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Accueil des étrangers en France: La longue marche des migrants

Avec le démantèlement récent des camps de migrants de Calais et de La Chapelle, des opérations renouvelées, quel accueil face à un flux continue d’étrangers en situation irrégulière ?

Des camps de migrants démolis, une polémique qui ne finit pas d’enfler. Les flots continuent de déverser ceux que l’océan n’a pas engloutis et l’espérance qui porte les migrants, les ballotte. A la merci de passeurs et de leurs rabatteurs devenus des aiguilleurs des voies migratoires, seul leur désir d’avenir entretient la lueur dans leur périple ténébreux. Rescapés face à une Europe où il leur faut se reconstituer, reconstruire leur vie, recouvrer une dignité, ils y réussissent parfois grâce à un accompagnement.

Selon le Sénégalais Louis Ndong, un travailleur social investi dans l’accompagnement de migrants déjà pris en charge par un dispositif institutionnel français, il s’agit d’un travail où l’humain balise l’horizon à travers la reconstruction du parcours migratoire, à travers la connaissance de la situation du migrant pour lui proposer une solution adaptée, avec une nouvelle trajectoire vers une possible régularisation administrative.

La mise en concurrence des dispositifs d’accueil

Même avec un accompagnent social et administratif, avec une assistance dans l’accès aux droits sociaux, être migrant est une situation sans rémission. Une perception d’une misère venue s’ajouter à une pauvreté. Le migrant se trouve en concurrence avec d’autres personnes vivant déjà dans la précarité, donc dans une menace contre la cohésion sociale. La confusion est entretenue comme si l’on opposait le dispositif d'hébergement d’urgence à celui dédié spécifiquement aux demandeurs d'asile.

La circulaire du 3 janvier 2011 vise à articuler les interventions et à établir « une coopération entre les Services intégrés de l'accueil et de l'orientation (Siao) et des plates-formes d'accueil et d'accompagnement des demandeurs d'asile», car l’accueil ne doit pas être soumis à une condition, soutient-on. Des «personnes peuvent relever de l'un ou l'autre de ces dispositifs à des temps différents de leur parcours», explique Louis Ndong qui confie que «le Siao est un dispositif avec un volet urgence et un volet insertion. Il concerne l’accueil, l’hébergement, l’insertion et aussi l’accès au logement de personnes sans abri ou qui risquent de l’être, d’une part, et, d’autre part, des personnes mal logées». Le public cible reste des Français ou des migrants titulaires d’un titre de séjour.

Par contre, les migrants qui cherchent à régulariser leur situation administrative ou qui demandent l’asile relèvent d’un dispositif d’accueil et d’orientation qui les conduit par exemple vers des centres d’accueil de demandeurs d’asile (Cada). «Le dispositif national d’accueil (Dna) dont les Cada constituent un aspect, permet l’admission de migrants dans une structure d'hébergement du type centre d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile (Chuda) ou accueil d'urgence pour demandeurs d'asile (Auda), voire des chambres d'hôtel financés par l’Etat et qui sont dédiées aux demandeurs d’asile», précise Louis Ndong.  Les places ne sont jamais assez par rapport à la demande, et quelquefois les conditions d’hébergement profitent plus aux marchands de sommeil. Les associations qui accompagnent des migrants s’en font souvent l’écho à travers des dénonciations.  

Les migrants d’origine ouest-africaine sont de moins en moins éligibles à ces dispositifs, même si les motifs de demandes d’asile de leur part sont divers. L’excision en est un. Mais le « caractère sûr » de leurs Etats d’origine constitue souvent un obstacle.

Ce travail d’accompagnement de migrants, Louis Ndong en parle avec une passion qui trahit un embarras. « Je ne dois pas dévoiler leur secret », déclare-t-il souvent. Ses origines sénégalaises font qu’il est perçu comme empathique, plus à même de se projeter dans la situation de ses interlocuteurs migrants, quelqu’un à qui on se confie plus facilement. Mais son action n’appelle pas forcément une réponse émotionnelle. Elle exige parfois un certain recadrage. En effet, les migrants appartiennent à des réseaux qui sont aussi des lieux de débriefings pour mouler leur nouvelle vie aux critères susceptibles de favoriser une régularisation administrative. Car il existe un autre dispositif non institutionnel d’accueil des migrants.

Une solidarité communautaire

« Je connais les deux systèmes », déclare Lamine Diallo, un migrant d’origine bissau-guinéenne qui a vécu 15 ans «sans papier». Des années durant lesquelles il a pourtant travaillé. Sa longue marche vers la régularisation administrative a abouti voilà bientôt 5 ans, mais sa « quête » d’un logement décent reste non encore satisfaite. Diallo dit ne s’être jamais résigné. Même quand sa demande de régularisation administrative avait été rejetée par la préfecture. Il lui a alors fallu introduire un recours, se faire assister par un avocat et solliciter l’appui d’associations d’aide aux migrants.

«La vie de migrant, c’est dur», martèle-t-il. Aujourd’hui il est devenu chef d’équipe dans une société multiservices. Rien à voir avec sa vie d’avant, quand il était chef d’une entreprise d’exportation de noix de cajous. «Il faut tout reprendre, apprendre la langue du pays d’accueil, réapprendre un métier…», assure-t-il. Avant d’évoquer les chaînes de solidarité que sont des associations de ressortissants. «Le migrant est pris en charge par sa communauté d’origine. Il est hébergé et nourri le temps qu’on lui trouve un travail et des revenus qui lui permettent en retour de participer aux frais de popote et de loyer ». Mais cette «chaîne de solidarité communautaire est par moments pervertie », admet Lamine Diallo. « Ce n’est pas toujours facile de déceler la fourberie. Il est difficile même d’échapper à toutes les ruses d’un proche avec qui on a toujours vécu en confiance. Malheureusement, il est arrivé que certains abusent de la situation de leurs camarades « sans papier » et les arnaquent de manière éhontée. Il s’agit de faits condamnables mais qui ne doivent pas casser la formidable chaîne de solidarité.»

Comme un instinct de survie

Le migrant est souvent pudique sur son parcours. Son langage est plus à décrypter pour comprendre son drame et sa vulnérabilité. Son discours, par moments, est fait de silences à lire devant une situation qui l’a parfois contraint à une compromission avec sa dignité. Un traumatisme mal métabolisé. Et c’est une décharge émotionnelle qui sort quand sa parole se libère. Une femme est à la gêne quand elle vous lance, le regard baissé : «C’est un enfant sans papier…» Les personnes en situation irrégulière font presque tout pour entrer dans une normalité et obtenir un titre de séjour. Avec la circulaire Valls (du nom du Premier ministre français, ancien ministre de l’Intérieur), du 28 novembre 2012, certains ont pensé, à travers ses critères de régularisation des étrangers sans papiers autres que par le travail, que faire un enfant était la solution. Ils ont sauté le pas. Cette circulaire précisait que les étrangers en situation irrégulière, parents d’enfants scolarisés, peuvent solliciter leur régularisation et espérer obtenir un titre de séjour s’ils sont présents en France depuis 5 ans au moins et ont un enfant scolarisé depuis au moins 3 ans, y compris à l’école maternelle…

Même la régularisation par le mariage est explorée, parce que la circulaire Valls admet que, par dérogation à la procédure classique de regroupement familial, l’étranger sans papiers dont le conjoint est titulaire d’une carte de séjour, peut solliciter sa propre régularisation s’il justifie d’une présence en France de 5 ans et d’une durée de vie commune de 18 mois… Mais les choses ne sont pas simples.

La France attend surtout que certains irréguliers acceptent de rentrer volontairement chez eux moyennant une aide de 2 500 euros si leur demande de retour est faite avant le 31 décembre 2016.

 

http://www.afriqueconnection.com/article/26-11-2016/la-longue-marche-des...