Dans un an, l’aéroport de Dakar sera délocalisé à Diass. L’Etat reste imprécis sur les affectations futures de ce domaine public très convoité. Les populations riveraines et particulièrement de Terme Nord se heurtent à une rétention d’informations qui les poussent à craindre des affectations qui les excluent et les ignorent. En partenariat avec l’Institut Panos, Le Quotidien est allé percer les secrets de ce patrimoine et des initiatives d’exploitation en cours ou envisagées.Le gouvernement pense à en faire un aéroport régional ou une cité des affaires. Une décision définitive n’est pas encore rendu publique. Du coup, l’heure est aux craintes et à la vigilance.
Lotissements ambigus, Absence d’implication des populations,… : Terme Nord maintient le cap de la résistance
Des riverains de l’aéroport de Dakar vivant à Terme Nord ne sont pas restés indifférents aux actes posés par l’Etat et aux occupations des terres de l’aéroport où ils habitent. Face au manque d’informations et à la prolifération des constructions qui ignorent leurs besoins, ils ont mis en place un collectif pour mieux résister et garder le seul espace où ils espèrent étendre leurs habitats.
La zone est estampillée «servitude de l’aéroport». Une vue sur le tarmac y est gratuite. A défaut, il est loisible de contempler la bande qui a reverdi sous les effets de la pluie. A Terme Nord, les constructions en dur pullulent mais aucune d’elle ne dépasse le niveau zéro. L’architecture de certaines bâtisses est édifiante sur l’ancienneté coloniale.
A côté, les échoppes exhibent charme et articles. Elles ne désemplissent pas. Les rues sont animées. Les enfants jouent, côtoient les flaques d’eau. Les jeunes, formés en équipes de football, s’alignent sur un terrain rocheux, rocailleux et hostile aux pieds nus. Sueur dégoulinant sur les visages, ils cultivent leur talent de footballeur. Dossards et maillots se confondent. Terme Nord ou «Yoff aéroport» est une bourgade de 3 hectares loin des yeux indiscrets des passagers de l’Aéroport international Léopold Sédar Senghor (Ailss). Elle vit au rythme chaleureux des quartiers populaires de Dakar. En cette matinée de vendredi, une partie de l’unique aire de jeu disponible est rendu impraticable par une stagnation d’eaux de pluies. On y tape le ballon, poitrines nues. Mais l’inconfort a fini d’indisposer. Seau à la main, les footballeurs se débrouillent pour faciliter l’infiltration.
Cette terre qu’ils habitent a été «héritée» de leurs parents. Le hic est qu’elle appartient au domaine foncier de l’aéroport. Quartier situé entre le hangar les pèlerins et la gare de fret, Terme Nord symbolise tous les enjeux liés aux terres de l’Aéroport Léopold Sédar Senghor à la veille de la délocalisation de toutes les activités aéronautiques à Diass. Une telle opération est prévue au premier trimestre de l’année 2015. L’Etat est imprécis sur la prochaine utilisation de ce domaine public artificiel paradoxalement fruit de titres fonciers et d’expropriation des populations dakaroises, au début des années 1970 pour cause d’utilité publique. En ce moment, des Aéroports du Sénégal à l’Asecna, tous les services se préparent au déménagement.
A Terme Nord, les habitants ont hérité des maisons de leurs parents qui travaillaient à l’aéroport, une plateforme qui a bâti sa renommée à partir de la deuxième Guerre mondiale en tant que base de transit des Forces alliées. Certains bâtiments jouxtant le mur de l’aéroport gardent encore le secret de débarquements des soldats américains à Dakar.
Un recasement à Diamniadio refusé
Les parties vierges du site aéroportuaire attirent. Les gros bonnets y arrachent des parcelles. L’Etat expose les premiers habitants à l’expulsion. Ce faisant, Terme Nord se réveille, agit et défie les éventuels accapareurs du modeste espace qui leur reste pour un éventuel projet d’extension. Les pontes de l’ancien régime libéral se sont alignés à partir de l’hôtel Onomo jusqu’au hangar des pèlerins, malgré les exigences de sécurité aérienne. Aujourd’hui, ledit hangar est un barrage à ne pas franchir. Les populations se sont levées contre l’occupation de ce qui leur reste comme terres.
Un «Collectif de veille et de sauvegarde des intérêts de Terme Nord» est né. Il est sur le pied de guerre. La structure avait morcelé l’espace en 180 parcelles. La Direction de la conservation des sols (Descos) n’avait pas hésité à tout raser. Une manifestation a été organisée par les populations, le 24 juin 2012. Elle a eu des effets. Lors du Conseil des ministres décentralisé à Ziguinchor, le 26 juin suivant, le Premier ministre a confirmé la suspension du morcellement et des constructions sur cette réserve considérée comme «servitude aéronautique».
Au mois de novembre 2012, le préfet de Dakar d’alors Ibrahima Sakho – il est l’actuel gouverneur de la région de Saint-Louis -a pris un arrêté pour confirmer la suspension des chantiers, mais aussi pour normaliser certaines maisons en construction aux alentours de l’hôtel Onomo.
Dans l’article premier de son arrêté, le Préfet Ibrahima Sakho avait prononcé «la levée partielle de la mesure de suspension des opérations de construction ou de transformation d’immeubles sur les lots de terrain situés aux abords de l’Aéroport international Léopold Sédar Senghor, à l’exception des lots impactés par les servitudes aéronautiques». Le deuxième article de l’arrêté liste les parcelles impactées par les servitudes aéronautiques. Il s’agit du site réclamé par les habitants de Terme Nord où «la suspension des travaux ordonnée par arrêté n°165/P/Dk du 28 juin 2012 continue à s’appliquer».
Une bataille est gagnée et non pas une guerre. L’Etat reste imprécis sur leur avenir aux abords de l’aéroport de Dakar. Depuis, le collectif est l’unique mandataire des habitants de Terme Nord. Ses responsables sont impliqués dans une procédure et une concertation avec l’administration. D’ailleurs, décision a été prise de ne plus livrer d’informations, «le temps de rassembler tous les éléments du dossier», selon le secrétaire général du collectif, Mamadou Lamine Diagne. Ceci court depuis l’Assemblée générale tenue le 3 septembre passé.
Les 5.000 habitants de Terme Nord attendent de la part de l’Etat et du collectif la suite qui a été donnée à leurs préoccupations. Certains d’entre eux veulent que leurs espaces de vie soient immatriculés à leurs noms, si jamais les autorités déclassent ce domaine public. Ces dernières leur avaient proposé un site de recasement à Diamniadio. Ce que les jeunes et les femmes ont décliné. Ils l’ont vivement démontré devant les caméras lors de la manifestation de juin 2012. Etant seul maître à bord pour le moment, l’Etat peut délivrer des baux occupants à moins que les anciens propriétaires victimes d’expropriation viennent réclamer leurs terres. Ils peuvent procéder ainsi, si le motif d’utilité publique disparaît.
Un aéroport régional à Dakar ?
Au-delà, l’avenir de tout ce patrimoine foncier de l’Aéroport Léopold Sédar Senghor suscite des interrogations. Au niveau des Ads, il est confirmé que toutes les activités seront transférées à l’Aéroport international Blaise Diagne. Une source interne d’informer qu’un Comité de transfert y travaille actuellement. D’ailleurs, malgré le satisfecit des travailleurs, le décret 2012-462 du 23 avril 2012 abrogeant ceux «portant création et fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de l’Agence nationale des Aéroports régionaux du Sénégal et dissolution de l’Agence des aéroports du Sénégal» ne précise point que Dakar gardera son aéroport à la suite de l’ouverture de l’Aibd. L’exposé des motifs éclaire sur beaucoup de points dont le transfert des activités aéroportuaires et commerciales à l’Aibd. «A l’issue des travaux de construction de l’Aéroport international Blaise Diagne, les activités de l’aéroport Léopold Sédar Senghor devaient être arrêtées et transférées à l’aéroport Blaise Diagne. C’est ainsi que le gouvernement avait procédé à la dissolution de l’Agence des Aéroports du Sénégal. Face aux difficultés apparues dans la gestion dudit aéroport, un projet en cours d’exécution ne pouvant se substituer à une structure étatique, l’Agence des aéroports du Sénégal (Ads) doit être rétablie dans son rôle d’unique gestionnaire des Aéroports du Sénégal, par l’abrogation du décret n°2012-175 du 26 janvier 2012 qui avait procédé à sa dissolution.»
Le premier vol devant décoller ou atterrir à l’Aibd est prévu pour le début du second semestre de 2015. Que fera-t-on du magnat foncier ? La question ne met point à l’aise certains officiels si bien qu’ils choisissent de ne pas être cités. Selon une source proche du ministère des Transports aériens, l’Etat étudie les dispositions de garder «un aéroport régional à Dakar, dans la mesure où toutes les grandes métropoles en ont au moins deux».
Les travaux de sécurisation du mur de clôture sont enclenchés. Les mécaniciens de véhicules installés sur «l’ancienne piste» proche de Mermoz sont sur le point d’être déguerpis. Une indemnisation est en cours d’étude. Pourtant, certains d’entre eux ne comprennent pas l’opportunité de leur départ du site, à la veille de l’ouverture de l’Aibd. «A vrai dire, nous ne savons pas ce que l’Etat veut. Il devait plutôt penser à nous céder cet espace pour qu’on puisse travailler dignement en ce sens que l’essentiel des activités seront transférées à Diass. Les choses ne sont pas claires. Comme tout le monde, on voit que tous les alentours de l’aéroport sont habités par des gros bonnets», déclare le mécanicien Moustapha Séye. Il est convaincu qu’un aéroport régional n’aura pas les mêmes proportions d’une plateforme internationale en termes de superficie.
Le Qatar et la Cité des affaires de Macky Sall
Quant aux éventuels autres projets, le président de la République ne s’est pas encore prononcé, si ce n’est devant l’Emir du Qatar. Lors d’une visite effectuée dans ce pays le 26 février passé, le chef de l’Etat a exposé un projet de construction d’une Cité des affaires. Ce jour, le Président Sall a manifesté sa volonté de mettre à disposition le site de l’Ailss pour la réalisation de cette Cité des affaires comme initialement prévu par son prédécesseur Abdoulaye Wade. Le résumé de présentation du projet élaboré par l’Agence de promotion des investissements et des grands travaux (Apix) indique que «la Cité des Affaires sera implantée sur le site de l’actuel Aéroport Léopold Sédar Senghor de Dakar, qui sera libéré à la fin de l’année 2011, après la mise en service du nouvel Aéroport international Blaise Diagne».
Les objectifs d’un tel projet sont d’implanter un complexe immobilier «permettant d’offrir les capacités d’accueil, les infrastructures et les services nécessaires à l’implantation de quartiers généraux de grandes multinationales et d’entreprises souhaitant développer des plateformes de redéploiement régional de leurs activités à partir de Dakar». Pour ce faire, les réalisations sont étalées dans le temps. Ce qui fait que «les aménagements prévus seront réalisés de manière progressive, sur la base d’un programme architectural et urbanistique englobant l’ensemble du site (800 ha). L’étude de faisabilité a été terminée en 2010».
Le Sénégal a proposé aux Qataris le site de l’actuel Aéroport Léopold Sédar Senghor avec une superficie de quelques 800 ha. A défaut, ils peuvent opérer aux abords du Lac rose ou même sur le site de l’actuel Camp militaire Leclerc de Liberté 6. Le choix définitif d’un site attend d’être officialisé. L’aéroport de Dakar reste en ligne de mire.
Réduction de 1601 à 800 hectares : Une plateforme perdue par l’habitat
L’un des bulletins d’informations de l’Aof de 1953 révélait une vaste plaine appréciable à partir du phare des Mamelles. Aujourd’hui, les efforts du Président Senghor d’agrandir l’aéroport de Dakar jusqu’à 1601 ha sont anéantis après son départ. En 2011, l’aéroport ne comptait pas plus de 800 ha.
La primeur était venue de Aminata Niane, l’ancienne Directrice générale de l’Apix. «Elle nous a dit ici que l’aéroport de Dakar est grand de 1601 ha. Donc, 2501 ha suffiront pour disposer d’un aéroport sécurisé à Diass, soit 1000 ha de plus», se rappelle le président de la Commission domaniale, Bathie Sène, de la commune de Diass, qui avait pris part à une audience publique tenue dans sa localité.
Depuis 1974, le domaine foncier de l’aéroport de Dakar est presque réduit de moitié. D’ailleurs, selon l’expert en aéronautique par ailleurs expert en droit des affaires, Djibril Birasse Bâ, «on ne saurait procéder à un recensement sérieux et complet sans tenir compte des occupations illégales du domaine aéroportuaire et de certains immeubles mis en location depuis de très nombreuses années, pour un montant purement symbolique, et qui sont devenus pratiquement propriété des locataires». M. Bâ montre dans un article que le domaine de l’aéroport de Dakar englobe des terres de cultures acquises auprès de certaines familles sénégalaises, des terrains militaires dits de l’aéronautique et les biens immobiliers résultant de l’expropriation pour cause d’utilité publique des familles vivant dans les villages de Ngor, Yoff et Ouakam. En effet, le principal terrain de l’aéroport de Dakar reste le titre foncier (Tf) 4407/Dg du 15 avril 1944. Il était acquis suite à une réquisition datée du 22 juin 1943 et pour une surface globale de 471 hectares. 91 personnes avaient été expropriées à cet effet.
Toutes ces terres ont été cédées à 40 francs Cfa le mètre carré en 1943. Le montant global était de 23 millions 928 mille 320 francs Cfa. Il s’y ajoute les terrains militaires français. Ils ont été mis à la disposition de l’Asecna depuis le 1er janvier 1961. Plus tard, précisément le 18 septembre 1962, un Accord domanial a été signé entre le Sénégal et la France à cette fin.
Des régimes lotisseurs
L’article 2 du procès verbal portant «régularisation de la mise à la disposition de l’Asecna d’immeubles appartenant à l’Etat français du Sénégal» relatif à l’accord domanial susmentionné précise que «cette mise à disposition ne confère qu’un simple droit de jouissance pour l’agence et que cette dernière s’engage donc à restituer à l’Etat français les immeubles en cause, dans le cas où elle viendrait à être dissoute, à cesser son activité au Sénégal, ou à ne plus avoir l’emploi de certains bâtiments et terrains…». Il s’est ensuivi l’Accord domanial du 29 mars 1974 relatif au «transfert à la République du Sénégal de la propriété de tous les terrains et immeubles immatriculés au nom de l’Etat français y compris les biens de l’Asecna».
Ce document inconnu des Archives nationales, précise les parcelles qui composent le domaine de l’Aéroport Léopold Sédar Senghor et les constructions qui y sont édifiées. En plus du titre foncier précité, il s’agit des Tf «4189/Dg du 14-10-1941» (5ha), «4366/Dg du 1er-07-1943» (12 ha environ), «5019/Dg du 22-12-1948» (62 ha 80 a). Pour des besoins d’allongement de la piste d’atterrissage principale, il a fallu procéder à une opération d’expropriation pour cause d’utilité publique, portant sur de vastes superficies situées aussi bien vers Yoff Tonghor que du côté de l’actuelle Voie de dégagement nord (Vdn). Elles portaient également sur la bande verte. Pour ce faire, le Président Senghor prit le décret n° 74-938 du 19 septembre 1974.
Les numéros des titres fonciers, de même que les noms d’une trentaine de propriétaires figurent dans ce document disponible aux Archives nationales. Aujourd’hui, en dehors des installations de l’Asecna, la superficie de l’Ailss déterminée en 2010 par l’Apix est de 800 ha ; ceci surtout à cause des multiples déclassements qui ont fait aujourd’hui le quartier Mermoz, les cités Asecna, Avion, Touba Ouakam, Yoff aéroport, Biagui, une bonne partie des Almadies et de Terme Sud (Ouakam). Le régime de Abdoulaye Wade a simplement accéléré la cadence des lotissements héritée des Socialistes.