L'engagement des jeunes filles en politique est une équation difficile. Elles sont nombreuses à considérer la politique comme un domaine réservé aux hommes. Dans ce dossier, nous avons pu recueillir le témoignage de jeunes filles et de femmes engagées en politique.
Pendant longtemps, les femmes, dans leur écrasante majorité, sont restées distantes vis-à-vis de la sphère politique. Cette situation s'explique non seulement par des stéréotypes sexistes, mais aussi par de nombreux autres facteurs tels que le déficit d’information, le manque de confiance en soi, la peur de vaincre les obstacles, celle d’affronter les hommes, le manque de prise d’initiative, le harcèlement moral, les interdictions culturelles ou religieuses. Paradoxe : alors que l'engagement des jeunes filles en politique est faible, les femmes occupent une part importante dans l’électorat ivoirien. Des motivations de l'engagement politique. Les raisons qui poussent les jeunes filles à s'engager sur le champ politique sont plurielles. Micheline Mani épouse N’zoré a franchi le pas depuis plusieurs années déjà. Aujourd’hui vice-présidente de l’Union pour la Côte d’Ivoire (Upci) chargée de la jeunesse féminine, elle explique avoir eu « l'amour de la politique ». « J’ai voulu m ’ affirmer, apporter des idées et me mettre au service de mon pays », dit-elle d'un air assuré. Béatrice Assoumou épouse Sylla a, elle, commencé à militer dans un parti politique dans les années 80 . « Je me suis engagée pendant que j'étais au lycée » , relate celle qui est, aujourd’hui, membre du Bureau politique du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (Pdci). Lycéenne, Béatrice a intégré le Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (Meeci). « J’ai voulu participer aux instances démocratiques de mon pays , intégrer la vie associative , vaincre la timidité et particper aux décisions qui engagent tout le monde » , fait-elle savoir. Kady Bakayoko a, elle, commencé en politique très jeune. « J ’ ai souaité participer au développement de mon pays , de ma région » , souligne Kady Bakayoko, aujourd’hui membre des instances du Rassemblement des républicains (Rdr). « A l'é p o q u e , j’ ai a d h é ré a u Fro n t p o p u l aire iv oirie n. J’ai d û q uit t e r
c e p a r ti p a rc e j’ ai é t é f r u s t ré e . S u r l a b a s e d e m o n p a t ro n y m e, c e r t ain s é t aie n t c o n v ain c u s q u e j'ir ais a u R d r. J ’ ai é t é v u e c o m m e u n e t r aît re s s e » , relève la communicatrice. Au Rdr, Kady Bakayoko s'est vite distinguée par son dynamisme et a ainsi gravi les échelons. « N o u s a v o n s é t é le s p re miè re s fe m m e s à e n t re r d a n s ce p a r ti, j’ai fait l a l u t t e v u q u e j’aim e l a p o litiq u e e t q u e je v o u l ais v r aim e n t y p a r ticip e r » , rapporte la responsable politique.
De bonnes raisons d'y aller.Le militantisme politique présente de nombreux avantages pour les jeunes filles. Pour la plupart d'entre elles, les partis politiques sont de véritables écoles qui permettent de développer l'art oratoire, le sens de l'organisation, celui de la prise de décision, voire de l'anticipation. Micheline Mani épouse N'zoré concède que le militantisme lui a forgé « u n e
p e r s o n n a lit é , u n c a r a c t è re » . « C e l a a co n t rib u é à faire re ss o r tir l e t a l e n t q ui é t ait c a c h é e n m oi. A ujo u rd ’ h ui, je m ’ a d a p t e , a v e c f a cilit é , a u x sit u a tio n s » , concède Mme N'zoré, qui ajoute que sa participation à la politique lui a favorisé une plus grande ouverture d'esprit et une meilleure connaissance du monde. Le militantisme féminin favorise, par ailleurs, l'insertion professionnelle, tant il est connu que les dirigeants politiques ont, le plus souvent, recours à des compétences au sein des partis pour occuper des postes dans l'administration publique ou dans le privé. « C'e s t u n fait in dis c u t a b l e q u e l e t e r r ain p o litiq u e p e r m e t d'a v oir u n v r ai c a r n e t d'a d re s s e s » , atteste Béatrice Assoumou épouse Sylla. « L a p o litiq u e o u v re d e s p o r t e s e t p e r m e t d e d é v e lo p p e r l e re l a tio n n e l » , témoigne Kady Bakayoko. Autant les jeunes filles et les femmes tirent profit de leur participation à la politique, autant les organisations ne sont pas désavantagées par leur présence. Avoir de jeunes filles militantes participe à offrir l'image de partis ouverts, modernes
et dynamiques. Des difficultés. L'une des principales contraintes pour les jeunes filles et les femmes est relative à la vie sentimentale ou familiale. L'exercice de la politique offre peu de temps à la vie en famille ou en couple. Entre réunions, meetings et missions, les week-ends, il n'est pas aisé de se rendre disponible pour ses proches. « C e n’e s t p a s t o ujo u r s f a cil e d ’ a b a n d o n n e r s o n é p o u x e t s e s e n f a n t s p o u r d e l o n g u e s mis sio n s à l’in t é rie u r. M ais p o u r m oi, c’e s t u n e v o c a tio n, u n s a c e rd o c e . Q u a n d o n a l’ a m o u r d ’ u n e c h o s e , o n s e d o n n e l e s m o y e n s e t o n a m é n a g e s o n t e m p s » , explique Mme Sylla. Elle précise qu'il lui arrive de refuser des missions. « L a jo n c tio n e n t re le p a r ti p o litiq u e e t l a vie c o nju g a l e n ’ e s t p a s c h o s e ais é e . P uis q u e m o n h o m m e m e s o u tie n t d a n s t o u t e s m e s e n t re p ris e s, il n e t ro u v e p a s d’in c o n v é nie n t à m a p a r ticip a tio n e n p o litiq u e . D u fait d e l a m a t e r nit é e t co n sta ta n t m o n in dis p o nibilité p o u r m a fa mil le, e n fi n 2 0 1 7, j’ai vo lo n t aire m e n t p ris d u re c u l a fi n d e p a r ticip e r à l’é d u ca tio n d e m a fi l le q ui e s t e n b a s â g e » , éclaire Mme N’zoré. D'autres difficultés ont trait à des préjugés socio-culturels, mais aussi et surtout, à la sécurité des jeunes filles et des femmes. « L e p l u s s o u v e n t , l e s ré u nio n s d u p a r ti p re n n e n t fi n à d e s h e u re s t a rdiv e s. P a r fois, p a r m e s u re d e s é c u rit é , je re l è v e l’im m a t ric u l a tio n d u v é hic u l e e m p r u n té e t le p a r ta g e p a r m e ss a g e a v e c m e s p ro c h e s », glisse Mme N'zoré. Si elle ne nie pas les problèmes de sécurité, Kady Bakayoko se réjouit de ne s'être pas retrouvée dans des situations difficiles. La responsable du Rdr témoigne, cependant, avoir essuyé un certain type de critiques : « l a dis p o nibilit é p o u r m a fa mil le, l a p a r ticip a tio n à l’é d u c a tio n d e s e n f a n t s s o n t d e s a s p e c t s à s a v oir g é re r. J'ai e s s u y é a u s si d e s c ritiq u e s . C e r t ain s m'o n t m ê m e v u e c o m m e u n c e rc u eil a m b u l a n t e n r ais o n d e l'e n viro n n e m e n t p o litiq u e d e c e s d e r niè re s a n n é e s » . Dans les différents partis politiques, il existe des structures propres à la jeune fille et aux femmes. L ’implication de la jeune fille en politique est, aujourd'hui, loin d'être un leurre. C’est, du moins, la conviction de nombreuses formations qui donnent de plus en plus de responsabilités à la gent féminine.
Marthe SEKONGO ( Stagiaire )
La secrétaire générale de l'Association des femmes juristes de Côte d'Ivoire (Afci) a accepté de répondre à nos questions.
Selon vous, quel intérêt ont les jeunes filles à militer dans les partis politiques ?
Les jeunes filles qui ont, au moins, l’âge de 28 ans, en Côte d’Ivoire, ont intérêt à participer à la vie de leur nation en tant que citoyennes mais aussi en tant qu’actrices politiques. Ce n’est pas seulement sur les réseaux sociaux qu’il faut donner son avis, il faut le faire en militant dans une association, dans un parti politique. Aujourd’hui, on note un faible taux de participation des femmes dans la politique. Si les femmes veulent faire entendre leur voix, il va falloir participer à la vie politique, qu’elles songent à intégrer les partis qui prennent en compte leurs idéaux. Comment pourrait-on inciter les jeunes filles à s’intéresser à
la politique ? En faisant des sensibilisations, parce qu’aujourd’hui, les jeunes filles ont peur. C’est qu’elles assimilent la politique à la violence, aux troubles. Il serait donc intéressant de faire des formations politiques en expliquant que la politique n’est pas seulement le fait d’être dans l’opposition ou être dans le parti au pouvoir, mais que c’est aussi participer à la vie de la nation, car la politique est définie comme la gestion de la cité. Il n’y a pas lieu d’avoir peur en participant à la gestion de la cité. Il faut aussi promouvoir les exemples de femmes devenues des modèles en politique.
Existe-t-il des textes de loi qui régissent ou encouragent la participation de la femme en politique ?
Les articles 35 et 36 de la Constitution encouragent la participation politique de la femme. La Constitution du 8 novembre
2016 est favorable à la participation politique de la femme à toutes les instances de prise de décisions. Ce qui permet aujourd’hui à la femme d’avoir le plein droit de se présenter comme présidente de la République, de participer à toutes les assemblées élues, dans son foyer, en entreprise et à toutes les structures de prise de décisions. J'ai rencontré récemment une députée kényane de 23 ans, chef de parti politique. Alors les femmes peuvent oser. Mais le problème en Côte d’Ivoire, c’est que le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant, sur la base de la Constitution, a rédigé un projet de loi sur la parité. Ce texte est bloqué au niveau de l’Assemblée nationale. Jusqu'ici, nous n’avons pas de suite. Une fois que cela sera effectif, les femmes pourront évoquer la loi lorsqu’on leur refusera l’accès à des instances de décisions.
Par M. SEKONGO