On pourrait assister à une installation sans esclandres de la société Senhuile dans la commune de Fass Ngom où elle vient d’acquérir 5 000 ha. En plus d’une mise en œuvre d’une charte de gouvernance foncière, sa devancière dans la contrée à savoir la Société de cultures légumières (Scl) de Laurent Nicolas a rassuré les esprits hostiles à travers de multiples actions saluées par les villageois. Ces derniers sont visiblement prêts à accueillir l’agrobusiness qui prendrait en charge leurs préoccupations. Avec l’Institut Panos de l’Afrique de l’Ouest, Le Quotidien est allé fouiner dans cette zone prisée par les investisseurs surtout avec l’arrivée du Projet pour le développement inclusif de l’agrobusiness au Sénégal (Pdidas) financé par la Banque mondiale.
Sauf décision de dernière minute, agriculteurs et éleveurs de vingt deux villages de la commune de Fass Ngom devront prochainement cohabiter avec une ferme de la compagnie Senhuile. L’agrobusiness a acquis 5 000 ha dans cette localité située à 26 km de Saint-Louis. Les terres affectées sont plus ou moins exploitées par les populations, notamment celles de Thianaldé 1 et Thianaldé 2. Dans cette zone non loin du village de Ndialakhar, les potentialités foncières sont palpables. Les petits ruminants sont en pâture. Le tapis herbacé est à la germination, du fait du démarrage tardif de l’hivernage (fin du mois d’août).
Dans les périmètres cultivés, les semis poussent sur le sol dior. On n’est pas si éloigné des canaux alimentés par les eaux du Fleuve Sénégal. Malgré l’aval donné lors des consultations publiques initiées par le Conseil rural de Fass Ngom, des inquiétudes liées à la cohabitation demeurent. Djiby Sow, notable dans les Thianaldé, n’est pas épargné par la psychose qui habite les éleveurs du pays. «On nous prive de plus en plus de zones de pâturage. Quand est-ce qu’on va réellement penser à nous ?» Néanmoins, il est heureux des appuis venant de «Tolu Laurent». Ce vieux berger fait allusion à la Société de cultures légumières (Scl). Impactant les villages de Mboya et de Keur Seya, cette ferme de 300 ha au départ est exploitée par le Français Laurent Nicolas que le Président Macky Sall a reçu il y a quelques mois avec une délégation d’investisseurs conduite par l’ambassadeur de France au Sénégal, Jean Félix Paganon.
La Scl et une charte en exemples
L’agriculteur Mbaye Guèye renseigne que Laurent voulait 900 ha entre Fass Ngom et Gandon. «Il a démarré sur un périmètre de 300 ha en 2009. Ce n’est que récemment qu’il a demandé de nouveaux hectares», précise-t-il. Mbaye Guèye et Djiby Sow sont unanimes que la Scl a mis à la disposition des éleveurs de la contrée des tonnes de fourrages, essentiellement du maïs et du foin d’arachide. «Ce qui nous a permis de faire face à la mauvaise saison des pluies l’année dernière et au démarrage tardif de celui-ci.»
Une fête avait été organisée par les éleveurs pour remercier le fermier. Le jour de notre visite, le charretier qui nous transportait aux champs de la Scl a reconnu que ceux-ci sont la nouvelle source de fourrage pour les éleveurs. Lui-même a tenu à solliciter de quoi nourrir son cheval. Si Senhuile doit s’installer dans la contrée, les habitants attendent autant sinon plus d’elle, du fait de la dimension de l’assiette foncière qu’on lui a affectée. Un notable, qui a souhaité garder l’anonymat insiste sur la nécessité de développer la culture fourragère par la société italienne pour «réduire les longues périodes de transhumance que vivent les éleveurs de la localité».
Contrairement à la réserve spéciale de faune de Ndiael, Senhuile a pu acquérir de milliers d’hectares sans anicroche. En effet, une poussée de fièvre a pu être évitée grâce au processus d’affectation des terres adoptées à Fass Ngom. Une charte a été plus ou moins respectée, celle de la «gouvernance foncière» que cette collectivité expérimente depuis quelques années. Des journées de consultations inter-villageoises ont servi de prétexte aux populations qui seront impactées pour exprimer leurs doléances. Celles-ci ont été prises en charge par la Commission domaniale élargie aux jeunes et aux femmes (articles 8 et 9 de ladite charte). Mieux, les élus locaux de Fass Ngom ont exigé du demandeur un partage du document de projet. La Société d’aménagement et d’exploitation des terres du Delta du Fleuve Sénégal (Saed) a été saisie pour avis.
«Projet toujours à l’étude»
A l’instar de ses voisines du Delta, la commune de Fass Ngom bénéficie d’un plan d’occupation des sols. Puis, invités au siège de la commune, les responsables de Senhuile ont publiquement exposé le projet aux populations présentes. Le Conseil municipal (rural à l’époque) était fondé à affecter les 5 000 ha demandés. Au préalable, il s’est lié à la compagnie à travers une convention. Outre les dons et soutiens divers au profit des populations, Senhuile a commencé à verser un appui budgétaire exceptionnel à la commune, soit 40 millions de francs Cfa pour 2014. Cette année, le trésor local devra recevoir 20 millions de francs comme appui financier annuel décidé d’un commun accord. En dépit d’une non-disponibilité des accords qui lient les deux parties, le premier adjoint au maire Mbaye Fall Diop confirme les versements. Par ailleurs, la convention prévoit d’autres appuis dans le domaine de la santé, de l’éducation, etc. «Un comité de suivi-évaluation a été mis en place. Ensuite, pour que la commune puisse avoir un œil sur les actions, il faut le visa de l’autorité municipale sur les demandes adressées à la société», assure M. Fall.
Pour le moment, la mise en valeur des terres n’a pas encore démarré. La direction de Senhuile ne veut pas s’y avancer outre mesure, car «c’est un projet toujours à l’étude». En conférence de presse à Saint-Louis le 7 avril passé, le directeur général de cet agrobusiness avait abordé la question sans entrer dans les détails. De source gouvernementale, il est confirmé que Senhuile veut produire des semences à Fass Ngom. En effet, le ministère en charge de l’Agriculture l’avait sollicité en 2012, dans le cadre de la reconstitution du capital semencier du Sénégal qui était en nette décroissance ces dix dernières années (50 mille tonnes d’arachide en 2015). La compagnie va cultiver de l’arachide à vendre à l’Etat, principal bailleur des campagnes agricoles.
Affectation de parcelles à usage d’habitation aux jeunes
La tache noire d’une gouvernance
Serait-on en train de privilégier des investisseurs au détriment des jeunes ? Erigée en communauté rurale en 2009, Fass Ngom hérite de la commune de Pal un contentieux. Il porte sur l’alignement dudit village initié en 2006 et qui laisse un goût amer. Un jeune indexe une discrimination géographique dans le cadre de l’attribution des parcelles à usage d’habitation. «Des étrangers ont eu droit à des parcelles proches de la route nationale alors que nous les natifs, nous nous sommes vu affecter des parcelles situées à près de 2 km», confie-t-il. Cette confidence est confirmée par Galaye Diagne, membre de la Commission domaniale entre 2009 et 2015. Outre cette «injustice», d’autres jeunes attendent de pouvoir identifier leurs terrains après avoir payé les frais de bornage au Trésor public.
Mais la voix du Conseil municipal sur cette question relativise. Ce premier adjoint au maire impute la responsabilité à l’ancien Conseil rural de Pal où aucun membre de la Commission domaniale n’habitait à Fass Ngom. «J’avais dirigé la délégation qui était allée à Pal réclamer des parcelles. Le problème de l’identification nous a poursuivis avec l’érection de Fass Ngom en collectivité. La Commission domaniale de Pal n’a pas pu nous transmettre le dossier. C’était 1 500 ou 2 000 parcelles environs. Mais maintenant, le problème de l’identification des parcelles est presque résolu. Il ne reste pas grand-chose. Les jeunes sont aujourd’hui dans la Commission domaniale pour défendre leurs intérêts», explique M. Fall. Toutefois, en dépit de l’intérêt que suscite la localité aux yeux des investisseurs agro-industriels, prévient notre interlocuteur, il n’existe pas de quotas pour cette catégorie de la population. Il leur faut déposer une demande et exiger «un accusé-réception». Celle-ci sera traitée dans trois mois, si la charte de gouvernance foncière fait toujours office de loi.
Mbaye Fall Diop, 1er adjoint au maire de Fass Ngom
«Aucun village ne sera déplacé»
La ferme de Senhuile va donc cohabiter avec les villages. L’une des conditions mises sur la table des négociations a été qu’«aucun village ne sera déplacé», selon le premier adjoint au maire de la localité. «Les préoccupations des populations ont été prises en compte dans la convention», rajoute-t-il. Les risques de contentieux ont été réduits au strict minimum par la Saed. «Avant d’affecter, nous avons consulté la Saed qui a réalisé le plan d’occupation des sols. Ensuite, une étude d’impact environnemental et social a été exigée. Ce qui fait que les terres attribuées n’entravent point les activités agropastorales traditionnelles. Les zones de pâturage ont été respectées. Par exemple, la Scl a construit des abreuvoirs et offert beaucoup de fourrages. Elle n’a même pas offert le foin d’arachide qui coûte cher. Les éleveurs ont organisé une fête pour le remercier», indique l’élu local.
Babacar Diagne, président de l’Association des chefs de village de Fass Ngom
«Les médias ont ouvert les yeux aux populations»
«Ici, la concertation reste un principe respecté. On implique tous les chefs de village. Et puis, la charte de gouvernance foncière n’a pas une grande différence avec la procédure classique. La Commission domaniale est élargie aux jeunes. Toutes les demandes sont examinées par les populations. L’information est partagée dans tous les 55 villages. Concernant Senhuile, on a eu les échos de Fanaye et de Ndiael. Je suis aussi le président de l’Association des chefs de village de la région de Saint-Louis. Les médias ont ouvert les yeux aux populations. Elles sont toutes conscientisées. En plus, ici la Saed nous a fait un plan d’occupation des sols. Ce qui fait qu’on connaît les sites dédiés. Senhuile n’a pas encore commencé à exploiter. Cependant, nous avons ici la Scl de Laurent. Honnêtement, les populations en ont tiré bénéfice. N’eût été lui, le bétail allait souffrir l’année dernière.»