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BARGNY - COLLECTIF CONTRE L’INSTALLATION DE LA CENTRALE A CHARBON : Des femmes de « mer » au cœur de la lutte

Depuis que l’Etat a initié en 2008 le projet de l’installation d’une centrale à charbon à Bargny, un collectif a engagé la lutte. Opposés à son installation, ses membres voient, impuissants, l’infrastructure se mettre en place. La bataille politique semble perdue, mais leur ardeur n’a pas refroidit. En particulier celle des femmes engagées dans le collectif.

Recouverts d’une couche blanche, les arbres qui longent la Route nationale numéro 1 (RN1) aux alentours de Bargny ont perdu toute leur verdure  Asséchés ou pas, ils portent tous les stigmates de la pollution ambiante. Les résidus de poussière qui s’échappent de la Sococim se déposent sur toute la bande verte mitoyenne qui a perdu sa splendeur. De l’autre côté de la RN1, au fond des ruelles sablonneuses de Bargny Guedj, une installation hante aussi le sommeil des populations : la centrale à charbon. Ses tours qui s’élèvent vers le ciel n’ont encore rien craché. Mais en attendant que la compagnie d’électricité sénégalaise (CES) démarre son exploitation, Bargny retient son souffle.

Dans ce village de pêcheurs. Tout le monde vit de la mer. Quand les hommes sont sur les pirogues, les femmes s’activent dans  le séchage et  le  fumage du poisson. La centrale à charbon, édifiée à quelque 500 mètres de « Khelcom Bargny », le site de transformation des produits halieutiques, concentre les fureurs. Si la Sococim est là depuis 1948, bien avant que Bargny ait pris autant d’envergure, tel n’est pas le cas pour le nouveau «pollueur» qui s’est installé aux abords de la ville et à deux pas de cet espace de transformation d’où partent des milliers de tonnes de poissons fumés et séchés exportés vers la Guinée, le Burkina, la Côte d’Ivoire et même jusqu’au Togo.

Cette bataille contre la centrale fait rage depuis depuis 2008 ans. Dans le combat que mènent les populations avec l’appui de la société civile, les femmes sont aux avant-postes. A la tête d’une association qu’elle préside depuis 1996, Fatou Samb est réputée comme une des égéries de la contestation. Elue conseillère locale en 2014, cette présidente du mouvement politique Mankoo Taxawu Sam Bargny est également dans l’activisme écologique depuis 2000. En plus de ses activités de transformatrice de produits halieutiques. Sa conviction est absolue : les études d’impact environnemental réalisées avant l’installation de la centrale ont été faites de «façon mensongère». Cette unité «polluante» ne peut aucunement cohabiter avec le site de transformation de produits alimentaires. «L’exploitation n’a pas encore commencé et la centrale nous cause déjà des préjudices. Les eaux usées qu’elle rejette ont inondé  notre site de séchage et de fumage pendant la saison des pluies et ont affecté l’activité de nombreuses femmes. Ces dernières ont été dédommagées mais cela présage un futur pas du tout rassurant», estime-t-elle.

La combat mené au niveau du Conseil municipal ne rencontre pour l’heure qu’un mur d’hostilité. «A chaque réunion je soulève le débat sur les dangers de la centrale et ses impacts néfastes sur notre site. Mais la réponse est toujours presque la même de la part du maire Abou Ahmed Seck. Pour lui la centrale est déjà là. Vaut mieux essayer d’en tirer profit». Contacté, ce dernier s’est emmuré dans le silence. Mais certains de ses collaborateurs confirment la position qui lui est prêtée. «Les travaux sont à un tel niveau d’avancement qu’on ne peut plus reculer», soutiennent-ils.

La tension est vive sur la question. L’adjointe au maire Voré Gana Seck  a même décidé de lâcher le combat. Prise à partie par des jeunes membres du collectif «Non à la centrale à charbon» qu’elle soutient, en 2014, elle a pris le parti de ne plus s’impliquer. Selon elle, elle a été accusée de vouloir politiser la question lors d’une manifestation organisée dans la localité en présence du député et Grand Serigne de Dakar Abdoulaye Makhtar Diop. «Le maire abuse de sa majorité au Conseil municipal où je suis la seule femme. Je suis la seule à ne pas disposer de bureau parmi tous les membres du bureau municipal. Je suis obligée de travailler en parallèle chez moi ou bien de tenir des réunions dans les penc (Ndlr : place publique). Le maire est intéressé par autre chose que le développement de Bargny. La preuve, ce protocole signé avec la CES et la Senelec sous prétexte que le conseil municipal a donné son accord, alors que sur des questions pareilles il faut organiser des forums», fulmine-t-elle. Le protocole d’accord a rapporté 30 millions de francs qui sont tombés le 15 novembre dernier pour le compte du crédit municipal.

 

Tant que je serai en vie…

 

Sur le terrain, Fatou Samb et les membres du collectif «Non à la centrale à charbon» ne désarment pas. «Mais nous savons que le problème ne va pas se régler là-bas», lâche-t-elle. Invitée  à la Cop 23, elle était à Bonn (Allemagne) pour continuer son plaidoyer. Directrice de l’Ong Green Sénégal et membre du Conseil économique social et environnemental, elle ne manque pas de canaux pour faire entendre sa voix. «Notre plaidoyer est de tout faire pour qu’il y ait d’autres alternatives que le charbon. Nous croyons que nous avons été entendu par les autorités parce que lors des législatives le Premier ministre a annoncé la volonté du gouvernement de changer le charbon par le gaz. J’ai toujours opté pour les énergies propres», affirme-t-elle.  

Avec Voré Gana Seck et Fatou Samb, le troisième pilier de la lutte contre la Centrale à charbon est Ndèye Yacine Dieng. Titulaire d’un diplôme d’assistante villageoise et de secourisme communautaire, elle est «Bajenu Gox» (marraine de quartier) en plus d’être la fondatrice de l’Association pour la valorisation de l’environnement et des côtes. Ce qui motive son combat, ce sont les 29 ha alloués à la CES, qui devaient être normalement dévolus  aux populations déplacées devant l’érosion côtière. «En plus de cela, maugré-t-elle, tout milite pour que la centrale ne soit pas installée dans cette zone. Le cours d’eau dénommé Khouloub est tout proche du site et sert d’abreuvoir aux troupeaux. Sans compter l’espace de transformation de poissons, les écoles élémentaires, la case de santé, le jardin d’enfants, le lieu de sacrifice du génie protecteur appelé «Ndogal», les cimetières…». Signataire de la plainte du collectif Non à la centrale à charbon, elle bat en brèche l’idée fataliste selon laquelle on ne peut pas combattre un Etat. «Quand les autorités font des choses qui vont à l’encontre des intérêts des populations, les masses doivent se soulever et combattre. C’est pourquoi, tant que je resterai en vie, je combattrai cette implantation», fulmine-t-elle.

Mais  toutes les femmes ne partagent pas la même opinion sur  la centrale. Il en est ainsi pour Sagna Thioune, qui estime s’être trompée de direction par le passé en rejoignant le collectif Non à la centrale à charbon. Ayant visité une unité du même type installée au Maroc, elle a pu constater que «les conséquences d’une telle installation ne sont pas aussi désastreuses qu’on le prétend». Elle s’est alors rapprochée du maire. «Les travaux de la centrale sont très avancés et on ne peut plus revenir en arrière. J’ai rejoint le maire pour faire de sorte qu’on puisse tirer profit de notre voisinage avec la CES. Il a d’ailleurs démarré la construction de toilettes sur le site de transformation», relève-t-elle.

Fatou Samb demeure malgré tout convaincue que le maire de Bargny est en train de leurrer son monde en promettant de moderniser le site, alors que des experts de la Banque africaine de développement (BAD), qui participent au financement de la centrale lui ont signifié que «les femmes doivent quitter la zone pour raisons environnementales. Pour nous en en convaincre, nous nous sommes procuré le rapport des experts indépendants commis pour le projet de l’installation de la centrale, poursuit-elle. Dans ses conclusions on peut lire : «Les autorités locales auraient dû s’engager à contribuer à l’organisation d’un recensement afin d’établir les données de référence socioéconomiques nécessaires pour identifier les personnes devant être relogées. Le manque total d’une idée de base approfondie du fonctionnement de l’économie locale, du nombre de personnes impliquées, de l’importance  (économique et culturelle)  de l’activité de séchage du poisson dans la région et des perturbations potentielles générées pendant la construction du projet et la phase opérationnelle constituent un exemple de non-conformité  à la norme de performance 5 de l’IFC (Ndlr : Société financière internationale). La FMO (Ndlr : Société néerlandaise de financement du développement) a agi de façon non alignée par rapport à sa propre politique lors du deuxième décaissement. Il aurait en effet été justifié qu’elle décide de ne pas décaisser la deuxième tranche du prêt tant que ces évaluations n’avaient pas été mises en place.»

De telles conclusions font suite aux deux plaintes déposées par le collectif Non à la centrale à charbon auprès de la BAD et de la FMO. Ces organismes ont alors déclenché le mécanisme indépendant d’inspection qui a conduit aux constats qu’ils ont établis. Et les femmes de Bargny ne désarme pas. Le 31 octobre dernier, à 18 heures, sur les rives sablonneuses, une centaine de pirogues étaient amarrées, attendant le prochain départ pour la pêche au large. La valse des charrettes qui transportent le poisson vers le site de séchage et de fumage, à une centaine de mètres, renvoyait à un ballet féérique sous le soleil couchant. Les rares femmes qui travaillaient encore sous le soleil couchaient ne cachaient pas leur hantise. Vêtues d’une robe marinière à pois, Khardiata souligne : «Ces conduites de fumée me font peur. J’ai l’impression dès fois qu’elles ont été  construites au milieu de ma maison. Même rentrée chez moi, je sens leur présence». Même l’installation d’un mur de séparation puis de barrières sensées protéger le site ne la rassure guère. Encore une mauvaise décision. «On n’a plus d’espace où ranger les sacs de coque. On est obligé de les installer à côté du fumoir, ce qui provoque des incendies. J’emploie dix personnes. Si mon activité s’arrête, cela aura des répercussions sur dix familles qui sont entretenues avec les revenus de mon activité».

A elle seule, Khardiata affirme générer une dizaine de millions de francs l’année. «Je vends le kilo de poisson séché à 500 francs. Il nous arrive d’en vendre des tonnes en un jour. Regardez ce Burkinabé là-bas en train de charger ses sacs, il m’a remis déjà un million de francs. Quand les étrangers viennent, ils ramassent tout ce qu’il trouve sur place», a-t-elle confiée. Bientôt il en viendra moins et peut-être qu’il ne viendront plus quand la centrale à charbon aura commencé à répandre ses nuages toxiques.

Seydina Bilal DIALLO

(avec le soutien de l’Institut Panos Afrique de l’Ouest)

 

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