L’ignorance des droits de la femme migrante est source de conflits familiaux. Cela semble la triste réalité. Les autorités maliennes en charge de la diaspora féminine brillent par leur frilosité pour veiller à l’application stricte des mesures de protection des droits de la femme.
Elles sont du mal à prendre en compte de manière efficace et efficiente la dimension genre et migration dans la politique nationale de migration (PONAM).
Ce document de politique migratoire est un ambitieux plan d’action évalué à 120 milliards de francs CFA. Son objectif global est de mieux gérer la migration afin qu’elle contribue à la réduction de la pauvreté et au développement durable du pays d’une part. Et d’autre part, réduire les aspects négatifs liés à la migration.
Au niveau du Département des Maliens de l’Extérieur, on nourrit l’ambition de faire en sorte que les préoccupations de la diaspora féminine soient prises dans la PONAM.
Divergences d’opinions
Très souvent, on constate des cas de conflits familiaux autour de la migration. Lesquels conflits se situent à trois niveaux : regroupement familial, problématique de la pratique des mutilations génitales (excision) et phénomène de mariage précoce des filles.
En effet, nombre de femmes sont victimes de la grave violation ou du non respect de leurs droits fondamentaux à la vie, à la liberté et à la sûreté. Ces dernières constituent la majorité silencieuse. Parmi ces conflits cités plus haut, le dard a porté son choix sur les difficultés liées au regroupement familial. Pour ce faire, une migrante de retour a fait un témoignage émouvant sur sa propre expérience vécue.
Pour une raison ou une autre, le regroupement familial est la première cause des migrations féminines. À propos des difficultés du regroupement familial, un chef de ménage interrogé sur la question déclare : “Dans certains cas, les durées longues de séparation des maris partis et de leurs femmes restées auprès des parents (5 ans et plus) engendrent un lieu de frustrations, qui se fermente au fil du temps avec comme corollaire les divorces et le déchirement du tissu social”.
Les opinions de la population divergent sur la migration féminine. Certains chefs de ménage estiment qu’elle n’a que des avantages. Leur argumentation se fonde sur les transferts matériels et les remises d’argents opérés par les migrantes pour leur famille restée à Kayes.
Par contre, d’autres sont farouchement opposés à cette migration féminine, en arguant qu’elle conduirait à la perte du potentiel de reproduction de la population et accentuerait les disparités économiques entre les ménages qui comptent ou non des migrantes.
Pendant trois longues années d’exil après avoir rejoint son mari en Libye en 2008 et son retour au bercail, ce qui a manqué le plus à Fatouma Bintou Asman , c’était de ne pas pouvoir entrer dans ses droits suite à un conflit familial avec ses beaux parents, ressortissants de la commune rurale de Tonka, une localité connue par sa position de carrefour située à 130 km dans la partie Sud- Ouest de Tombouctou. Cette ville est située en périphérie du désert du Sahara au nord-est de Bamako, la capitale du Mali.
Avant le conflit ayant déchiré la Libye, Fatouma vivait avec son mari à Tadjourah [à 20 kilomètres à l’Est de Tripoli] sans jamais s’y sentir vraiment intégrée. Après que son époux a trouvé l’opportunité de partir en Italie pour retenter sa chance, elle est rentrée au bercail et s’expose involontairement à une nouvelle vie infernale.
L’aventure d’une migrante de retour
« J’ai eu beaucoup de difficultés à rejoindre mon mari en Libye. Quand j’ai quitté le Mali, on m’a fait transiter par le Niger avant de fouler le sol libyen. C’était le calvaire », a rapporté Fatouma, 34 ans, après avoir eu une aventure malheureuse pendant la période d’exil et son retour au pays.
« Quand je suis rentré, j’ai trouvé une belle famille qui avait bafoué mes droits. Je n’avais pas accès à l’argent envoyé par mon mari pour subvenir à ses besoins quotidiens. C’est ma belle mère qui dictait la conduite à tenir. La fille de 11 ans a été déscolarisée par la faute de sa grand’mère qui l’employait quotidiennement. Cette pauvre enfant assurait l’approvisionnement en eau potable, même pendant les heures de classe.
Aussi, elle était chargée des travaux ménagers et assistait la vieille septuagénaire qui vendait des bricoles au marché de détail», s’est-elle lamentée tout en écrasant des larmes chaudes. Avant de regretter l’attitude de sa belle famille qui s’est catégoriquement opposée à son droit de rejoindre son mari déjà installé en Italie.
Selon elle, « la belle-mère pense que son fils (mon mari) n’aura pas assez de moyens financiers pour faire face au regroupement familial dans un pays d’accueil et entretenir sa famille. Notre fils doit faire économiser et réduire ses dépenses pour nous soutenir à travers des envois d’argent ».
Pour rappel, « les envois d’argent constituent la base essentielle du contact avec la famille restée au village. Ils sont destinés prioritairement à l’entretien des ménages ou des familles restés sur place : l’alimentation, la santé et l’éducation des enfants».
Ce qui se fait au détriment de la femme migrante de retour dans sa belle famille où certains membres pensent qu’elle n’a aucun droit à faire valoir. Et qu’elle doit se conformer à leurs exigences ces pratiques illégales et illégitimes. Ce qui reflète sans doute le cas amer de notre célèbre jeune dame qui accepté de relater son récit.
Contrairement à d’autres victimes qui hésitent toujours à prendre le risque de faire étalage de leur mal-vivre, elle reste très ouverte pour revendiquer ses droits, largement ignorés au point d‘être bafoués au sein de la société. Ce, malgré l’existence des textes juridiques et réglementaires sur la promotion de la femme au Mali qui a ratifié beaucoup d’instruments internationaux en la matière.
Tout est fait dans le dos de la femme qui se cherche très souvent à travers une rupture brutale avec sa belle-famille. C’est notamment le cas Fatouma préférant son autonomisation (vivre ailleurs) au lieu de continuer à subir les affres d’une vie sans droits encore moins d’épanouissement, ni pour ses enfants (quatre au total dont deux filles), ni pour elle même.
Fatouma fait partie des centaines de migrantes maliennes qui sont rentrées au Mali depuis la chute du régime Kadhafi, en octobre 2011. Beaucoup se sont cependant retrouvées dans leurs belles familles ou chez des proches parents, leurs droits violés et elles sont sans soutien. A cause de situation de vulnérabilité, il est parfois difficile de trouver de l’assistance juridique et suffisamment de moyens financiers. Les associations de défense des droits de migrants ont peu de capacités pour y faire face.
C’est le cas de l’ARTD, l’association Retour, Travail et Dignité pour les migrants de retour, qui s’active à défendre les droits fondamentaux de ses membres et soutient le ministère des Maliens de l’Extérieur dans la campagne d’information et de sensibilisation sur les dangers liés à la migration irrégulière.
Aussi, cette organisation fait le plaidoyer pour la réalisation des projets de réinsertion socioéconomique en faveur de ses membres. Même si son président Issa Coulibaly déplore le fait que nombre de femmes migrantes de retour qui ont leurs maris à l’étranger sont confrontées à beaucoup de difficultés au sein de leur belle famille.
Après les événements douloureux en Libye, plusieurs migrants dont des femmes de retour ont reçu des financements de 250.000 Francs Cfa dans le cadre d’un programme de réinsertion pour les personnes rapatriées. Plus de 100 rapatriées ont bénéficié d’un soutien assuré par des organisations humanitaires. Des projets préconçus ont été imposés aux bénéficiaires dont certaines ont ouvert des ateliers de couture.
Fatouma était l’une d’elles. Leur principal souci est la prise en compte de leurs droits dans la société. Elles ont désespérément besoin d’être protégées afin d’assurer leur épanouissement. Avant leur retour au bercail, elles travaillaient et elles subvenaient à leurs propres besoins grâce à des emplois en tant aides ménagères pour des familles libyennes.
Droits ignorés !
Cependant, les préoccupations de ces femmes rapatriées ne sont prises en charge, tout comme leurs droits de décider de leur avenir et celui de leurs enfants, d’entreprendre et de s’épanouir.
Ce sont les difficultés empêchant l’entente chez leurs belles familles pour la plupart de ces Maliennes qui sont de retour.
« La situation de protection juridique et sociale demeure inquiétante voire préoccupante. L’Etat malien doit prendre en compte cette préoccupation majeure dans la PONAM. On doit penser à préserver les droits de la femme migrante de retour avant de décider pour les gros bonnets “femmes d’affaires” migrantes qui sont animées d’un esprit d’entreprise. On pense surtout à gérer la problématique genre et migration axée sur les opportunités et dispositifs/mécanismes de promotion des femmes entrepreneures de la diaspora. Et de réfléchir sur quelle contribution pour les femmes de la diaspora?», a expliqué Issa Coulibaly, président de l’ARTD.
Issa Coulibaly a souligné que l’ARTD continue de faire ses activités de défense des droits des migrants plus particulièrement ceux des femmes qui restent les plus vulnérables. Il s’agira de fournir protection et assistance à ces femmes. L’ARTD travaille avec des partenaires « pour assurer la réintégration des rapatriées en douceur via une aide ciblée aux plus vulnérables ou des projets communautaires mettant l’accent sur la promotion féminine ».
Pour le moment, Fatouma a une vision négative sur son avenir. Face à cet état d’âme, elle lance un cri de cœur aux autorités maliennes pour assurer une meilleure protection des femmes afin qu’elles subissent moins la pression sociale et familiale. « Les besoins des femmes migrantes ayant un niveau d’inscription élevé sont pris en compte. Alors que le plus grand nombre de migrantes est laissé pour compte. Au-delà de la politique nationale des migrations, il faut penser à d’autres mécanismes afin d’avoir des solutions adaptées à leurs préoccupations », a-t-elle suggéré.
Au-delà des difficultés liées au regroupement familial, il nous parait utile d’aborder les sources de conflits familiaux.
Sans être un sujet de moindre importance, la pratique de l’excision est aussi source de conflit familial. Dans l’Hexagone, la répression et l’action judicaire ont entraîné un net recul de l’excision chez les jeunes immigrées. Mais le problème, c’est qu’au Mali, les grands-mères notamment continuent de défendre le fait que l’excision est positive pour les femmes. « On profite, par exemple, de retours au pays lors de vacances pour les exciser, regrette la présidente de l’association Marche en corps, Koudedia Keïta, d’origine malienne et vivant à Montreuil, en banlieue parisienne. Souvent même sans l’accord de la maman. Une tante ou une grand-mère peut faire exciser l’enfant. »
S’y ajoutent les problématiques liées au mariage des enfants. Au Mali, le mariage des enfants constitue une pratique très ancrée dans nos traditions, us et coutumes. Notre pays a un taux de mariage d’enfants se situant parmi les plus élevés au monde soit 61% des filles de moins de 18 ans et plus de 10% des filles de moins de 15 ans ayant été mariées en 2013. Le mariage d’enfants est une atteinte aux droits de l’enfant.
Aussi, le mariage forcé est facteur de conflit familial. Au Mali, plusieurs femmes migrantes se sont farouchement opposées contre le mariage forcé de leurs jeunes filles. Même si certains parents font croire à leurs enfants qu’ils effectuent un voyage dans leur pays d’origine, pour ensuite leur tendre un piège avec la surprise du mariage.
La volonté de promouvoir, mais…
Au Mali, il existe la volonté de promouvoir les droits de la femme. Mais, les droits de la migrante de retour sont toujours ignorés.
Certes on constate de gros efforts dans la mise en œuvre des politiques et stratégies adoptées par le gouvernement malien dans le cadre de la promotion de la femme et d’une véritable implication des femmes aux prises de décisions. Mais, ces instruments politiques et juridiques sont très peu orientés dans la prise en charge des préoccupations de la femme migrante.
Sauf qu’on a tendance à mettre en valeur le rôle de la femme migrante ayant des compétences requises. Perdue dans une grande majorité de femmes analphabètes, elle aura par sa position de grande intellectuelle ou dame d’affaires d’affirmer plus haut son leadership de femme malienne et de mobiliser toutes les synergies pour contribuer au processus de développement du Mali.
Qu’il s’agisse des services techniques de l’Etat en charge des questions migratoires ou des organisations internationales pour les migrations, certains agents s’étonnent de savoir pourquoi le journaliste s’intéresse de manière particulière à la migration féminine. De plus, pour quel centre d’intérêt aborde-t-il les questions d’insertion, de réinsertion et de protection des droits essentiels de la femme migrante.
Par contre, on s’attend à bras ouverts à certaines questions « bateau ». On préfère aborder surtout les risques et dangers de la migration irrégulière et de mettre en lumière les efforts du gouvernement dans la gestion du phénomène migratoire.
Les autorités en charge des Maliens de l’Extérieur ont du mal à éclairer davantage sur les questions spécifiques relatives à la migration féminine. Malgré la faible prise en compte de la dimension genre et migration, les efforts sont surtout déployés au niveau des activités de réinsertion socio-économique des migrantes de retour. Là aussi les besoins réels sont en deçà des attentes. Le cas de réinsertion des femmes migrantes de retour de la Centrafrique en est la parfaite illustration. C’est seulement une centaine de bénéficiaires qui a été prise en charge. Quelque dizaines de femmes attentent toujours leur tour d’être financées.
Cela s’observe aisément au niveau du ministère des Maliens de l’Extérieur. Le conseiller technique chargé de questions migratoires, Boulaye Keïta, reconnait que leur réinsertion a été une préoccupation pour les responsables du département et les partenaires évoluant dans ce domaine. Selon lui, des actions sont en cours pour prendre en charge les besoins prioritaires. .
Aussi, un tour à la mission de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), nous a permis de comprendre combien est grande la surprise de s’intéresser à la prise en charge des femmes migrantes de retour au lieu des migrants. Même si cette mission OIM de Bamako intègre déjà le volet réinsertion de la migrante parmi ses interventions au Mali.
Au regard de tout cela, on peut sans doute déplorer l’état de disponibilité des données statistiques. Cela se ressent au niveau de la Cellule de Planification et Statistique (CPS) du ministère des Affaires étrangères, de la Coopération et de l’Intégration et celui des Maliens de l’Extérieur. Dans cette grande boite de données chiffrées et quantifiées, le Directeur adjoint Mahamadou Diakité se contente d’affirmer que beaucoup a été fait dans le cadre de la réinsertion des femmes migrantes. Il cite notamment le cas de nos compatriotes de retour de la Centrafrique.
Somme toute, les autorités auront du mal à favoriser la protection en droit des femmes émigrées tant qu’il n’existera pas un cadre adéquat pour l’appui des pauvres migrantes. Leur protection juridique et sociale a été mal cernée et reste presque ignorée. En effet, rares sont les migrantes capables de défendre leurs droits en cas de conflits familiaux. Leur accès aux services compétents s’avère difficile.
Mahamane Maïga