui se fait. ’’Nous avons notre mot à dire. Et, lors des débats d’orientations, nous donnons notre avis’’, affirme Khady Thiall. ‘’En tant que femmes, nous exprimons nos priorités’’, renchérit Patritia Kantoussan. Toutes trois se félicitent du fait qu’à chaque fois, des réponses sont apportées à leurs préoccupations.
Leurs affirmations sont cependant balayées d’un revers de main par les opposants. Les six conseillères municipales membres ou proches de l’opposition ont le même mot : les femmes ne sont pas écoutées par l’équipe dirigeante. Parmi elles, Seynabou Ndao. Membre du Parti socialiste, la formation politique du maire, elle est en froid avec ce dernier à qui elle balance : ‘’Nous ne nous voyons pas dans ce budget. Il n’y a aucune ligne pour aider les femmes. Je suis à mon deuxième mandat. Chaque année, je me bats pour la même cause, sans succès. Quiconque vous dit que les femmes sont prises en compte exprime une position partisane’’, peste-t-elle.
Silhouette longiligne, 60 ans révolus, Sokhna Ndao, plus connue sous le nom de ‘’Mbathie Ndao’’, enfonce la même pédale. ‘’Quand vous n’êtes pas du même parti, on ne vous écoute pas’’. La voie basse, le débit lent, elle évoque l’exemple de la constitution des commissions municipales. Vu son âge et l’intérêt qu’elle accorde à la question religieuse, elle avait demandé à être cooptée dans la commission Religion. Marraine d’une école coranique, elle pensait pouvoir y plaider pour une meilleure attention pour l’éducation islamique. Convoquée une première fois pour convoyer de l’aide à une famille religieuse, elle a vu, au retour de la mission, le président de la commission leur fait comprendre que les ‘’conseillers de Willane’’ devraient désormais se concerter davantage. Membre de l’Apr, elle a tenu, souligne-t-elle, à préciser qu’elle n’est pas conseillère de Wilane, mais ‘’plutôt d’Abdoulaye Seydou Sow’’ (sic). ’’Depuis ce jour, on ne m’a plus convoquée. Je ne sais plus ce qui se fait dans les instances’’, regrette-t-elle.
‘’Si ce que je dis ne sert à rien, je préfère me taire’’
A force d’avoir le sentiment que leur parole ne vaut pas grand-chose, certaines conseillères en sont arrivées à opter pour le silence. ‘’Si ce que je dis ne sert à rien, je préfère me taire plutôt que de me disputer avec mes collègues. Après tout, nous sommes tous des parents’’, se résigne Maïmouna Cissé. Membres de l’opposition, elles se plaignent d’être regardées d’un air désapprobateur par les ‘’femmes du maire’’, lorsqu’elles prennent la parole en conseil. Mais les partisans de Wilane s’en défendent et revendiquent une gestion inclusive (voir interview).
Au-delà des appartenances politiques, la mairie de Kaffrine connaît un manque de leadership et de conscience politique féminine. En dehors de Mata Sy Diallo, l’histoire politique de la ville se conjugue au masculin. Les femmes y sont nombreuses et engagées, mais elles peinent à s’affirmer. Toujours confinées aux seconds rôles, leur action politique est plutôt orientée vers la recherche de financement pour leurs groupements au détriment du positionnement. Ainsi, leur ascension politique dépend plus du bon vouloir des hommes que de leur capacité à s’émanciper.
‘’Les femmes restent dans leur coin, elles écoutent si elles ne dorment pas’’
Cette dépendance se reproduit dans la gestion de la mairie. A titre illustratif, le premier et le deuxième adjoint au maire sont tous des hommes. Et pourtant, le décret d’application de la loi sur la parité, en son article 2, est clair : ‘’Les conseils régionaux, municipaux et ruraux ainsi que leurs bureaux et commissions ; l’assemblée, son bureau et ses commissions ; le Sénat, son bureau et ses commissions ; le bureau du congrès du Parlement ; le bureau du Conseil économique et social et ses commissions sont tous soumis à la parité.’’
Outre leur faible présence dans les instances de décision, les femmes ne marquent pas non plus les débats d’orientation à Kaffrine. ‘’La discussion se fait entre les hommes et pas avec les femmes’’, affirme Maïmouna Cissé. ’’Elles restent dans leur coin, écoutent si elles ne dorment pas, votent puis retournent chez elles’’, confirme Sokhna Ndao dite ‘’Mbathio’’. ‘’Nombre d’entre elles ont un complexe. Elles pensent qu’elles seront blâmées si elles disent des choses, et préfèrent se taire’’, renchérit Astou Diagne, membre du Grand parti. Au finish, il n’y a que des hommes (Mamadou Ndao, Abdou Aziz Seck, Ndème Ndiaye…) qui sont cités comme étant les vrais tenants du flambeau de l’institution municipale.
Pour Astou Diagne, ‘’les conseillères feraient mieux de parler davantage pour être rectifiées en cas de besoin et s’améliorer au fil du temps’’. Pour l’heure, lorsqu’elles parlent, note le conseiller Abdou Aziz Seck, ‘’c’est pour féliciter le maire, lui montrer qu’elles sont derrière lui pour porter la réplique à une adversaire’’. La nécessité d’une meilleure formation pour la maitrise et la prise en compte des enjeux du développement local se fait ainsi sentir. Lors du vote du budget de la mairie, par exemple, il est prévu une ligne pour les associations. Mais l’argent destiné à toutes les organisations, y compris aux femmes, va plutôt vers le mouvement ‘’navétane’’. ‘’Les Asc réclament leur subvention. Est-ce que les femmes le font ? Je ne le crois pas. Et si elles ne disent rien, ceux qui revendiquent seront servis’’, fait remarquer Abdou Aziz Seck.
Majorité d’illettrées
Si les conseillères municipales de Kaffrine peinent à influer sur la gestion de la ville, c’est aussi parce qu’elles souffrent d’un déficit de niveau dans la gouvernance locale. L’écrasante majorité des femmes de l’équipe municipale n’a pratiquement pas ‘’fait l’école’’, face à une administration dont les actes sont posés en français. ‘’Le maire a eu une idée politicienne de mettre des analphabètes pour ne pas être dérangé’’, dénonce Abdou Aziz Seck. Mais il est difficile de croire que cette pratique soit une exclusivité du maire. Les profils de femmes de l’opposition indiquent aussi que si la majorité avait été autre, la réalité resterait la même. En fait, les femmes qui s’investissent dans la politique à Kaffrine sont pour l’essentiel des illettrés. En 2011, le ministre de l’Education, présidant un comité régional de développement (Crd), avait indiqué que Kaffrine avait le plus faible taux brut de scolarisation (Tbs) du pays avec 48 %, pendant que la moyenne nationale était de 94,5 %. Le taux d’achèvement y était de 24 % en 2010.
Le ministère de la Femme plutôt que la mairie
A Kaffrine, qu’on soit de la majorité ou de l’opposition, la principale attente reste la même : l’aide financière. Viennent ensuite l’éclairage public et l’accès à l’eau. La responsabilisation est rarement évoquée. Mais ces besoins partagés par les femmes n’ont pas donné naissance à une synergie d’action. Elles n’ont jamais réussi à amener la municipalité à dégager une ligne pour elles. ‘’Je n’ai jamais vu une enveloppe pour les femmes, regrette Astou Ba. C’est aussi parce qu’elles ne sont pas unies’’. Cette enseignante reste malgré tout convaincue que si la proposition était faite à Abdoulaye Willane, il aurait accepté. Des propos qui, mis à côté de ceux de Seynabou Ndao, montrent à suffisance l’absence d’une action concertée chez les femmes.
Le regroupement des femmes forestières a pourtant une fois été pris en compte. Selon sa présidente Adja Fili Traoré, c’était il y a deux ou trois ans. Le maire leur avait accordé une subvention sur leur demande, parce qu’elles avaient un problème de budget. Mais depuis lors, ces femmes qui ont été formées et appuyées par l’administration forestière dans la production de pépinière, le reboisement et le suivi, n’ont pas renouvelé leur demande. Considérant le maire comme un amoureux de la nature, Mme Traoré ne doute pas un instant qu’en cas de sollicitation, il accéderait à leur requête.
Les proches d’Abdoulaye Wilane lui trouvent d’office des excuses. ‘’Le maire a un budget limité, l’Etat doit l’aider à avoir plus. Dans ce cas, il va nous financer’’, déclare Patritia Kantoussan. ‘’Même s’il n’a pas la possibilité de nous financer à partir du budget, il sort l’argent de sa poche pour nous aider’’, ajoute Ndèye Oumy Mbaye. La logique partisane est manifeste. Elle divise les femmes politiques de Kaffrine. Mme Mbaye voudrait bien que la case foyer de la commune, dans un état assez regrettable depuis quelques années, soit réfectionnée. Mais plutôt que de mener le plaidoyer auprès du maire à qui revient la gestion des infrastructures, elle décrète d’office que son mentor n’en a pas les capacités et que ce travail revient au ministère de la Femme. ‘’Nous les femmes, nous avons un ministère. C’est donc à lui de s’occuper des problèmes des femmes’’, déclare-t-elle avec beaucoup de conviction.
Avec la parité et la prise de conscience des responsabilités, les barrières commencent cependant à tomber. Il y a quelques mois, les femmes ont bénéficié d’une formation avec le Conseil sénégalais des femmes (Cosef). L’expérience a été appréciée. D’une interlocutrice à une autre, sans exception, les mêmes mots reviennent avec la même envie d’être accompagnées. ‘’Nous avons beaucoup appris de cette expérience. Ça a été très intéressant ; nous avons besoin d’autres formations.’’ Mais le chantier est encore vaste.
BABACAR WILLANE
Voir aussi :
BENOIT NDIONE (CONSEILLER MUNICIPAL ET PROCHE COLLABORATEUR DU MAIRE) : ‘’Nous avons une oreille très attentive aux propositions des femmes’’