Qu’est-ce qui pousse les jeunes filles et femmes à quitter le pays pour aller chercher ‘’le bonheur’’ loin des frontières de leur pays? Au nombre des candidates au départ, figurent en bonne place des étudiantes, des diplômées sans emploi de l’enseignement supérieur et que sais-je. Le phénomène de l’émigration féminine prend de l’ampleur dans notre pays à cause, diraient certains, manque de possibilités d’insertion. Toutes choses qui ouvrent la voie à la tentation de sauter dans l’inconnu.
La demoiselle Nakandjan Kouyaté qui vient de souffler sur ses 18 bougies, affiche une bonne mine. Boursière de l’Etat, orientée au Maroc en 2014 pour aller étudier le droit, elle est plus que déterminée à décrocher son diplôme et à rentrer au bercail. «Mon souci majeur est d’avoir une bonne formation et de revenir servir mon pays. J’ai eu assez de difficultés avant de quitter la Guinée pour le Maroc parce que je suis une fille et l’unique enfant de mes parents. Chez nous, une fille non mariée ne doit pas quitter sa famille pour aller s’installer là où elle n’a ni parent, ni un proche », dit-elle.
Lorsque l’étudiante en deuxième année lève un coin du voile, elle affirme que la conscience tranquille aide à ne pas flancher au niveau de la responsabilité. N’eût été l’ouverture d’esprit de sa mère, comme elle aime à le dire sans arrêt, et sans l’appui de son oncle et des personnes qui ont foi en Dieu, son rêve n’allait pas se réaliser.
Quand Nakandjan habille sa timidité d’un sourire éclatant, elle laisse entendre qu’elle est redevable à ces deux personnes qui l’ont soutenue. Elle leur promet son parchemin.
A l’inverse de Nakandjan inscrite en droit au Maroc, la dame Mariama Baldé, licenciée en sociologie, rencontrée à la gare routière de Mali Yimbèring centre, s’apprête à se rendre au Sénégal voisin pour rejoindre son époux. Elle fait son baptême de feu, parce que c’est son premier voyage hors des frontières nationales. «Je suis originaire de Labé, je pars pour rejoindre mon mari installé à Dakar. Comme j’ai mon diplôme, je vais voir avec lui, comment trouver un emploi. Franchement, je voyage parce qu’aucune solution n’existe. Je gérais un petit bureau de prestation de services (…)», a-t-elle expliqué.
Les inconvénients de l’aventure
Contrairement à Nakandjan et Mariama, cette autre fille qui frise la trentaine, et qui a gardé l’identité sous le boisseau, assure qu’elle s’était rendue en 2009 à Bamako, au Mali voisin. Revenue au bercail depuis quelque temps, elle affirme avoir regretté d’avoir opté pour l’aventure. «C’est en octobre dernier que je suis revenue à Conakry après six ans à l’extérieur. Ça été une perte de temps et une déception pour moi», a-elle assené, la mélancolie dans le regard, et les yeux embués de larmes.
«En quête du bien-être, j’ai suivi un ami qui faisait le trafic d’ivoires entre la Guinée, le Sénégal et le Mali. Nous avons fait un enfant et m’a abandonnée. Après mon accouchement, des compatriotes résidant à Bamako ont cotisé pour me trouver le prix du billet retour et quelques habits pour le bébé (...) », a-t-elle fulminé, l’air dépité.
Pour sa part, la dame Néné Fatoumata Lamara Dème, est aussi, sans le vouloir, une victime du phénomène à la mode. Elle affirme qu’une de ses filles a pris la tangente depuis que son père a décidé de la donner en mariage à un de ses cousins.
Sa fille Kadiatou Bah a quitté la maison paternelle en 2012 alors qu’elle fréquentait la 8e année. Trois ans après sa fugue, sa mère souffre encore d’une tristesse qui accompagne l’image nostalgique de Kadiatou qui se trouverait quelque part entre le Congo Brazzaville et la République Démocratique de Congo (RDC).
Les déclarations de la dame sont subitement entrecoupées de larmes qui coulent abondamment parce qu’elle ne s’explique pas les raisons du départ précipité de sa fille qui se trouve en terre étrangère, loin de son pays natal où elle n’a aucune chaleur familiale.
«Ma fille est à la portée de tout le monde. Aujourd’hui, je n’ai aucun moyen d’aller à sa recherche. Des amies m’ont conseillée d’aller me confier à l’Organisation internationale pour la migration (OIM), mais on m’a dit ensuite que cette institution ne s’occupe que de ceux qui décident de rentrer volontairement dans leurs pays », s’est-elle empressée de dire.
Les départs massifs vers de nouveaux horizons ont des conséquences multiples à plusieurs égards. Le secrétaire général des collectivités locales de la préfecture de Mali Yimbèring, Amara 2 Camara, fait un constat : « Les productions agricoles ne cessent de chuter, provoquant une baisse des recettes de la localité au cours des dernières années. De nos jours, les jeunes garçons, filles et mêmes des dames partent et leurs départs portent souvent des coups durs à l’harmonie des familles et provoquent la baisse de nos productions agricoles (…) », a-t-il dit.
M. Camara précise qu’en 2011, sa circonscription avait collecté plus de 25 millions de nos francs en recettes qui de nos jours, ont chuté de plus de 50% de 2012 à 2015. La destination de prédilection des émigrés est le Sénégal et d’autres pays limitrophes.
Rencontré près du dernier poste frontalier, précisément au barrage de Ségou à quelques kilomètres de Kédougou, en terre sénégalaise, le lieutenant de gendarmerie, Algassimou Camara, déclare que l’émigration féminine est beaucoup plus constatée en saison sèche et pendant les vacances scolaires. «Les émigrés sont beaucoup plus nombreux sur les chemins de départ à l’approche du mois du Ramadan et aussi en juillet. Ce sont les jeunes garçons et de jeunes femmes qui constituent le lot du groupe des candidats, majoritairement, originaires des localités Lélouma, Laréwel, Diountou, Popodara, Timbi Madina. Leur destination, Dakar, au Sénégal, Bissau, en Guinée Bissau, Banjul, en Gambie et vers certains pays de l’Afrique Centrale », a-t-il précisé.
L’officier de gendarmerie affirme dénombrer par jour, plus de 80 véhicules bondés de passagers. Il a rappelé qu’il tente souvent en vain, de déconseiller les candidates au départ. «Je les interroge sur les raisons de leur départ, leur statut matrimonial. Si elles déclarent être mariées et qu’elles rejoignent leurs époux, on ne s’oppose pas. Mais, nous demandons aux femmes non mariées de rester près de leurs familles en vue d’apprendre un métier et ou d’assumer des activités qui confèrent la dignité humaine. Nous arrivons difficilement à les convaincre», a-t-il indiqué.
Lorsque M. Camara énumère les 80 véhicules bondés de passagers, il assure toutefois ne pas détenir de statistiques fiables pour déterminer le nombre total des voyageurs par jour. Il soutient qu’il lui arrive de compter au moins 10 à 15 candidates au voyage.
La collaboration avec ses homologues sénégalais, souligne-t-il, se passe dans de bonnes conditions. «Nous nous entendons très bien et veillons ensemble au respect des engagements frontaliers. Nous rencontrons de gros problèmes avec les femmes, dont la majorité ne détiennent pas de papiers en règle et sont aussi souvent accompagnées d’enfants », dénonce-t-il, appelant les parents et les pouvoirs à prendre à bras le corps le phénomène de l’émigration, notamment féminine.
Solutions d’insertion socio économique
Le point de vue des spécialistes
De nombreuses filles ont opté pour l’émigration. Pour pallier au phénomène, de nombreux experts estiment que l’insertion socio professionnelle des filles et des femmes devrait être une des priorités du gouvernement pour aider les candidates à l’émigration à ne pas marcher sur les traces des garçons qui ne craignent ni le désert du Sahara, ni la Méditerranée pour rejoindre ce qu’ils qualifient d’eldorado.
M. Abdoulaye Diallo, responsable du programme d’aide au retour volontaire en Guinée à l’Organisation internationale pour la Migration (OIM) assure être effrayé par la croissance exponentielle du nombre des candidates qui émigrent.
Il affirme qu’un groupe d’une vingtaine de filles figurent dans le lot des expulsés du Royaume du Maroc. Selon lui, ce sont des filles qui ont été abusées, exploitées, dépouillées de leurs objets. Il précise qu’il y en a qui reviennent avec des enfants, dont les géniteurs sont inconnus.
La gorge nouée, il déplore la croissance ininterrompue de cette situation en dépit des campagnes de sensibilisations et d’information qui semblent ne pas faire tâche d’huile chez les candidates au départ.
Lorsqu’il égrène le chapelet des dangers dressés sur le parcours des candidates à l’émigration, le fonctionnaire de l’OIM lance un appel pressant au gouvernement, invitant celui-ci à prendre des mesures qui peuvent être une panacée, voire une potion magique pouvant retenir ces filles et ces femmes déterminées à aller loin des frontières de leur pays natal.
Selon lui, «La première mesure à prendre consiste à lutter contre le chômage qui est devenu endémique en Guinée. Des jeunes garçons et filles finissent les universités et restent à la charge de leurs parents. Ainsi, ils estiment que quitter ce pays est la meilleure solution», a-t-il souligné.
De son côté, Alpha «Mosquée» Diallo, directeur national de la Statistique et des prospectives au ministère délégué des Guinéens de l’extérieur, affirme que son service ne dispose pas de données chiffrées sur le nombre de nos compatriotes féminins, résidant à l’étranger.
«Le taux de ceux qui sortent pour une formation est très faible par rapport aux autres qui tentent le tout pour le tout, selon leur termes, pour réussir», a-t-il dit.
Le point de vue du sociologue et chercheur, Baba Moussa Mansaré, sur le phénomène de l’émigration féminine, est tout autre. Celui-ci soutient que les filles qui partent sont en rupture avec le mode de vie communautaire qui caractérise les sociétés africaines.
La découverte d’un nouveau milieu inconnu, selon lui, les prédispose à l’isolement et les fait perdre souvent leurs repères africains.
Pour inverser la tendance et rassurer les femmes guinéennes, Mme Marie Touré, directrice nationale de la promotion féminine et du genre, a rappelé que toutes les couches féminines confondues sont prises en charge par le gouvernement grâce à l’appui des partenaires techniques et financiers qui acceptent de renflouer les programmes de foyers améliorés et d’énergies renouvelables pour réduire leur charge de travail.
Mme Touré cite également l’accès des femmes à l’épargne, aux micros crédits (Yètè Mali, crédit rural de Guinée), ainsi que d’autres fonds destinés aux femmes.
La politique nationale pour la scolarisation de la jeune fille, dont le taux brut est passé de 79% en 2008 à 82.1% en 2013 au niveau primaire, de 31.9% en 2008 à 37.9% en 2013 au secondaire, est aussi un moyen d’insertion et de réinsertion, selon elle.
« A l’horizon 2030, la société guinéenne devrait être celle où les filles devraient être scolarisées à 100%, ce qui ramènerait la déperdition scolaire des filles à 0%, entre autres », a-t-elle indiqué