Dans la région de Sédhiou, de nombreux jeunes et des femmes ne disposent toujours pas de titre de propriété foncière. C’est la conséquence de la persistance du droit coutumier, le pesanteur social, adossés à une pratique culturelle pluriséculaire ainsi que l’ignorance des procédures d’affectation des terres. Des collectivités locales comme Marsassoum, les contrées historiques du Pakao, du Sonkodou et du Balantacounda restent jusqu’ici attachées à cette forme implicite d’ «ostracisme» dans le contrôle des ressources foncières.
De cette situation découle un malaise au sein de ces couches défavorisées résignées à une oisiveté maladive presque vécue au quotidien. La réforme foncière en cours se propose d’apporter tout le correctif nécessaire à cette problématique afin de dessiner un nouveau schéma de redistribution de la terre avec équidistance aux yeux du droit en la matière. Avant d’y remédier, Sud Quotidien, en partenariat avec l’institut Panos de l’Afrique de l’Ouest, a sillonné la région de Sédhiou de fond en comble afin d’apporter un éclairage sur un problème qui plombe l’envol de la couche la plus vulnérable de la population de cette partie du Sénégal.
La révolution est en marche. Lentement, mais sûrement. Puisque de plus en plus, les femmes de la région de Sédhiou, encadrées par leurs concitoyennes qui ont fréquenté l’école française un tant soit peu, montent au créneau pour réclamer une démocratisation des privilèges à disposer des terres cotées à leur nom. Mme Khadidiatou Dieng, la présidente des groupements de femmes de Marsassoum n’est pas allée par quatre chemins pour décrier l’exclusion manifeste des femmes dans la distribution des terres. «Nous femmes, longtemps considérées comme sexe faible, sommes exclues du système de distribution des terres. Les motifs invoqués sont d’ordre traditionnel.» Ce cri de cœur de cette femme atteste de toute l’exclusion sociale dont elle et ses concitoyennes sont victimes.
A Sédhiou, en terra di Casa Dimansa (Casamance, Sud du Sénégal), si l’obéissance aveugle est le pilier de la stabilité sociale, elle n’en est pas moins une contrainte majeure à l’épanouissement des communautés dans un contexte de globalisation rapide et subie.
"Silence mesdames ! Ici les femmes n’ont pas voix au chapitre"
La croyance populaire fait comprendre que la femme, appelée à se marier hors du cercle de la famille, ne doit donc pas hériter des terres de ses défunts parents pour, invoque-t-on, éviter que le patrimoine foncier ne fasse l’objet d’une déperdition peut-être même à caractère violente. «Ce qui est du reste faux», s’est offusquée Mme Khadidiatou Dieng à l’occasion des ateliers intercommunaux organisés à Sédhiou sur la réforme foncière. Et de poursuivre: «il est tout aussi vrai que l’analphabétisme reste encore élevé parmi les femmes, qui, donc, ne connaissent pas les procédures de demande d’affectation des terres. Toutefois, je suis de ceux-là qui soutiennent que la vulgarisation de ces procédures n’est pas faite comme il se doit. Car, compte tenu du besoin, beaucoup de femmes allaient en exprimer la demande et de façon formelle».
Elle conclut par faire observer que «c’est une nébuleuse entretenue par les hommes à court d’arguments qui se réfugient derrière des considérations d’une autre époque. Nous sommes en définitive assignées au silence comme si vraiment nous n’avions pas voix au chapitre dans la gestion des terres».
"Aucune femme n’a formule une demande"
Sur place à Marsassoum, le secrétaire municipal, Dionkong Camara, répond que jusqu’«à la date du 11 août 2015, aucune demande d’affectation de terres venant des femmes de Marsassoum ne m’est parvenue, que ce soit à usage d’habitation ou d’exploitation agricole».
«Dans un passé plus ou moins lointain, un groupement de femmes avait demandé une parcelle pour y développer de l’agriculture. Mais, avec le temps et la poussée démographique, les habitats sont érigés sur le site. Je sais que c’est par ignorance qu’elles ne demandent pas mais aussi elles sont comprimées dans un carcan de tradition qui les éloigne de la procédure. Nous allons continuer à les sensibiliser surtout dans le contexte de la réforme foncière», conclut-il.
Du côté du Sonkondou, dans l’Est de la région jusqu’à la porte de Kolda, c’est à la limite blasphématoire, pour une femme de ménage que d’élever la voix pour réclamer que lui soit attribuée une terre tellement les croyances populaires ont pollué le schéma de partage des biens de la communauté.
Femmes, contentez-vous des bas-fonds
Fatou Cissé et Mariama, respectivement de Sonkodou Kembouto et de Bani, soutiennent que «ce sont les bas-fonds appelés «Faroo» (ou rizières) caractérisés par la boue et de l’eau qui sont dévolus aux activités culturales des femmes. C’est une répartition par sexe du travail.
«De façon plus générale, on nous refuse toute dévolution de terre considérant le fait que nous sommes données en mariage ailleurs, le plus souvent, loin de notre foyer d’origine. En clair, nous sommes victimes de notre statut de femme par une pratique qui ne repose sur aucune base scientifique», déplorent-elles.
Le maire de Diaroumé, Karfa Samaté, qui préside aux destinées de nombre de localités du Sonkodou, reconnait l’emprise de ces pesanteurs socio-culturelles qui restreignent le champ d’action des femmes. «Il faut reconnaitre que chez nous, dans la zone du Sonkodou, les pratiques traditionnelles persistent toujours et écartent les femmes de la gestion des terres. Nous élus, sommes en train de travailler à les proscrire par des activités de sensibilisation de proximité. Mais le rétablissement de l’équilibre entre sexe n’est pas facile car, nous butons sur la fin de non-recevoir des garants et conservateurs de cette pratique», confie-t-il.
Acidité des sols :productions des vallées en chute libre
Une telle discrimination n’épargne pas non plus les élues du peuple. C’est le cas de Khady Mané. Député à l’Assemblée nationale, elle est pourtant productrice de renom. Mais, ne dispose pas de terres. «J’exploite les périmètres qui appartiennent à mon père. Jusqu’ici, aucun héritage n’est fait sur ces domaines et comme personne ne s’est donné la peine de valoriser le site, j’ai décidé depuis quelques années d’y développer de la culture du riz. A ce jour, je n’ai aucun titre de propriété de terre tout simplement j’en ai pas fait la demande».
Il importe de signaler que dans ces vallées, la production de riz a considérablement baissé ces dernières années. Si, jusque dans les années 1990 une productrice de riz des vallées de Bakoum, Samiron et Pathiobor pouvait emblaver 3 à 4 hectares avec une production de 07 tonnes au moins du fait d’un manque de moyens, d’équipements, ces réalisations ont maintenant chuté en raison de l’acidité des sols, des effets corolaires des changements climatiques.
Ce constat global des femmes résignées et astreintes au silence peint en fait les circonstances dans lesquelles vivotent les femmes rurales de Sédhiou, loin derrière les hommes, seuls maîtres à bord.
Des jeunes, ignorants et attentistes, se refugient dans l’oisiveté
Le désœuvrement est bien perceptible au sein de la masse juvénile de la région de Sédhiou. A l’exception de ceux qui fréquentent l’école, beaucoup sont inactifs et pour la plupart sans qualification professionnelle. Une simple promenade dans les rues de la capitale du Pakao permet de constater l’agglutination en plusieurs endroits des jeunes autour d’une théière. N’est-ce pas là, un baromètre éloquent pour étayer cet état de fait.
A la question de savoir si les jeunes sont privés de terre ou si ce sont eux qui rechignent à courber l’échine, Abdou Sonko, un jeune de Montagne Rouge, aujourd’hui âgé de 35 ans révolus, déclare avoir été renvoyé de l’école à bas-âge et ne sait rien faire comme activité professionnelle. «A l’exception du champ familial, je n’ai aucune terre à cultiver», confie-t-il.
A Moricounda, un autre quartier populaire de Sédhiou, le sieur Lassana Faty, 42 ans environ, témoigne avoir reçu un financement du Fonds national de promotion des jeunes (FNPJ) avec comme ambition de développer de l’agriculture. Mais, s’empresse-t-il de relever, en l’absence d’une formation et du suivi de routine, ses ambitions de trouver un domaine agricole et d’y promouvoir de l’agriculture se sont très vite volatilisées, regrette-t-il.
Seckou Diallo, un jeune de la commune de Marsassoum, lui, soutient que «les jeunes ne disposent pas d’assez d’informations sur les procédures d’attribution des terres. Dans un tout autre registre, c’est une affaire très sensible en milieu rural dont le traitement est réservé aux personnes âgées».
Son compagnon Aliou Sané indique que «de nos jours, les jeunes versent trop dans la facilité, raison pour laquelle, ils ne se donnent même pas la peine de faire des efforts. Sinon, comment comprendre qu’un homme de 40 ans reste sans jamais fréquenter un atelier de formation quelconque», se demande-t-il.
Egalité hommes-femmes
Gage d’une sécurité alimentaire
Reconnu pour son vaillant combat en faveur de l’amélioration des conditions de vie de la femme, Mme Kébé Amy Dieng, spécialiste en décentralisation, gestion foncière et genre, indique qu’«à l’instar de presque toutes les régions du Sénégal, la problématique de l’accès des femmes à la terre en milieu rural reste une préoccupation majeure dans le contexte de la recherche de sécurité alimentaire qui se trouve au cœur des interventions tant de l’Etat que des bailleurs de fonds».
Cependant, poursuit-elle, «on ne peut parvenir à la sécurité alimentaire que si on donne à la femme la place qu’elle mérite dans l’agriculture. Ceci est d’autant plus vrai que dans la région de Sédhiou, les femmes produisent le riz qui est l’aliment de base des ménages».
Amy Dieng Kébé fait en outre observer, et sous ce même rapport, que «l’inapplication de la loi sur le Domaine national, sa méconnaissance par les femmes et la persistance des pesanteurs socioculturelles constituent pour l’essentiel les freins à l’accès des femmes à la terre.»
le système patriarcal épargne les rizières
Il s’agit donc d’une conséquence du système patriarcal qui accorde à l’homme le pouvoir et le droit de prendre en main la destinée des femmes et enfants.
Cependant, il faut reconnaitre qu’elles ont la primeur sur les rizières. «Le combat reste donc la conquête des terres de plateau pour les champs et les parcelles à usage d’habitation», fait remarquer Mme Kébé qui brandit le préambule de la Constitution, pour étayer ses propos. Elle y souligne: «…l’accès de tous les citoyens, sans discrimination à l’exercice du pouvoir à tous les niveaux, l’égal accès de tous les citoyens aux services publics, le rejet et l’élimination, sous toutes les formes, de l’injustice, des inégalités et des discriminations».
Elle va plus loin, en citant l’article 15 de la Constitution qui dispose: «l’homme et la femme ont également le droit d’accéder à la possession et à la propriété de la terre». Et l’article 19 qui stipule que «la femme a le droit d’avoir son patrimoine propre comme le mari. Elle a le droit de gestion personnelle de ses biens».
Les assurances de la reforme foncière en cours
Des ateliers intercommunaux sur la réforme foncière ont lieu dans les différents chefs lieu de département administratif. Ils se proposent d’apporter des correctifs et des améliorations nécessaires aux insuffisances et obsolescences constatés dans la loi sur le Domaine national. La démarche consiste à recueillir les avis à l’échelle communautaire pour ensuite les remonter au niveau central aux fins d’une capitalisation. Pour Mme Kébé, la loi sur le Domaine national et le caractère traditionnaliste de la gestion donnaient des assurances contre les accaparements des terres.
«J’espère qu’on n’ira pas vers une rupture totale et brusque car, la loi sur le Domaine national, à mon avis, reste la meilleure loi qu’on peut avoir en matière de gestion sécurisée de la terre en ce sens qu’elle garantit l’accès de tout le monde à la terre. Elle nous a permis d’échapper à l’accaparement sauvage de la terre qu’on constate dans la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest», soutient-elle. Mme Kébé d’ajouter: «la Commission sur la réforme foncière gagnerait à diffuser d’avantage des informations relatives aux processus, mais aussi au contenu même de la reforme parce que jusque-là, il n’y a aucun support qui est fourni et qui renseigne clairement les populations de ce qui va véritablement changer».
Il reste donc clair que l’iniquité dans la distribution des ressources foncières dans la région de Sédhiou maintient l’essentiel des couches juvéniles et féminines dans une situation d’inoccupation qui affecte et le revenu et les relations sociales au sein de leurs communautés respectives. N’est-ce pas ce qui, en partie, explique les flux de migrants clandestins en direction de l’Europe où ils exercent pourtant des activités de cueillette dans les plantations bien praticable à leur terre de départ et en toute quiétude.
Considérant aussi la racine du mal, à savoir l’inaccessibilité aux surfaces cultivables, l’on peut aisément relever que la solution passe par la sensibilisation sur les offres et opportunités de la loi en vigueur sur le foncier, la conscientisation à une confiance en soi, l’encadrement des pouvoirs publics et le financement à l’appui aux investissements agricoles durables.
Moussa Dramé