Soutenir la production et le partage d'informations qui contribuent au changement social

Les paysans d’Ourour promettent un «Fanaye bis» à l’anoc, si…

L’afflux de politiciens devenus «des agriculteurs du dimanche» et de sociétés étrangères vers les terres du monde rural a engendré, ces dix dernières années au Sénégal, de vives oppositions qui ont affecté plusieurs localités du pays. Le cas de Fanaye, dans le département de Podor, qui a entraîné des pertes en vie humaine a été dramatique. Un évènement similaire est en phase de se produire à Ourour, une communauté rurale située à 17 km de Kaolack, si l’Etat ne prend pas ses dispositions.

En fait, le lancement en 2008 de la culture du Jatropha, communément appelé «tabanani» en wolof, dans la communauté rurale de Ourour, a fait que les paysans qui avaient bradé leurs terres à la société African national oil corporation (Anoc), n’ont plus d’espace où cultiver. Ne pouvant plus supporter cette situation de pauvreté indescriptible, à cause de l’occupation des terres par une culture impropre à la consommation, les populations de Ourour, qui sont sur le pied de guerre, comptent désormais résister farouchement à l’accaparement de leurs terres. D’ailleurs, elles promettent un «Fanaye bis» si l’Anoc ne leur restitue pas leurs terres acquises «illégalement». Alors, pour éclaircir ce flou qui entoure ce cas d’accaparement inédit où les populations ont été amenées à vendre l’hectare de terre à 20 000 francs Cfa à l’Anoc, Le journal «Le Populaire», en collaboration avec l’Institut Panos et l’Union européenne, a fait des investigations à Ourour. Nous vous proposons ici le premier jet.

Située dans la région de Kaolack, suite à un nouveau découpage administratif, la Communauté rurale de Ourour fait désormais partie du département de Guinguinéo, arrondissement de Nguelou. Elle est à 215 km de Dakar et constitue une zone de transition entre le Sine et le Saloum.  D’après le Plan local de développement de la Communauté de Ourour, l’agriculture pluviale constitue la principale activité économique des populations. En effet, elle emploie 99% de la population active, qui emblave chaque année près de 10 000 hectares. Cependant, développer l’agriculture vivrière à Ourour est très difficile ces dernières années et l’implantation de la société African national oil corporation (Anoc) qui y développe la culture du Jatropha a été jugé néfaste. 

A l’entrée du village de Ourour Sinthiou, zone la plus touchée par la culture du Jatropha, ce sont les plantes du Jatropha sillonnant le long de la route qui attirent d’emblée les attentions. Dans ce village, les paysans n’ont plus où cultiver et cette situation prévaut depuis 2008, quand l’Anoc, qui est une entreprise franche d’exportation italo-sénégalaise à capitaux mixtes, accompagnée et appuyée par l’Apix, a investi la communauté rurale de Ourour. Et c’est sur la place du village, près de la mosquée, que nous avons trouvé le chef de village avec ses voisins pressés de nous narrer leur calvaire quotidien.

Comment l’Anoc a dupé les paysans qui ont bradé leurs terres à 20 000 F Cfa l’hectare

D’après le rapport de l’Initiative prospective agricole et rurale (Ipar) produit en juillet 2012, l’Anoc a signé une convention avec l’Etat du Sénégal pour la production et la commercialisation du Jatropha appelé «tabanani» en wolof et ses produits dérivés. L’entreprise avait un projet de montage d’une usine de transformation et son laboratoire test pour la production de l’huile végétale pure (Svo : Straight vegetabal oil) installé à Ngaparou. Selon toujours le rapport de l’Ipar, l’Anoc projette de faire 20 000 litres de carburant à partir de graines de Jatropha en 2012, puis 480 000 en 2013. Pour 2014, une production de 2,3 millions de litres est prévue alors que 4,8 millions de litres sont prévus pour 2015 et 12,4 millions pour 2016. La production de bio-diésel et de Svo est destinée au marché européen. Des prévisions qui ne se vérifient pas sur le terrain, puisque depuis qu’elle s’est implantée à Ourour, l’Anoc n’a pas produit «un seul litre d’huile» de Jatropha. C’est en tout cas, les confessions des deux principaux membres du projet Fatou Kiné Ba et Madani Ndiaye le Coordonnateur. 

Tout a débuté quand Fatou Kiné Ba, native de Ourour, est allée faire une offre alléchante à une population frappée par la précarité. Jugeant que beaucoup de «terres n’étaient plus cultivées », elle a saisi l’aubaine pour conduire le promoteur italien Alessandro Milani à Ourour pour une opération de charme sous tendue par des promesses dont les populations ne verront jamais la réalisation.

Cependant, elle ne manque pas d’arguments pour justifier le modus operandi qui a incité les paysans à lui vendre l’hectare de terre à 20 000 francs Cfa. «J’ai tenu la réunion dans mon village avec mes frères pour leur expliquer l’utilité du projet dans une zone aussi défavorisée. On a forcé la main à personne. En réalité, les paysans ne cultivaient presque plus», se défend-elle au beau milieu de son salon.

Des propos qui entrent en contradiction avec ceux de Abou Ba, un jeune paysan rencontré sur la place publique du village de Ourour Sinthiou. M. Ba, qui déclare avoir assisté à la première réunion tenue dans la chambre de Alpha Diallo, de confier que Kiné Ba avait bien usé de stratagèmes pour arriver à ses fins. «Elle était avec l’Italien Alessandro Milani qui, selon elle, ne comprenait aucun mot français. Elle nous a défendu d’informer le sous-préfet ou de le mettre au courant que l’Anoc a donné 20 000 francs Cfa en échange de chaque hectare de terre. Elle ne voulait pas qu’on parle de vente», dit-il.

Promesse de recruter les jeunes d’Ourour comme ouvriers agricoles payés 75 000 F/mois

Poursuivant, Abou Ba renseigne que Kiné Ba avait promis de «payer aux ouvriers agricoles 75 000 francs Cfa par mois, soit 2500 francs Cfa par jour. En plus, elle avait promis que la société installerait  des forages dans tous les champs, des fils de fer barbelés pour délimiter les champs, et une usine qui produirait de la glace et qu’elle emploierait les fils de Ourour. Elle avait aussi dit que des voitures seraient mises en circulation pour desservir la zone et que les fils de Ourour y seraient employés comme chauffeurs». De belles promesses qui, ajoute M. Ba en hochant la tête, «nous avaient motivé à brader nos terres sans réfléchir».

Et Abou Ba n’est pas le seul à avoir accordé sa confiance à l’Anoc. Une soixantaine de paysans ont bradé ce jour-là leurs terres. Parmi ces derniers figurent Pape Ousmane Diallo. Il a vendu 9 ha à l’Anoc. «Ils ont marchandé à leur arrivée directement avec nous. Ils ont fait signer à nos pères sur du papier blanc et vierge. On leur avait demandé des contrats qu’ils ont refusé de nous donner. Ils avaient dit qu’on deviendrait des ouvriers agricoles dans nos propres champs et qu’ils nous paieraient à la fin du mois 75 000 francs Cfa. Une promesse qu’ils n’ont jamais tenue», martèle-t-il.

Dans un compte rendu de la mission d’Enda Pronat de décembre 2013 rédigé par Ardo Sow et Salma Bidjil Fall, les deux collègues de Mariame Sow ont recueilli le témoignage de Mamadou Dia qui révèle que «l’Etat a envoyé Alessandro Milani dans la Communauté rurale de Ourour pour une exploitation de 250 ha avec une délibération du Conseil rural». Mais à l’en croire, l’Anoc a voulu acquérir plus que ce qu’on lui avait octroyé. «Au lieu de se limiter à cette superficie, note-t-il, plus de 1000 ha sont octroyés à ce promoteur avec la complicité de certaines autorités».

«L’Etat du Sénégal n’est pas au courant de cette transaction foncière»

D’après M. Dia, «l’Etat du Sénégal n’est pas au courant de cette transaction foncière». Et de raconter sa rencontre avec Kiné Ba et Alessandro Milani : «Par l’intermédiaire du marabout Alpha Diallo, nous avons rencontré Kiné, qui nous dit que si nous ne cédons pas les terres, c’est l’Etat qui va les prendre de force pour les donner à Anoc, donc mieux vaut accepter cette transaction. J’ai interpellé le promoteur sur la forme d’acquisition des terres, si c’est un achat ou une location, il me répond qu’il loue la terre pour 25 ans». Soulignant avoir découvert le pot aux roses, Mamadou Dia se rétracte et tire la sonnette d’alarme. «Cette affaire est une grosse arnaque», avait-il dit à ses collègues. Un ancien président de la communauté rurale de Ourour à l’époque, qui a voulu requérir l’anonymat, a fait savoir que «les populations ont presque vendu toutes leurs terres. C’est après que l’Anoc est venue nous voir pour se procurer une délibération».

Djiby Diop, Conseiller rural de 2004 à 2009, enfonce le clou : «L’Anoc a continué à acheter des terres et sans délibération, ils ont obtenu des terres parce qu’ils sont allés négocier directement avec les populations. Ce qui est illégal. Mais, sous le magistère du Pcr Ousmane Diallo, aucune délibération n’a été donnée à l’Anoc. Car il estimait que celle-ci ne respectait pas les règles d’affectation des terres». Néanmoins, Fatou Kiné Ba soutient qu’«ils parlent de vente mais ce n’est pas le cas. Si vous voyez les actes de cessions vous verrez qu’ils n’ont pas signé sur une feuille blanche». Sauf que Kiné Ba et Madani Ndiaye, le Coordonnateur, ne nous ont montré aucun acte de cession réfutant les propos des paysans. 

Des promesses jamais tenues par l’Anoc

Non seulement sur le terrain nous n’avons vu aucune réalisation de l’Anoc, mais le nombre d’ouvriers agricoles a été revu à la baisse. La promesse d’employer les propriétaires des terres comme ouvriers agricoles n’a pas été totalement respectée. C’est en tout cas ce que nous a confié un ancien Pcr sous le couvert de l’anonymat : «la promesse que l’Anoc n’a pas tenue, c’est le fait d’avoir assuré que ceux qui leur avaient vendu leurs terres seraient prioritaires ainsi que leurs familles au moment  d’embaucher des ouvriers agricoles. Après que les populations leur ont vendu ces terres, ils n’ont pas embauché le propriétaire ou encore les membres de la famille. C’est vrai qu’au début, ils avaient embauché quelques uns, mais ils ont failli à leur parole au fur et à mesure que le projet avançait».

Une information qu’on a pu vérifier auprès de Bara Sall, Responsable du personnel de l’Anoc. Sur le registre qu’il nous a montré, de «15 employés le samedi 08 mars 2008, l’Anoc est passée à 227 employés, dont 98 habitants à Ourour». Ce qui ne constitue même pas la moitié des ouvriers natifs de Ourour. Et notre source de nous révéler qu’«aucun contrat ne lie les ouvriers agricoles à l’Anoc».

Cependant, Madani Ndiaye, coordonnateur du projet, a versé dans des dénégations, sans manquer de nous présenter des spécimens de contrat où ne figure aucune signature. 

Le nombre d’hectares obtenus par l’Anoc reste un mystère

Si dans le rapport de l’Ipar il était indiqué que 750 ha avaient été cédés à l’Anoc, aujourd’hui il est difficile, voire impossible, de prouver avec exactitude combien d’hectares dispose l’Anoc dans la Cr de Ourour. La guerre des chiffres est à son paroxysme. Selon le chef de village de Ourour Sinthiou, Gallo Bonko Ba, «lors de notre première rencontre, ils disaient avoir 356 ha. A la rencontre suivante, ils ont déclaré avoir 581 ha. Quand la polémique est devenue encore beaucoup plus vive, ils ont dit avoir 782 ha». Mais le Coordonnateur du projet, très remonté contre les paysans, déclare : «Nous ne disposons que de 369 ha qui sont exploités». Des propos qui ne sont pas conformes avec le nombre figurant sur la liste des vendeurs dont nous avons copie et qui est de 451 ha. Aussi, la question qui s’impose est de savoir où sont les hectares restant, si l’Anoc n’exploite que 369 ha. En tout cas, Matar Kori Ndiaye, un des paysans, semble donner un début de réponse. «L’Anoc me loue depuis 2008 des champs où je cultive de l’arachide», nous dit-il, tout en refusant de donner le montant de la location.

Et comme par enchantement, le registre foncier de la Communauté rurale de Ourour demeure «introuvable depuis juin 2012», d’après Mamadou Dia qui l’a révélé dans le rapport d’Enda Pronat. Raphaël Diouf, adjoint à la Délégation spéciale dans ledit rapport. Mais à qui profite la disparition du registre foncier de Ourour ? Mystère et boule de gomme. En attendant qu’on le retrouve, les langues se délient dans cette communauté rurale où règne un climat délétère.

Les dessous d’une exploitation

La production du Jatropha continue encore à Ourour, alors que l’Anoc n’a toujours pas enregistré les résultats escomptés. Une situation bien curieuse et qui nous a été exposée par le Coordonnateur, Madani Ndiaye, qui se confesse : «On n’ rien gagné avec ce projet, donc on ne peut pas augmenter les salaires tels que le veulent les paysans. Si cela ne dépendait que de moi, on rendrait toutes les terres et on mettrait fin au projet. Mais à condition qu’ils nous compensent. S’ils sont prêts à le faire, nous leur restituons leurs terres. Car on en a marre de l’ingratitude de ces paysans. Il y en a qui combattent le Jatropha, car soutenant qu’il appauvrit la population et pourtant on a évité toutes les zones à problème». Kiné Ba, sa collègue, avoue que le projet est en léthargie. «Pendant 7 ans, nous n’avons rien gagné dans ce projet. On a faussé l’étude et les données de départ sur le Jatropha. Nous avons enregistré de forts taux de mortalité, c’est pour cela que nous y avons associé la culture de l’arachide l’année dernière et on a récolté 9 tonnes soit 1 900 000 francs Cfa que nous avons utilisés pour payer les salaires».

Toutefois, des sources très au fait de la situation qui prévaut à l’Anoc nous ont confié que «s’ils disent n’avoir rien gagné avec la culture du Jatropha et que pourtant ils continuent, c’est parce qu’en réalité, que le projet marche ou non, cela n’intéresse aucunement Alessandro Milani. Il bénéficie non seulement d’une subvention de la Banque mondiale pour la culture du biocarburant, mais il perçoit aussi une subvention de l’Union européenne pour le crédit Carbonne». D’après notre interlocuteur, «le Jatropha est pour eux un alibi pour toucher à ces fonds». Et notre source d’indiquer «qu’il n’y a pas de perte, d’autant plus que la société n’emploie qu’une trentaine d’ouvriers. Donc, il n’y a pas de dépense pratiquement».

Une révolte violente, c’est ce que promettent les populations d’Ourour à la société African national oil corporation (Anoc) qui a pris leurs terres pour y cultiver le Jatropha, si elle ne leur restitue pas leurs champs.

Outrés par une situation calamiteuse qui risque de dégénérer d’un moment à l’autre, les paysans d’Ourour ne comptent plus rester sans réagir face à ce cas d’accaparement de leurs terres. Las d’attendre l’appui des autorités qui tardent à se manifester, les paysans promettent un «Fanaye bis», si la société African national oil corporation (Anoc) qui a pris leurs champs pour y cultiver du Jatropha ne leur restituent pas les terres acquises «illégalement». Elles promettent une révolte plus violente que celle de Fanaye, du nom de ce village du département de Podor où les populations se sont opposées à un projet similaire porté par la société SenHuile-SenEthanol qui a débouché sur des morts d’hommes. D’après Adama Gallo Ba, un des agricultures victimes de cet accaparement, l’Anoc a l’obligation de leur restituer leurs terres si elle ne cultive plus du Jatropha.

Le chef de village de Ourour Sinthiou, Gallo Bonko Ba, souligne que «dans les délibérations, on avait bien indiqué que si l’Anoc ne cultive plus du Jatropha, les champs devraient retourner à leurs propriétaires. Pourtant, le sous-préfet est témoin de ce qui se passe et il n’a rien dit». Et puisque cette clause n’est plus respectée, M. Ba prévient : «Nous sommes prêts à y laisser nos vies. L’Anoc devra nous restituer nos terres de grès ou de force». Moussa Sow, un paysan de Ourour, a déjà commencé le combat contre les autres ouvriers favorables encore au projet de l’Anoc. «Je refuse désormais qu’ils cultivent sur mes terres. Si je trouve quelqu’un là-bas, il me tue ou je le tue», avertit-il, lui dont le refus lui a

valu une convocation, le vendredi 18 juillet 2014, à la gendarmerie de Guniguinéo. En fait, c’est le sous-préfet actuel, après des plaintes de Madani Ndiaye et Kiné Ba, représentants de l’Anoc, qui a demandé au chef de Brigade de la gendarmerie de Guinguinéo de le convoquer. Il lui sera ensuite intimé

l’ordre de laisser Madani et Kiné continuer leur travail.

Une plainte contre l’Anoc bientôt sur la table du procureur

Mais cela est tombé apparemment dans l’oreille d’un sourd. Car les paysans persistent et signent qu’ils vont s’opposer, au corps si nécessaire, pour récupérer leurs biens. Ils ont monté un comité de lutte coordonné par Bocar Diallo, directeur d’une école à Lambock. Mieux, les paysans ont décidé d’ester en justice. En effet, l’ancien chef de village de Ourour Kada 2, Diamoula Diallo, nous a informés que «bientôt une plainte sera déposée au près du procureur contre l’Anoc pour la restitution de nos terres acquises frauduleusement».

Une frange des paysans encore favorable au projet de l’Anoc

Bien que la culture du Jatropha soit une menace pour la sécurité alimentaire des paysans de Ourour qui n’ont plus de terres où développer les cultures vivrières, certains paysans qui disent se retrouver dans ce projet, continuent à témoigner leur confiance à l’Anoc. Parmi eux, Bara Sall, le délégué des ouvriers agricoles affirme que «les gens n’ont pas été forcés. Ils ont délibérément cédé leurs terres, on leur a donné leur argent, et par la suite l’Anoc est allé au Conseil rural pour avoir des délibérations. Moi, en tous les cas, je me retrouve dans ce projet, car nous sommes dans une zone d’une extrême pauvreté et avec ce qu’on me paie à la fin du mois, j’arrive à joindre les deux bouts. Mais chacun est libre, maintenant de travailler pour le projet ou de ne pas travailler». De son côté, Thierno Diallo, trouvé dans les champs de Jatropha se trouvant sur la route qui mène à Fass, ne compte pas renoncer à son emploi, même s’il ne tient pas le même langage que ses employeurs qui disent n’avoir pas fait de bénéfices au bout de 6 ans. «On nous payait 45 000 francs Cfa. Et on a toujours perçu notre argent à temps. La culture du Jatropha marche. Maintenant, ceux qui ne veulent pas travailler sont libres. Moi, j’ai donné 3 ha et demi et on m’avait remis près de 80 000 francs Cfa. Je ne pense pas que cela soit un achat, parce qu’on ne peut pas acheter des terres. Elles appartiennent à l’Etat», explique-t-il. Même son de cloche chez son camarade Ibrahima Senghor, qui croit que «des gens veulent jeter l’anathème sur l’Anoc, mais nous avons tous vendu quelques hectares de nos terres à la société. J’ai vendu 3 ha et j’ai gardé les 12 ha que je cultive».

Adama Sow, quant à lui, a révélé que leurs salaires ont connu une hausse ces derniers temps. «Actuellement, on nous paye 55 000 francs Cfa et ils ne peuvent pas augmenter encore les salaires, parce que l’Anoc n’a pas encore fait de bénéfice. Mais c’est un projet qui nous permet de vivre et de subvenir à nos besoins».

La loi sur le Domaine national foulée aux pieds par l’Anoc avec la complicité du Cr

L’Anoc, de connivence avec les autorités locales, n’a pas respecté la loi sur le Domaine national. D’abord, quand elle a investi la Communauté rurale (Cr) de Ourour, elle n’a pas pris le soin d’aller voir le Conseil rural pour une affectation de terres, telle que le stipule la loi sur le Domaine national. Pourquoi ? On ne saurait répondre à une telle interrogation. Ce qui est clair, c’est que parmi les critères exigés pour l’affectation de terres, l’Anoc ne remplissait aucune des conditions exigées par l’article 241 du Code des collectivités locales. En sus, sa collaboratrice Kiné Ba est venue marchander directement avec les populations. Ce qui constitue une violation manifeste de la loi puisqu’elle aurait dû adresser une demande au Conseil rural qui devait s’assurer de la disponibilité des parcelles demandées. Mais c’est après avoir «acheté» les terres auprès des populations que Kiné Ba est allée voir le Conseil rural qui lui a délivré des

«délibérations fallacieuses», car ne reposant sur aucune base légale. Et c’est elle-même qui l’avoue : «On a fait des actes de cessions. On a dédommagé tous ceux qui avaient cédé des terres. Par la suite, on est allé remettre les actes de cession au Conseil rural qui, à partir de là, a remis des délibérations à l’Anoc». Des propos confirmés par un Pcr qui a gardé l’anonymat : «Quand j’ai appris que Kiné Ba était à Ourour pour le projet du Jatropha et que les populations étaient en train de lui céder leurs terres, je suis allé les rencontre pour leur dire qu’ils devaient passer par le Conseil rural. Ils m’ont rétorqué que les terres leur appartenaient et qu’ils pouvaient en disposer comme ils le souhaitaient. Et on n’arrivait pas à mettre la main sur Kiné qui négociait directement avec les populations, sans l’aval du Cr. En ce moment d’ailleurs, le Cr n’avait aucune réserve foncière». Mais malgré tout cela, le Cr a remis des délibérations à l’Anoc. Ce qui remet en cause et fragilise quelque part les fondements de l’administration dans la mesure où, consciente et constatant un fait «illégal» et

«scandaleux», elle a tout de même fermé les yeux pour délivrer des délibérations «fallacieuses ». En plus de cela, l’Anoc ne nous a montré aucun document réfutant les dires des populations, malgré notre insistance.

LAISSEES EN RADE DANS LES TRANSACTIONS FONCIERES

Les femmes accèdent difficilement à la terre à Ourour

A Ourour, plusieurs femmes sont obligées de «louer des terres» à défaut d’avoir leurs propres espaces pour cultiver. Ce qui est ahurissant puisque les terres du Domaine national ne peuvent ni faire l’objet de vente, encore moins de location, selon la loi sur le Domaine national. Mais à Ourour, accéder à la terre est un parcours du combattant, d’après la vice-présidente et coordonnatrice du groupement «Calebasse de solidarité». Diatou Diallo déclare : «L’année dernière, j’ai voulu cultiver et puisqu’il n’y avait aucune terre disponible, on m’a loué des champs à raison de 55 000 francs Cfa juste pour 3 mois. Pis, j’ai enregistré une perte considérable». Les femmes de ce groupement, selon Mme Diallo, veulent faire du maraîchage, «mais on ne voit aucune terre disponible». Disant n’avoir jamais fait de démarche pour accéder légalement à la terre comme les hommes, Diatou Diallo espère l’appui du chef de village Gallo Bonko Ba. Ce dernier précise toutefois que «les femmes m’ont saisi de même que l’association des jeunes pour avoir des terres ou développer leur projet, mais on n’a aucune réserve foncière ici. Toutes les terres ont été prises par l’Anoc qui y cultive du Jatropha. Les femmes avaient des terres qui ont été transformées en lieu d’habitation». Ce que sa soeur Dior Ba, une jeune femme mariée mère de famille et secrétaire générale du groupement «Calebasse de solidarité», nous a confirmé : «Notre groupement la ‘Calebasse de solidarité’ regroupe 70 femmes et on n’a pas de terres où cultiver. Nous voulons faire du maraîchage mais jusqu’à présent nous ne l’avons pas. On a sollicité le Pcr mais il n’a pas pu accéder à notre demande parce qu’il n’y a pas de réserve foncière dans la Cr de Ourour». Mme Ba soutient en revanche qu’elles font de leur mieux pour changer la donne au niveau de Ourour. Seulement, le principal problème, «c’est le Jatropha qui a le plus favorisé cette situation».

BOCAR DIALLO, COORDONNATEUR DU COMITE DE LUTTE POUR LA RECUPERATION DES TERRES CEDEES A L’ANOC

«La question, c’est comment la société est parvenue à obtenir  tous ces papiers qu’elles n’avaient pas avant»

«L’Anoc a démarré ses activités à Ourour dans les années 2007-2008. Installée de manière peu orthodoxe, elle a fait un marchandage direct avec les populations

en achetant les terres à 20 000 francs Cfa l’hectare avec des clauses assez spéciales. Le contrat liant l’Anoc aux populations était verbal et individuel. De pareilles choses ont pu se produire car la majeure partie de la population de

Ourour est analphabète, illettrée et de surcroît très vulnérables».

«Pourtant, j’étais le premier à sonner l’alerte, car ces terres appartenaient à leurs parents, donc ils n’avaient pas le droit de les vendre à d’autres. Mais personne ne m’a écouté. Et quand ils ont compris que l’Anoc les a dupés, ils ont engagé

le combat et m’ont nommé Coordonateur du Comité de lutte pour la récupération des terres cédées à l’Anoc. Nous avons écrit une lettre de protestation au sous-préfet, Ngor Faye, qui était proche de la retraite. Après son départ, le dossier a été transmis à son remplaçant, Dibocor Ngom. Au premier contact, ce dernier était favorable en demandant à la société de fournir des papiers légaux. La société a marqué le pas en arrêtant le travail. Les gens croyaient que c’était fini, mais c’était sans compter sur l’ingéniosité des membres qui sont allés se réarmer. Quand le sous-préfet a convoqué la deuxième réunion, ils sont venus avec des délibérations et des actes de cessions des populations. Maintenant, la question qui taraude l’esprit des paysans, c’est comment la société est parvenue à obtenir tous ces papiers qu’elles n’avaient pas avant. Et je pense que, de connivence avec certaines autorités locales, ils ont pu obtenir ces documents. Mais puisque le sous-préfet a pris fait et cause pour l’Anoc, nous sommes à la troisième phase de notre lutte. J’ai tenté de saisir le Président du groupe parlementaire ‘Benno Bokk Yakaar’ Moustapha Diakhaté,

mais aussi Me El Hadji Diouf, qui a promis de nous aider à ester en justice l’Anoc pour qu’elle nous restitue nos terres».

Qu’est-ce que le Jatropha ?

Genre de plantes dicotylédones de la famille des Euphorbiacée, le Jatropha ou «Tabanani» en wolof dénombre environ 160 espèces. C’est une plante impropre à la consommation. Des tiges renflées à la base de certaines espèces leur valent les noms de plantes bouteilles et de pignons d’Inde. Mais on les appelle aussi médiciniers pour leurs utilisations thérapeutiques auxquelles le genre doit son nom Jatrophé, dérivé du grec jatros, docteur et trophée, nourriture. Les baies et la sève sont toxiques. Le Jatropha curcas, encore appelé pourghère, est celui qu’on cultive à Ourour. L’huile de Jatropha extraite de son fruit peut être utilisée pour la cuisson des aliments, pour fabriquer du savon ou des bougies. Cependant, le rapport «Jatropha : l’argent ne pousse pas sur les arbres», publié par les Amis de la Terre International en janvier 2011, conclut que cette plante n’est pas à la hauteur des espérances. Les rendements sont bien en dessous des promesses.

Par Aminatou AHNE