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Les migrants damnés de la terre mauritanienne : La carte de séjour ou le parcours du combattant

La gestion de la carte de séjour es marquée du sceau de l'amateurisme. Significative, à cet égard, l'erreur de communication de Mohamed Ould Boïlil, alors ministre mauritanien de l'Intérieur. Il avait annoncé, au cours d'une réunion avec les représentants des communautés de migrants subsahariens, que "la contrainte financière, c'est-à-dire les 30 000 UM de quittance, était levée […] et la carte désormais délivrée 72 heures après le dépôt du dossier". Une pseudo-mesure jamais été respectée. Coup de théâtre, le dimanche 29 janvier 2013, le wali de Nouakchott convoque une nouvelle rencontre où n'assisteront que les communautés étrangères subsahariennes. Et d'annoncer : "Les cartes de séjour sont disponibles […] elles peuvent être retirées à partir du 3 Février… contre paiement de 30 000 UM […] ". Question d'un participant à la réunion : "Pourquoi avoir dit que tout était gratuit ?". Réponse laconique du wali : "C'était une erreur de communication". Un flou qui n'avait pas été épargné les présidents sénégalais et mauritanien.

De passage, le dimanche 16 Septembre 2012 en Mauritanie, Macky Sall remercie son homologue Mohamed ould Abdel Aziz pour la gratuité de la carte de séjour. Etonné, Ould Abdel Aziz répond qu'elle ne l'a jamais été. Et de se tourner vers son ministre de l'Intérieur, présent à ses côtés, pour des explications. "C'est le dépôt qui est gratuit et non le retrait ", répond, pince-sans-rire, Ould Boïlil, ainsi que le relate Al Akhbar. Une bizarrerie bien mauritanienne qui eut, tout de même, ses "petits" profits. "Par ce leurre, les autorités mauritaniennes ont poussé beaucoup d'étrangers à s'entasser devant les centres d'enrôlement. Mais qu'est-ce qu'elles vont encore inventer pour que les gens payent 30.000 UM ?", s'énerve le Togolais Koffi Mensah, enseignant dans le privé.

Coupé-collé décalé

Pour Me Youssouf Niane, avocat et coordinateur de l'antenne de l'Amdh à Nouadhibou, «le contenu de la loi portant sur l'entrée et le séjour des étrangers et au droit d'asile, dans le cadre des réformes législatives en rapport avec l'harmonisation des normes internes avec les conventions internationales et des évolutions récentes dans le domaine de la migration est quasiment, mot pour mot, le texte de la législation française (en vigueur depuis 2006). Cela renforce le sentiment d'une loi adoptée pour satisfaire à des exigences européennes, plutôt qu'une réponse à des besoins nationaux».

En fait, cette loi est totalement inadaptée aux besoins et aux capacités de la Mauritanie en matière de migrations et, par conséquent, inapplicable sur bien des points, même à supposer que la Mauritanie ait - ce qui n'est pas le cas - les moyens financiers et humains de la mettre en œuvre. Les catégories prévues pour l'obtention d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de résident ne correspondent, en rien, aux besoins du pays. Copiées sur la loi française, elles relèvent d'une "immigration choisie", alors même que la Mauritanie a un besoin pressant de main d'œuvre, notamment qualifiée, en nombre de secteurs, comme l'hôtellerie, la restauration, la pêche, le pétrole, les mines, etc.

Selon Me Niane, la loi prévoit la possibilité d'obtenir une carte de séjour temporaire (validité d'un an) pour les visiteurs n'exerçant aucune activité professionnelle et prouvant qu'ils peuvent vivre de leurs seules ressources, les chercheurs, les étudiants ou, encore, les artistes. Les autres catégories pouvant solliciter une carte de séjour temporaire reposent sur des critères de vie privée et familiale : enfant de titulaires de carte de séjour temporaire, étranger marié à un ressortissant mauritanien, parent d'enfant mauritanien, étranger né en Mauritanie etc. Il y a aussi la justification, par tout moyen, de résidence en Mauritanie depuis plus de 10 ans (15 ans, s'il était étudiant) ou la volonté d'exercer une activité professionnelle soumise à autorisation : profession libérale, commerce et industrie.

Il en est de même pour la carte de résident (validité de trois ans), qui peut être accordée pour des raisons familiales : conjoint(s) et enfant(s) mineur(s) d'un titulaire de la carte de résident ou de l'étranger parent d'enfant mauritanien ; de plein droit aux réfugiés, à l'étranger marié depuis au moins un an avec un(e) Mauritanien(ne), à l'enfant étranger d'un ressortissant mauritanien, à l'étranger en situation régulière depuis plus de trois ans (sauf étudiant) ou, encore, à l'étranger titulaire d'une pension de retraite en Mauritanie. "Incontestablement, les catégories de personnes pouvant prétendre au droit au séjour en Mauritanie n'ont, à aucun moment, été pensé en fonction de la réalité migratoire en Mauritanie", déplore l'avocat.

Le ministre de l'Intérieur et de la décentralisation, Ahmed ould Abdallah, soutint, lors de la 2ème réunion du groupe AFIC-Frontex à Nouakchott, en mai 2016, que "le contrôle des frontières, via les points de passages obligatoires, équipés de systèmes biométriques, a permis, à la Mauritanie, de […] maîtriser les entrées et les sorties de son territoire, avec des résultats positifs et tangibles permettant de faire face aux dangers sécuritaires exogènes auxquels le pays était confronté".

C'est dès 2013 que l'administrateur directeur général de l'Agence nationale pour le registre des populations et les titres sécurisés (Anrtps), Mohamed Fadel ould El Hadrami, avait, quant à lui, prédit qu'à l'avenir "personne ne pourrait plus entrer en Mauritanie sans autorisation". Pour maître Fatimata Mbaye, présidente de l'Association mauritanienne des Droits de l'homme (Amdh) : "A ce jour, l'Etat ne peut pas justifier les rafles quotidiennes d'étrangers", méthode on ne peut plus sauvage et liberticide des droits pour "chercher de l'argent", avec le vernis réglementaire de la "procédure de carte séjour". D'après elle, même si tout Etat a "le droit de comptabiliser le nombre de citoyens dans son pays", cela doit se faire dans les réglées de l'art et le respect des droits fondamentaux de la personne humaine. Il faut "clarifier cette situation" par une harmonisation des pratiques, afin de palier à diverses "escroqueries dont sont victimes certains migrants voulant se doter d'une carte de séjour, comme l'exige leur pays d'accueil". Car, la présidente de l'Amdh l'assure, "les migrants sont à la recherche d'un avenir stable et propice en Mauritanie".

Elle préconise "une mobilisation citoyenne afin de débusquer les pratiques" qui ont trop souvent privé les gens de traitement décent, lors de refoulements, arrestations ou rafles. "Depuis des mois, les forces mixtes de sécurité (police, gendarmerie et groupement de la sécurité routière) ont été lâchées dans une chasse effrénée aux ressortissants africains à Nouakchott ". Un contrôle sur pièces et sur faciès pour vérifier la conformité de ces personnes aux dispositions légales en vigueur en Mauritanie, qui obligent tout étranger à se soumettre à l'enrôlement biométrique et à l'obtention du titre de séjour. Ces contrôles inopinés n'épargnent ni les domiciles ni les lieux de travail des ressortissants étrangers qui sont traqués jusque dans leur denier retranchement.

Les forces de l'ordre n'hésitent pas à utiliser la manière forte. Des courses-poursuites sont engagées pour mettre la main sur les récalcitrants. Des scènes insoutenables. C'est devenu coutumier : les agents de police investissent, nuitamment, les demeures des étrangers africains, à Sebkha, El Mina et dans les médinas, suscitant des réactions indignées des responsables des associations de migrants. Tout étranger pris sans titre de séjour est directement acheminé vers la compagnie de police de Baghdad, tenant lieu de centre de rétention d'où il sera, après les formalités d'usage, refoulé vers son pays d'origine.

Complaintes

Pléthoriques sont les plaintes d'étrangers pris dans les nasses de ces contrôles. La liste des abus s'allonge jusqu'à former un climat de xénophobie raciste on ne peut plus inquiétant. Des ressortissants mauritaniens d'origine négro-africaine sont souvent pris pour cibles. Ils sont obligés d'exhiber leur pièce d'identité nationale ou de se la faire apporter au centre de Baghdad. Ce qui conduit souvent à des frustrations et à des altercations qui viennent s'ajouter aux fréquents excès qui accompagnent les rafles intempestives. Les Maghrébins, Asiatiques et autres Arabes ne sont nullement inquiétés.

"L'étranger, c'est le Noir", c’est réflexion résume le drame des migrants en Mauritanie. Face au traitement "peu orthodoxe" dont sont victimes les Subsahariens de la part des forces mixtes de sécurité, lors des rafles, et aux lourdeurs des procédures d'obtention, Mme Anke Strauss, cheffe de mission de l'Oim en Mauritanie, évoque "des contacts réguliers avec les autorités mauritaniennes. Nous n'avons pas manqué d'attirer leur attention sur le fait que, par exemple, le prix de la carte de séjour était exorbitant, pour beaucoup de migrants qui travaillent dans l'informel notamment. Nous poursuivons le plaidoyer nécessaire à ce sujet". Des brutalités régulièrement dénoncées par les organisations des droits humains. On évoque, notamment, le cas de Mody Boubou Coulibaly, un migrant malien âgé d'une vingtaine d'années, "décédé le lundi 9 mai 2016, vers midi, à l'hôpital national de Nouakchott, suite à une course-poursuite avec des éléments de la gendarmerie nationale". Aucune enquête susceptible d'élucider ce drame n'a été diligentée par les autorités. Atteint gravement à la hanche, Coulibaly succombe à une hémorragie, quelques heures après son interpellation. "Il était environ 9 heures", racontent plusieurs témoins.

Les faits se déroulent "près de la caserne des pompiers, à la Socogim-plage". Une patrouille mixte surgit dans un chantier de construction où travaillent des maçons, dont Mody Coulibaly. Contrôle des titres de séjour. N'en disposant pas et paniqué à l'idée de se retrouver prisonnier puis reconduit à la frontière, Mody et d'autres ouvriers se dispersent. Poursuivi par un agent, Mody monte au troisième étage du bâtiment en construction. Sans issue devant lui, il saute depuis une fenêtre. Pour tomber sur un piquet de ferraille qui lui transperce le côté. Alors que Mody git dans une mare de sang, un autre gendarme, posté au pied du bâtiment, l'aurait brutalement tiré pour le neutraliser. Un geste qui amène le fer à déchirer plus encore ses entrailles. Comprenant enfin la gravité de la situation, les gendarmes le conduisent directement à l'hôpital national, accompagné d'un autre ouvrier mauritanien présent dans le chantier. Mody reste plus d'une heure totalement ignoré du corps médical. Une des témoins de la scène raconte sur sa page Facebook : «Scène insoutenable, ce matin, à l'hôpital. Un jeune Malien qui fuyait les gendarmes et aurait sauté du haut d'un chantier, pour finir planté sur des fers à béton, a été amené par ses bourreaux qui l'ont sorti, sans ménagements, de là. Il saigne abondamment. Plus d'une heure aura passé avant qu'il reçoive les premiers soins. Seul le policier [de permanence, NDLR] de l'hôpital se démenait pour lui venir en aide. Le jeune homme mourra deux heures plus tard, loin des siens." Selon une source sécuritaire mauritanienne rapportée par Al Akhbar, Mody Coulibaly a été "arrêté parmi un groupe de voleurs et embarqué à bord d'un véhicule ". Il aurait, ensuite, " tenté de s'échapper en sautant du véhicule", ce qui aurait conduit à sa mort…

Protection juridique des migrants en Mauritanie

En principe le cadre légal est suffisant car la Mauritanie a ratifié la plupart des conventions internationales, dont celle sur la protection des travailleurs migrants et les membres de leur famille. Statuts légal et illégal sont clairement différenciés. Malheureusement, en Mauritanie comme en beaucoup de pays de la région, c'est l'application qui pose d'autant plus de problèmes. Actuellement, l'Oim est en train de dispenser des formations, au profit des forces de l'ordre et des magistrats, pour renforcer leurs capacités en termes de protection des droits des migrants. "Nous travaillons, avec le gouvernement, pour renforcer les capacités des autorités à percevoir la légalité ou non des actions que les représentants de la loi peuvent intenter à l'encontre des migrants, clandestins ou non. Beaucoup de ces responsables ne sont pas au courant de la législation nationale en la matière ! Les lois découlant des conventions signées ne sont pas connues des forces de l'ordre : c'est un grave problème", déplore Mme Anke Strauss. La situation des étrangers semble avoir même empiré.

Récemment, plusieurs d'entre eux se sont plaints auprès de l'Anrpts qui les oblige, dorénavant, en plus des redevances exorbitantes, à la présentation d'un titre de travail visé par l'Inspection du travail. Les étrangers se voient ballotés à longueur de temps, de l'une à l'autre, ce qui leur fait perdre du temps et de l'argent. L'Inspection du Travail se dit incompétente et renvoie les demandeurs à la Direction du travail qui les renvoie à la sous-direction X ou Y qui les renvoie à l'Inspection du travail…

Ce sont surtout les étrangers employés dans le privé qui en souffrent car leurs homologues installés à leur propre compte - restaurateurs, professions libérales, etc. - n'y sont pas encore soumis. Nombre d'observateurs préconisent de mettre sur pied un "centre d'accueil ou un guichet unique où les migrants pourront obtenir les informations dont ils ont besoin, les épargnant du désordre actuel où celles-ci ne sont pas homogènes et cohérentes d'une administration à une autre".

Au final, la volonté d'endiguer les flux migratoires se traduit par des mesures de plus en plus répressives, entraînant des violations des droits des migrants, et plus généralement, une dégradation sensible du droit des personnes, notamment négroïdes. Le décalage manifeste entre la réalité omniprésente de l'informel et la formalité de textes pensés sous des cieux autrement policés produit de dangereuses rancœurs et pervertit les affiches démocratiques. C'est dans ce contexte inquiétant que les représentants des communautés de migrants dénoncent les conditions de détention des personnes en instance d'expulsion au centre de rétention  de Bagdad. " Détenus dans des cellules exiguës, entassés les uns contre les autres, ordinairement privés de nourriture et d'hygiène - " On pisse et défèque sur place, les moustiques règnent en maîtres ", déplorent-ils - ces galériens du

21ème siècle ressemblent, à s'y méprendre, à leurs cousins ancêtres que les Européens acheminaient vers leurs territoires, pour y accomplir les tâches les plus serviles. Il s'agit, aujourd'hui, de leur en interdire l'accès. Etrange monde, en vérité, où l'incapacité à partager s'évertue à se donner des airs d'organisation, n'organisant, au final, qu'un désordre innommable et, surtout, inhumain…

Le Calame n° 1040 du 7 septembre 2016

En collaboration avec l’Institut Panos Afrique de l’Ouest