Dans le Code civil adopté en 2011, cet article alimente la polémique entre défenseurs des droits des femmes et religieux conservateurs. Les uns estiment que le texte de loi encourage les violences faites aux femmes ; les autres soutiennent qu’il est en conformité avec les réalités sociétales et religieuses du pays. Le débat ne faiblit pas.
« Au Mali, les hommes se croyaient déjà supérieurs aux femmes sur presque tous les plans et une loi de la République vient les appuyer pour continuer à nous soumettre. Ceci est inadmissible. » Alice fulminait ainsi lors d’une table-ronde organisée à Bla (Région de Ségou) sur le respect des droits de la femme au Mali. C’était en septembre dernier à l’occasion de la célébration du 58e anniversaire de l’indépendance de notre pays. Alice ainsi que d’autres jeunes dames leaders de la localité n’ont pas pris de gant ce jour-là pour dénoncer, en présence du préfet et des notabilités, les termes de l’article 331 du Code des personnes et de la famille adopté en 2011. Ce texte de loi stipule : « La femme doit obéissance à son mari et le mari, protection à sa femme ». Les jeunes dames en lutte contre cet article du Code des personnes et de la famille, estiment que le texte de loi se prête à des interprétations abusives pouvant entrainer des violences verbales et physiques sur les femmes.
Alice a rappelé que dans le Code des personnes et de la famille adopté en 2009, le même article était libellé ainsi : « Les époux se doivent mutuellement fidélité, protection, secours et assistance. Ils s’obligent à la communauté de vie sur la base de l’affection et du respect ». Cette version a été modifiée, déplorera Alice, sous la pression des religieux.
En effet, le Code des personnes et de la famille de 2009 a soulevé une vague de protestation au Mali. Les religieux et les milieux conservateurs se sont dressés contre ce texte de loi qu’ils jugeaient attentatoires aux principes de la religion et aux pratiques ancestrales. Les frondeurs accusaient les pouvoirs publics de s’être laissé dicter ce Code civil par les partenaires étrangers. C’est donc sous la pression que les autorités ont accepté une relecture qui a abouti au Code des personnes et de la famille de 2011.
Le professeur de droit à l’Université de Ségou, Djibril Tangara, partage cet avis et va plus loin. Selon lui, l’article 331 est en contradiction avec la Constitution de la République du Mali de 1992 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Il explique en appui à son propos que l’article 2 de la Constitution du Mali et l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ont déclaré prohibée toute discrimination fondée sur le sexe, la race, la religion. Or, fait-il remarquer, l’article 331 demande à la femme d’obéir à son mari et à l’homme de protéger sa femme. « Cet article est plus proche de la culture et des religions qu’aux droits fondamentaux et universels. C’est suite aux mouvements des religieux que le mot obéissance a été maintenu », confirme le professeur.
Fatoumata Coulibaly est elle aussi vent debout contre l’article 331 et déplore la faible vulgarisation du Code des personnes et de la famille. La jeune diplômée sans emploi fustige surtout le fait que les députés ne consultent pas leurs mandants avant de voter les lois et ne font pas non plus de restitution « On les élit, mais ils ne nous consultent jamais avant de voter les lois. C’est ma première fois d’entendre parler de cet article. Si la majorité de mes concitoyennes étaient au courant de cet article, ça allait chauffer », s’insurge la jeune dame. Elle s’en prend à la presse aussi, estimant qu’elle s’intéresse moins aux sujets sensibles au genre.
A l’opposé de Fatoumata, l’article 331 a ses défenseurs. Ceux-ci pensent qu’il reflète les réalités sociétales du Mali et qu’il correspond aux préceptes de la religion musulmane. Boubacar Afiz est de ceux-là. Communicant de formation, il pense que l’article 331 promeut plutôt l’équité entre l’homme et la femme. Il rejette l’idée de l’égalité, estimant qu’elle consiste à donner une seule et même chose et à l’homme et à la femme. Alors que l’équité consiste à donner à chacune et chacun ce dont elle ou il a besoin. Il explique : « Donner du rouge à lèvre à la femme comme à l’homme s’appelle égalité. Donner des ciseaux à l’homme pour se couper les moustaches et le rouge à lèvre à la femme pour se maquiller s’appelle équité.
L’article 331 ne constitue guère un obstacle aux droits des femmes, juge de son côté Allaye Ousmane, étudiant en droit public international à la Faculté des sciences juridiques et politiques de Bamako. Selon lui, cet article recommande mais n’oblige pas la femme à l’obéissance envers son mari. « C’est juste une question de compréhension et un reflet pur et simple de la réalité du vivre ensemble de la plupart des Maliennes et des Maliens », souligne-t-il.
Parfaite concordance
Ces propos vont dans le même sens que ceux du président régional de la Ligue islamique des élèves et étudiants du Mali à Ségou. Zoumana Cissé rappelle que la femme et l’homme se complètent. Pour lui, il ne saurait y avoir de rivalité encore moins de compétition entre l’homme et la femme. Chacun avec ses spécificités et ses capacités apporte à la complémentarité nécessaire à la bonne entente dans le couple et partant au vivre ensemble dans la communauté. « La femme est supérieure à l’homme dans certains domaines et l’homme est supérieur à la femme dans d’autres », soutient notre interlocuteur qui pense que les Africains ne se posent pas les vraies questions sur leurs réalités. « Penser soi-même par autrui conduit vite à l’échec. Malheureusement, de nombreux Africains ont échoué et échouent en se pensant par autrui », analyse Zoumana Cissé. Il semble reprocher aux Africains de trop copier les réalités des Occidentaux et oublient leurs propres réalités. Selon lui, l’Africain doit donc se poser des vraies questions sur ses réalités et non les réalités d’autrui. Il trouve que l’article en question est normal et très bien adapté aux réalités des Maliennes et des Maliennes.
Zoumana Cissé fait partie de ceux qui estiment que les textes de loi sur les personnes et la famille doivent refléter les réalités sociétales et respecter les principes religieux. Ces conservateurs ont semble-t-il eu gain de cause dans l’élaboration du Code des personnes et de la famille du Mali. L’article 331 du Code de 2011 semble être en parfaite concordance avec la sainte Bible et le sain Coran sur la relation entre la femme et son mari. Dans la sainte Bible, on peut lire : « Femmes, soumettez-vous à vos maris comme au seigneur, car le mari est le chef de la femme comme le Christ est le chef de l’Église qui est son corps et dont il est le sauveur. Mais tout comme l’Église se soumet au Christ, que les femmes se soumettent à leurs maris » (Éphésiens 5. 22-24)
Le verset 34 du chapitre 04 du sain Coran s’inscrit dans la même logique : « Les hommes ont une autorité sur les femmes, en raison des faveurs que Dieu accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs biens. Les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris), et protègent ce qui doit être protégé, pendant l’absence de leurs époux, avec la protection de Dieu». Les textes révélés accordent clairement la prééminence à l’homme dans le couple.
Aly Ousmane SARRE