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Eglise Saint-Bernard : "Le dernier endroit où l'on pensait l'être humain en sécurité "

A la fin du mois d'août, les militants des droits humains se sont retrouvés pour commémorer les 20 ans de l'évacuation de l'église Saint-Bernard. Durant l'été 1996, ce lieu de culte du quartier parisien de La Chapelle avait accueilli des étrangers en situation irrégulière, avant qu'ils n'en soient évacués par les forces de l'ordre. L'église et son occupation sont ainsi devenues des symboles de la lutte des Sans-papiers en France.

A la fin du mois de juin 1996 trois cent sans-papiers s'installent dans l'église Saint-Bernard pour demander une régularisation massive. Un peu moins de deux moins plus tard, le 23 août au matin, ils seront évacués, manu militari par les forces de l'ordre qui ont réussi à passer le cordon humain fait des citoyens français venus apporter leurs soutien à cette cause.

Un peu avant 8h, environ 1500 Crs encerclent l'Eglise Saint-Bernard et attaquent la porte, hache à la main. C'était " le dernier endroit où l'on pensait l'être humain en sécurité ", raconte Sissoko Anzoumane, porte-parole de la Coordination nationale des Sans-papiers et un des porte-parole de l'Union Nationale des Sans-papiers, présent pour la première journée de commémoration, le 25 août 2016, au sein de la mairie du IIe arrondissement de Paris. Cette figure du militantisme pour la régularisation est de tous les combats depuis des années : marche Paris-Nice, caravane des Sans-Papiers à travers l'Europe, tentative de participation au Fsm en Tunisie. Il est actif sur le terrain depuis des années.

Sur ces images du journal de France 2 on voit le déroulement de l'évacuation, la solidarité des citoyens français, les grévistes de la faim évacués vers l'hôpital, les autres sitinneurs embarqués dans des bus en direction du centre de rétention de Vincennes et on entend la "honte" du père Henri Coindé, forcé à stopper sa messe.

Sans-papiers : la question de la liberté de circulation

"La commémoration des 20 ans de l'évacuation a permis à de nombreux militants de faire le bilan des luttes pour le droit des migrants. Ali El Baz, Ce membre du bureau du Groupe d'information et de soutien aux Migrants (Gisti), qui assure une permanence téléphonique sur les droits de séjour, qualifie la période actuelle de haro sur la migration. Pour lui, quand on parle de sans-papiers, la question principale c'est celle de la liberté de circulation. "Mes enfants nés ici ont déjà fait la moitié du tour de la terre. Leurs cousins nés au pays, qui ont le même âge n'ont jamais pu sortir de chez eux." Il parle avec un mélange de nostalgie et d'amertume. Pour lui la vie de sans-papiers n'a duré qu'un an, mais jamais il n'a pas lâché le combat : 40 ans qu'il milite pour les droits des étrangers en France.

Les rafles régulières de migrants dans les rues de Paris, la situation du camp de Calais, l'ouverture repoussée de camps d'accueil pour réfugiés à Paris sont autant d'exemples qui vont dans son sens : une restriction de la liberté de circulation arbitraire, appliquée à certaines populations. Un migrant qui arrive sur le territoire européen devrait avoir une médaille de "courage" et "d'abnégation" : " Traverser des pays, des guerres, des déserts et la mer, risquer sa vie, croiser des escrocs et des voleurs... pour arriver ici et recevoir les coups de la police", est une situation qu' Ali El Baz ne tolère pas.  "Un immigré c'est quelqu'un qui a un rêve. Quand il l'a en partie réalisé en arrivant en Europe, repartir de zéro c'est un échec total."

Quatre décennies qu' Ali El Baz accompagne des étrangers en France et qu'il assiste à des expulsions, toutes gravées dans sa mémoire. Des histoires d'occupations, de grèves, de pétitions, il en a des tas, qu'il partage volontiers. Aujourd'hui il a peur de la facture qui se crée dans le langage entre les "bons et les mauvais" migrants, ceux qui sont légitimes, qui fuient les guerres, et les autres. Lui a une vision bien différente de la situation : "Une personne, au delà de la misère ou la guerre, peut avoir envie de bouger. Il suffit de voir le nombre de Français qui vivent à l'étranger. Je ne comprends pas pourquoi ce droit n'est pas donné aux gens de la rive sud."

Saint-Bernard : un symbole

Pour les 20 ans de cette évacuation, trois jours de commémoration ont été organisés. A commencer par une conférence au sein de la salle des mariages de la mairie du IIe arrondissement à Paris. Tour à tour, les militants se sont relayés à la tribune pour parler de ce moment qu'à été St Bernard et de ce que cet événement représente dans la mémoire collective et la lutte des Sans-papiers.

Cette évacuation reste un souvenir fort pour beaucoup. Sissoko Anzoumane le rappelle : Saint-Bernard a été un moment très important, mais qui a été précédé de luttes. Kamel Badaoui, du Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires, a pris part à la lutte. La réponse de l'Etat à l'occupation de l'Eglise St Bernard a été, pour lui, d'une violence inouïe, "une violence d'Etat, avec des moyens d'Etat". L'occupation de l'église Saint-Bernard, de l'avis de tous est également un grand moment de solidarité. Un moment de mouvement et de prise de responsabilité d'une partie de la population française qui prend partie pour les sans-papiers allant jusqu'à manifester devant l'église et après son évacuation. Sissoko Anzoumane le rappelle : suite l'évacuation ce sont plus de 10 000 personnes qui ont manifesté,"dont 90% de Français".

Il y a autre chose qui fait de ce moment un point décisif dans la lutte à long terme et la visibilité : la création de 48 collectifs de Sans-papiers en France, entre 1996 et 1998, qui donnera naissance à la Coordination nationale des Sans-papiers et à leur sortie "de l'ombre" qui a donné une visibilité à la question du travail clandestin. Pour Sissoko Anzoumane, c'est "une mémoire à entretenir", avec toute l'importance de "revenir sur la lutte, d'en voir les aspects positifs, la solidarité qui s'est créée dans la lutte, mais aussi certains échecs du combat."

Squat

La deuxième journée de commémoration a été organisée dans un lieu moins conventionnel. A la sortie de la station de Rer St-Ouen, une feuille blanche est scotchée sur un mur. On peut y lire l'inscription "Unsp", pour Union Nationale des Sans-Papiers, sous laquelle figure une flèche et deux numéros de téléphone portable. Un squat est rarement visible et les visiteurs doivent se faire guider pour trouver leur chemin.

C'est dans un entrepôt abandonné qu'à lieu la deuxième journée de rencontres pour la commémoration des vingt ans de l'expulsion de l'Eglise St Bernard. Dans le hangar on trouve encore des étagères et les séparation verticales en plastique lourd laisse imaginer que des balais de camion ont du passer ici autre fois. Aujourd'hui le lieu n'est plus en activité. Plus en activité commerciale en tout cas. C'est en partie devenu un lieu de vie pour des réfugiés. Des matelas posés à même le sol ou sur des palettes en témoignent. Dans une autre partie de l'immense entrepôt, des chaises et des tables ont été installées. "On a fait le ménage pour les débats d'aujourd'hui", explique Demba Doukara, arrivé en France depuis sa Mauritanie natale en 2001, délégué au sein du Collectif des Sana Papiers.

Demba Doukara a d'abord fait une demande d'asile en arrivant en France, qui a été rejetée. Puis en 2010 il entre en contact avec le Csp. Il en devient adhérent pendant 3 ans. "J'ai parlé à mon patron, je lui ai demandé de me changer mes heures de travail pour que j'aille manifester."A ce moment là son patron ne sait pas que Demba Doukara travaille sous "alias", c'est à dire avec l'identité d'un autre. Les relations entre eux se tendent. Mais finalement les choses s'arrangent et il a pu être régularisé, notamment grâce à l'aide de ses patrons.

Sans-papiers mais pas sans droits

Le travail a justement son importance dans le combat, explique Sidi Soumaré,  président de l'Union nationale des sans-papiers. Etre sans-papiers ce n'est pas être sans droit, ni sans pouvoir de revendication pour lui : "Je suis aussi un travailleur et en tant que tel j'ai des droits, car le travail m'apporte un développement personnel, mais enrichit aussi l'Etat."

Ce père de famille sénégalais, a validé une licence de philosophie avant de travailler dans la Fonction publique chez lui. En 2009 il tente "l'aventure"  et se retrouve en France. "J'ai découvert l'état de "sans-papiers" en arrivant ici. Mais en fait je ne suis pas "sans-papiers" pour moi, car  j'ai mes papiers, ma nationalité, mon identité..." Avant d'arriver en France il ne comprenait les termes : "Le terme clandestin est stigmatisant, il est péjoratif, alors que l'on parle de personnes normales, qui travaillent, qui ne sont pas des délinquants... mais simplement qui n'a pas de carte de séjour."

En arrivant en France il a souhaité reprendre des études, mais faute de carte de séjour, "du sésame", il ne peut s'inscrire pour un cursus en présentiel. Il se rabat sur la formation professionnelle à distance et valide un diplôme de dessinateur assistant d'architecte, en mettant bout à bout ses quelques économies.

Mais même avec ce diplôme il ne trouve pas d'emploi dans le domaine. Alors il fait des petits boulots. Sidi Soumaré, père de trois enfants, doit subvenir aux besoins de sa famille restée au pays. Alors il fait ce qu'il trouve.

Le bilan de 20 ans

Si après vingt ans de combat la question de la défense des droits est toujours posée, c'est que le bilan est en demie teinte. Des choses ont avancé. De l'occupation d'églises pour être entendues, les organisations de défense des droits des sans-papiers sont aujourd'hui reçues par les autorités pour discuter. Mais la désillusion est vive face à l'immobilisme des politiciens, qui souvent ont fait des promesses non tenues et n'ont pas pris le pas suite à l'organisation de deux vagues de régularisations massives d'abord en 1981 avec 134 000 régularisations, puis en 1997 avec 84 000.

Chiffre à l'appui  les militants dénoncent la posture des politiciens de gauche : dans un comparatif entre les quinquennats des deux derniers président français il apparait que c'est lors du quinquennat de François Hollande que les expulsions ont augmenté, accompagnés d'une baisse d'attribution des cartes séjour Vie et famille, a expliqué Martine Doucouré, militante du Mrap.

Pourtant depuis 1996 les sans-papiers ont continué à se mobiliser régulièrement et à mener des actions, rappelle le tract distribué pendant la journée de rencontre. En 2002 ils occupent la Basilique de Saint-Denis et organisent la marche de Marseille à Paris. En 2004 c'est une marche de Bruxelles à Paris qui a lieu. En 2009 l'occupation de la Cnam est organisée. Pour le 50ème anniversaire de l'indépendance des pays africains en 2010 c'est une marche de Paris à Nice. En 2011 les militants participent au Forum mondial de Dakar, avant, l'année suivante, d'organiser la Marche européenne des sans-papiers et des migrants, suivie d'une grève de la faim entre 2012 et 2013 à Lille, sous le slogan "Faut-il mourir pour avoir des papiers?", mais aussi deux participation aux Forums sociaux à Tunis en 2013 et 2015.

Le meilleur souvenir d'Ali El Baz reste l'occupation de la Maison des Français à l'Etranger, en 1997, un bâtiment qui dépend du ministère des Affaires étrangères. Un lieu représentant l'hypocrisie de ce problème : ici on aide les Français qui souhaitent partir à l'étranger à s'assurer qu'ils puissent bénéficier de leurs droits : "On encourage les Français à la mobilité, la même mobilité que l'on refuse aux étrangers!" explique-t-il. 

Une lutte toujours d'actualité

Alors qu'il est à nouveau question de démanteler le camp de Calais et que l'Association service social famille migrants a dénoncé il y a quelques jours des opérations de police conduisant à l'interpellation de demandeurs d'asile, parfois même dans la file d'attente devant les locaux de l’association France terre d’asile, chargée du pré-accueil des personnes en demande de protection internationale, la question de l'accueil des étrangers en France est toujours posée. Il y a eu essoufflement dans la lutte qu'Ali El Baz qualifie de normale : " On ne peut pas faire les mêmes actions avec le même enthousiasme pendant 20 ans. Et pourtant le problème existe toujours : les sans-papiers n'ont pas disparu."

Pour Kamel Badaoui il y a eu du chemin parcouru avec de nombreuses régularisations, "mais pas assez". Il y a besoin que cette lutte se pose sur un registre politique et non sur un registre moral, "car c'est une lutte pour les droits", souligne-t-il. Il voit dans ce combat "une lutte de civilisation.  Comment avec tant de richesses en France ne trouve-t-on pas de solutions  pour des gens qui ont travaillé 10 ou 15 ans comme n'importe quel citoyen ?" Et de conclure sur la situation des réfugiés fuyant les conflits : "Ils font partie des Sans-papiers : ils sont de nos luttes, nous sommes de leur combat."

Cet article a été réalisé dans le cadre d'un partenariat avec l'Institut Panos d'Afrique de l'Ouest.

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