“Elles vivent ou ont toutes vécu une histoire qui les rapproche. Leurs tourments proviennent d’une source commune : un homme. La faute qu’elles ont commise ? Etre une femme faible et sans défense. Alors bonjour les violences. On vous invite en promenade dans l’enfer des couples.
«Oui je vais beaucoup mieux aujourd’hui. Je sais maintenant que je suis comme toute autre jeune femme de mon âge. Je peux m’habiller et travailler comme toutes les femmes». L’histoire d’Aminata Sissako, 26 ans, se résume à une bataille de 8 ans avec un mari qui la battait et l’humiliait au quotidien. Sa vie n’était que douleur. Son mariage aurait pu l’aider à remonter à la surface, il a plutôt servi à l’enfoncer encore. «Mes parents se sont séparés depuis mon enfance. Je n’ai pas beaucoup connu ma mère qui s’est installée en France quand j’avais 5 ans. Je suis restée avec mon père et mon grand–frère. Baba (père) s’est remarié avec une femme qui lui a donné d’autres enfants. Ma belle-mère était dure avec nous. A 18 ans mon père m’a obligée à épouser le fils d’un de ses amis qui était de 10 ans mon aîné. Madou, mon mari, m’a trouvée vierge. J’étais une gamine et je ne savais rien de la vie. Au début de notre mariage ça allait bien. Mais après deux ans de vie commune il a commencé à sortir. Il «courait» beaucoup. Je n’ai rien dit. Il rentrait tard. Comme nous habitions dans une cour commune, je lui ai demandé de rentrer plus tôt à cause des voisins. C’est là que mon calvaire a commencé». La suite fut un enfer.
«Nous nous disputions tout le temps. Ses coups sont devenus de plus en plus forts. J’avais souvent l’œil en sang. Tout mon corps porte ses traces de coups. Je sais que je ne peux pas retourner chez mon père et mon mari aussi le sait. Je me suis confiée à ma belle-mère, mais elle appuie son fils et m’accuse d’être une mauvaise épouse, une femme stérile. Pour elle, je dois être reconnaissante envers son fils qui m’a sortie de ma misère. Pourtant il ne me donne pratiquement rien et refuse que j’entreprenne un petit commerce. Quand je l’entends rentrer du travail, je tressaute toujours. C’est comme si on l’a monté contre moi. Il ne manquait aucune occasion pour m’humilier en m’injuriant de père et de mère. Un jour il m’a cassé le bras.»
«Mon salut est venu d’une ancienne copine de classe. Elle a été choquée devant mon état délabré. Lorsque je lui ai raconté mon histoire, elle s’est proposée de m’aider. Je me suis enfuie de mon foyer pour me cacher chez mon amie à Ségou pendant une année. Je suis revenue à Bamako depuis 6 mois. J’ai trouvé un petit travail dans un salon de coiffure, je me sens mieux maintenant. J’ignore si mon mari me cherche ou pas car j’ai coupé tous les contacts avec ma famille et nos connaissance communes».
Mariam Sow : Une question de vie ou de mort
Quand Mariam Sow, une dame d’une trentaine d’année, se raconte, on se dit que chaque jour pourrait être le dernier de sa vie. Le nid d’amour qu’il espérait trouver aux côtés de son mari s’est transformé au fil du temps en lieu de torture. «Cet homme est fou. Un vrai malade. Il répétait sans cesse qu’il allait me tuer un jour. Et c’est ce qui allait arriver si je ne l’avais pas quitté. C’était une question de survie. Il est d’une jalousie maladive. Pour lui je devais avoir un amant alors que mon atelier de couture et un service de la place où je travaille également m’occupent assez. Il a essayé de me détruire sur tous les plans. Quand je m’apprêtais à aller travailler, il venait me prendre la main pour retourner au lit. Quand je rentrais au-delà de 18h, il me battait comme un tam-tam. Ça ne pouvait pas continuer. Il allait finir par me tuer un jour comme il l’avait promis».
Cet enfer s’est installé après quelques années de vie conjugale. Les actes violents de son mari lui ont coûté un bras cassé, des côtes brisés et un œil endommagé. Cette dernière blessure a provoqué un déclic en elle. Obligée d’aller se soigner au Maroc à ses propres frais, elle décide de demander le divorce. Un autre calvaire commence. L’époux lui refuse le divorce. Le combat fut long mais aboutit à la rupture. Mariam traine aujourd’hui le malheur d’avoir perdu la garde de ses enfants.
Guindo Bintou Keïta : le foyer, c’est enfer
Bintou Keïta a 28 ans. Ménagère, elle est mariée depuis 7ans. Mère de deux enfants, elle vit avec un commerçant âgé de 35 ans, grossiste au Grand marché de Bamako. «Le bonheur du mariage je ne l’ai connu que pendant un an, témoigne-t-il. Mon mari est autoritaire et colérique. Pour un rien il s’énerve. Quand il est en colère il m’insulte et quand j’ai le malheur de lui répondre il me roue de coups. Au début c’était des gifles. Ensuite il est passé aux coups de poings. Comme si cela ne suffisait pas il a pris la ceinture Je cachais mes bleus en me couvrant le corps pour que les gens ne sachent pas ce que je vivais chez moi. Mais tout finit par se savoir. J’avais honte de sortir dans le quartier car il est arrivé plus d’une fois que des voisins interviennent pour m’arracher de ses mains. J’en ai parlé à ma maman qui est venue lui parler. Pendant sa présence, rien que par son regard, je savais qu’il allait recommencer Quand elle est partie il m’a prise par le cou et m’a bloquée contre le mur en disant que s’il m’arrivait encore une fois de raconter ce qui se passait dans notre couple il allait m’envoyer à l’hôpital, que c’était à moi de choisir entre la morgue et l’hôpital.
«Même dans les rapports intimes il se montre violent. Je n’ai pas le droit de refuser même si j’avais mes menstrues. Il me répète que je lui appartiens sur tous les plans. Un jour j’ai eu le malheur de rentrer après le crépuscule. J’avais été retenue par les causeries d’une amie. Il m’a accueillie avec une paire de gifle sonore qui me firent tomber. Je n’ai même pas eu le temps de me lever qu’il m’a envoyé son pied dans le ventre et une pluie de coups commencèrent à tomber. Avant le trou noir, j’entendis mon premier garçon crier «Tu vas la tuer, tu vas la tuer ». Je me suis retrouvée à l’hôpital avec deux côtes cassées, des fractures du bras, un œil au beurre. J’ai menti à tout le monde disant que j’avais fait un accident de moto. Étant sans ressources et ma famille me répétant sans cesse qu’une femme doit tout supporter son mari, je reste dans mon foyer en espérant que les choses vont changer. J’essaye de l’éviter au maximum. Pour le moment j’arrive à éviter ses coups mais pas ses insultes grossières.»
Khadydiatou SANOGO/Maliweb.net
Dossier réalisé avec le soutien de l’Institut Panos de l’Afrique de l’Ouest
ENCADRE
Les chiffres de la violence
Au Mali les femmes, les filles sont victimes de plusieurs types de violences : mutilations, excision, viols, harcèlement sexuel, discrimination, coups et blessures, exclusion, répudiation abusive, violence conjugale, psychologique, violence économique, mariage précoce etc.
La crise institutionnelle et sécuritaire de 2012 n’a fait qu’augmenter le taux de ces violences. Pire, elle a apporté d’autres formes de violences à l’encontre des femmes. Et ces dernières années, on a assisté au durcissement du phénomène avec l’assassinat de femmes et filles par leur époux ou concubin. Selon l’EDS V (enquête démographique et de santé), au Mali 91% des femmes au Mali sont excisées et plus de 55 % des filles sont mariées avant l’âge de 18ans. Cette enquête (EDS 2013) poursuit avec des résultats alarmants pour les défenseurs des droits humains : 9433 cas de VBG enregistrés entre 2012 et 2016 dont la plupart sont des femmes ; 292 cas de déni de ressources ; 288 cas d’agression physique ; 192 cas de viols ; 192 cas de mariage forcé ; 370 cas de cas de violences conjugales etc.
Au Mali 38% des femmes subissent des violences physiques exercées par leur conjoint. Et plus d’une femme sur dix déclarent avoir été victime de violences sexuelles à n’importe quel moment de leur vie. 44% des femmes ont subi des violences physiques, sexuelles ou émotionnelles de la part de leur mari et ¼ des femmes ont été physiquement blessée à la suite de ces violences (source Cellule de planification et de statistiques, Institut National de la Statistique, Centre d’Études et d’Information Statistiques).
Lire aussi :
- Bréhima Ballo, coordinateur d’AMSOPT : «Le gouvernement doit être plus respectueux des droits humains et faire voter une loi pour mieux protéger les filles et femmes du Mali»
- Mme Dembélé Ouélématou Sow, présidente de la fédération nationale des collectifs et organisations féminines du Mali : «Il est faut mettre en place des stratégies novatrices et mener des actions afin qu’une loi puisse être votée au plus vite sur les VBG.»
- Que dit Loi sur les VBG - Mme Djourté Fatimata Dembélé, avocate : «Il faut une harmonisation des instruments juridiques internationaux et des lois nationales»
- L’Islam et violences basées sur le genre - Imam Alfousseyni Doumbia, président du bureau du Haut Conseil Islamique en commune V du district de Bamako : «L’homme et la femme sont égaux, indissociable, ils ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre»
Abbé Timothée Diallo, Curé de la Cathédrale de Bamako : « Dieu a créé l’homme et la femme à son image et les époux se doivent amour, respect et soutien mutuel»