Les chiffres ne sont pas officiels. Mais certains experts de la question de l’immigration pensent qu’il y a autant de femmes que d’hommes parmi les 4 millions de Maliens qui vivent à l’extérieur de leur pays. Rares étaient celles qui allaient à l’émigration. Aujourd’hui elles en vivent les affres aux côtés des hommes et souvent n’arrivent pas à se réinsérer au pays à leur retour. Mais tout n’est pas noir : il y a de belles réussites, comme celle de l’Association des rapatriées maliennes (Arm) de Côte d’Ivoire.
« A notre retour au Mali, ça n’a pas été du tout facile. C’est après de multiples démarches qu’on a été compris. On a alors été assisté par les autorités et par des Ong». Pour Mme Coulibaly Oumou Coulibaly, présidente de l’Association des rapatriées maliennes (Arm) de Côte d’Ivoire et trésorière de la Fédération des associations de migrants au Mali (Fam), les choses ont ainsi commencé. Mais les difficultés de réinsertion, lorsqu’elles sont rentrées à cause de la crise ivoirienne, ont été réelles.
Partie en Côte d’ivoire, contre sa volonté en 1982, à la suite d’un mariage forcé, il lui a fallu attendre 2002 pour rentrer définitivement au Mali. Ironie du sort. Un peu contre sa volonté. Comme lors de son départ. «Nous avons décidé de notre propre volonté de rentrer, mais on n’avait pas le choix. La crise politico-militaire qui a commencé en 2002 en Côte d’ivoire nous a obligés à tout abandonner pour fuir ce pays. C’était un retour volontaire, mais forcé», explique-t-elle. Ce départ en catastrophe, grâce à un convoi de cars affrétés par l’Etat malien, n’est pas sans lui rappeler des souvenirs. « Je revenais au pays comme au jour de mon départ : un peu contre ma volonté. Nombreuses sont les Maliennes qui choisissent volontairement d’aller à l’émigration, ce ne fut pas mon cas», se souvient Mme Coulibaly avec amertume.
En 1982, elle était jeune lycéenne, pleine d’espoirs, pressée de voir la fin des vacances scolaires pour affronter les examens en vue de l’obtention de la première partie du baccalauréat. Mais elle sera surprise par une décision familiale. «Contre ma volonté, mon père venait de prendre la décision de me donner en mariage à un cousin émigré en Côte d’Ivoire et ma fugue n’y fut rien. Le mariage célébré, la décision fut prise par mon père de m’envoyer en Côte d’ivoire rejoindre mon époux. Je suis une victime de l’émigration par le fait d’un mariage forcé. Je n’avais jamais imaginé qu’un jour j’allais vivre en dehors du Mali», ajoute-t-elle.
Au milieu des confidences qui s’échangent sur la migration, les siennes sont particulières. «Dans mon cas la décision a été prise par mon père, mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Des femmes mariées mettent aussi la pression pour rejoindre leur mari, même si ce sont ces derniers qui exigent la plupart du temps le regroupement familial. Sans compter les familles qui se mettent d’accord pour le départ de la nouvelle mariée. En fait, les motifs de départ sont aujourd’hui divers». De même, le mariage n’est pas toujours la cause des départs. Pays d’émigration par tradition, pays pauvre, le Mali connaît des flux migratoires où la gent féminine prend de manière volontaire une place importante. Au niveau du Haut conseil des Maliens de l’extérieur (Hcme), Mme Diarra Mariam Savané, chargée de la Promotion du genre et de l’autonomisation des femmes, confirme : «Les femmes maliennes partaient rejoindre leur conjoint dans le cadre du mariage, aujourd’hui elles y vont aussi pour chercher le bien être personnel et pour aider leur famille». En somme pour étudier ou pour travailler.
La carte de séjour ou le malheur des étrangers en Côte d’Ivoire
Mme Coulibaly était allée à Abidjan le cœur gros, mais elle nourrissait au moins un espoir : « On m’avait promis que j’allais continuer les études. Mais une fois chez mon mari, sa sœur s’est opposée à mon inscription dans une école quelconque pour avoir un diplôme». La perspective s’est donc vite fermée. Pour fuir l’ennui et le désœuvrement dans une ville qu’elle venait de découvrir, il ne lui restait qu’à s’adonner au petit commerce. Les affaires marchent cependant et elle y prend goût. «Pour augmenter mes marges bénéficiaires, j’ai décidé d’aller m’approvisionner au Ghana ou au Nigéria. N’eut été la crise ivoirienne, je serai sûrement en train de mener cette activité qui me réussissait bien», indique-t-elle avec regret. Pendant 25 ans elle a soutenu sa famille au Mali. « Mon commerce marchait bien. Je prenais en charge ma mère. Je contribuais aux dépenses scolaires de mes cinq petits frères et de ma petite sœur qui m’a rejoint par la suite à Abidjan pour ses études ». Mieux, elle est aujourd’hui propriétaire de deux concessions à Bamako dont l’une est en location, l’autre en cours de finition.
La Côte d’Ivoire fut ainsi, pendant longtemps, une terre d’hospitalité et un havre de paix pour les ressortissants des Etats de la sous-région ouest africaine. Mais avec l’instauration de la carte de séjour les choses sont devenues plus compliquées pour les étrangers. «A un moment donné, nous avons commencé à avoir des difficultés. Nous avons assisté à une chasse à l’étranger dans les rues d’Abidjan. Nous avons connu beaucoup de difficultés et surtout subi des humiliations au quotidien. Il n’était pas rare de voir des policiers arrêter des étrangers qui ne possédaient pas la carte de séjour et les déshabiller pour les mettre en rang dans la rue. Déjà, à cette époque, j’avais un engagement militant et cela me permettait d’intervenir régulièrement pour régler de multiples problèmes de carte de séjours de mes compatriotes », confie-t-elle.
Pendant la crise politico-militaire, les étrangers et même des Ivoiriens ont subi le pire martyr. «Nous avons assisté à une violence inouïe. Aujourd’hui, quand j’y pense, j’ai la chair de poule. Plusieurs femmes ont été violées. Certaines ont perdu leurs biens, sans oublier les humiliations, les tortures et les pertes en vie humaine. C’est face à cette violence qui avait fini par installer un climat d’insécurité un peu partout que l’Etat malien a organisé des rapatriements de volontaires dans des voyages groupés par cars », se souvient Mme Coulibaly. La route fut longue et difficile, passant par le Ghana et le Burkina Faso, avant de rallier le Mali.
Le retour au bercail après un voyage de cinq jours à une semaine ne signifia pas la fin du calvaire. Enthousiastes à regagner leur pays après avoir vécu des moments traumatisants en Côte d’Ivoire, les rapatriées allaient devoir se résoudre à vivre une nouvelle aventure dans leur propre pays. «Nous n’avons pas trouvé un dispositif de réinsertion prêt en terme de programme. On était laissé à nous-mêmes, sans assistance ». C’est devant l’absence de tout soutien de la part de l’Etat que l’idée de s’organiser en association, pour réfléchir à des solutions pour leur réinsertion dans le tissu socioéconomique du Mali, a émergé. «Le début n’a pas été facile. Nous étions pour la plupart mères de famille avec des enfants. Les hommes avaient fait le choix de rester en Côte d’Ivoire dans l’attente du retour de l’accalmie». Mais l’Association des rapatriées maliennes était sur pied. « Au début, notre association comptait 234 membres. Mais aujourd’hui nous ne sommes que 102. Après le retour de l’accalmie en Côte-d’Ivoire et face aux difficultés de réinsertion, plusieurs d’entre-nous sont retournées».
Mme Dabou Diya Koné se rappelle qu’elle n’était restée que cinq mois au Mali avant de repartir. Jointe au téléphone en Côte d’Ivoire, cette originaire du cercle de Tominian installée à Abidjan depuis sa jeunesse, lance : « Je n’avais pas pu m’adapter à la vie à Bamako. J’ai été obligé de me retirer au village avec deux de mes enfants et ma petite fille qui était à bas âge. Mais le manque de moyens financiers, m’a obligée à revenir en Côte d’Ivoire pour rejoindre mon mari, d’autant plus que la crise avait presque cessé».
La réinsertion socio économique par la transformation des produits locaux
Mais il y a des femmes pour qui les affres vécues étaient un malheur à ne plus jamais revivre. «Il y en a qui étaient fatiguées et qui n’avaient plus envie de quitter le Mali malgré les difficultés. On a alors décidé d’initier des activités génératrices de revenus, focalisées sur la transformation des produits agricoles locaux », indique Mme Coulibaly. L’aventure a commencé avec les connaissances acquises du côté de la Lagune Ebrié. Notamment la commercialisation de l’attiéké, du gari et du tapioca. «En plus de ces produits du manioc et de ses dérivés, nous faisons aussi du fonio». Parti de rien et à force de persévérance, l’Arm allait voir progressivement d’autres organisations lui venir en appui. Notamment l’Ong Guamina, l’Aprofem, le Fonds de la solidarité nationale, la Fondation pour l’enfance, Qatar Charity, Muslim Hand International et le ministère des Maliens de l’extérieur à travers la Délégation générale des Maliens de l’extérieur.
«L’Association des femmes rapatriées maliennes de la Côte-d’Ivoire est un exemple de réussite, confie Mme Diarra du Haut conseil des Maliens de l’extérieur. Ces femmes ont su s’investir avec beaucoup bonheur dans la transformation des produits agro-alimentaires. Souvent la réinsertion impose qu’on reprenne tout à zéro et cela demande une réadaptation et cela n’est pas toujours facile. D’où de nombreux échecs », a-t-elle estimé. L’Arm vit aussi des difficultés, mais sa présidente estime que l’association a atteint 60% de ses objectifs. « Nous avons une coopérative d’habitat pour nos membres. Chacun d’entre nous est propriétaire d’une parcelle à titre d’habitation à Mountougoula. Mais comment les mettre en valeur, étant attendu que nos revenus sont très limités ?» Un autre écueil est aussi à lever : celui de la location. L’Association mène ses activités dans un local dont le loyer s’élève à 150 000 FCfa et les fins de mois sont parfois difficiles. «La construction d’un Centre multifonctionnel sur le site de Mountougoula sera une solution. Mais nous avons des difficultés pour avoir des partenaires qui pourraient nous aider à supporter un partie du financement de ce projet ».
Dans son fonctionnement quotidien, l’Arm souffre aussi des entraves que posent les douanes maliennes pour l’importation de la pâte de manioc de la Côte d’Ivoire. «C’est la matière première de notre activité et nous n’arrivons pas à comprendre pourquoi les douanes nous imposent le payement de taxes qui sont de nature à tuer l’activité». De même, la «nature sociale» de leur entreprise ne les empêche pas non plus de voir passer les services des impôts et de la mairie dont «les taxes et impôts sont insupportables».
Assane Koné