Depuis le début de la crise socio-politique, le flux croissant des personnes immigrées vers le Hambol, région du centre-nord située à 400 kilomètres d’Abidjan, exacerbe le phénomène des enfants mendiants et des mineurs travaillant dans les zones aurifères. L’atelier de renforcement des capacités des journalistes ivoiriens sur les migrations en Afrique de l’ouest, tenu du 25 au 29 août 2014, en collaboration avec l’Institut Panos Afrique de l’Ouest dans le cadre de son projet « Reporters des frontières-Vers un réseau africain de journalistes, professionnels et citoyens, spécialisés sur les questions migratoires, » soutenu par l’Union européenne nous a permis de faire cette première publication. Enquête.
L’une des habitations des enfants migrants, au quartier Sopim de Katola (Ph:S.K)
Le déclenchement de la crise du 19 septembre 2002 en Côte d’Ivoire, a engendré un flux croissant d’enfants venus des pays frontaliers du nord. Il s’agit, entre autres du Mali, du Burkina-Faso et du Niger. Ainsi, la Côte d’Ivoire qui jouit d’une réputation de pays hospitalier a vu le nombre de ses migrants croître considérablement. Au cours de l’atelier de renforcement des capacités des journalistes ivoiriens sur les migrations en Afrique de l’ouest, en collaboration avec l’Institut Panos Afrique de l’Ouest dans le cadre de son projet « Reporters des frontières-Vers un réseau africain de journalistes, professionnels et citoyens, spécialisés sur les questions migratoires, » soutenu par l’Union européenne tenu du 25 au 29 août 2014, le maître-assistant à l’Ufr des Sciences économiques et de gestion du Centre ivoirien de recherches économiques et sociales (Cires) à l’université Félix Houphouët-Boigny, Silvère Y. Konan a fait des révélations sur la migration en Afrique. « L’Afrique compte 200 millions d’habitants avec un taux de croissance annuel moyen de 2,6% par an de 1975-2009 contre 1,7% pour l’Asie (doublement en 27 ans contre 41 respectivement).», a-t-il indiqué. Selon le bilan statistique des mouvements des populations en Afrique occidentale, les principaux pays d’accueil dénombrés en 2010 sont entre autres, la Côte d’Ivoire avec 2 406 713 de personnes, soit 29% du total des immigrés dans la zone, suivie du Ghana avec 22%. Viennent ensuite le Nigeria avec 14%, et Burkina Faso avec 13%. Certains enfants qui sont venus du Burkina-Faso et surtout du Niger avec leurs parents vont s’établir en Côte d’Ivoire, aux dires des experts, pour fuir la pauvreté croissante. « Ces migrants économiques sont la plupart du temps des hommes célibataires, hormis les épouses des étudiants, qui aspirent au séjour temporaire plutôt qu’à l’installation permanente dans le pays de destination« , soutient toujours notre interlocuteur Docteur en sciences économiques, enseignant chercheur à l’Ufr des sciences économiques et de gestion.
Des mineurs mendiants…
A Katiola, chef-lieu de département du Hambol, certains enfants de migrants s’adonnent à la mendicité, tandis que d’autres sont exploités dans des zones aurifères. En effet, une fois la nuit tombée, ces mineurs dont l’âge varie de cinq à dix ans, par groupe de cinq ou dix, squattent les lieux les plus fréquentés de la capitale du Hambol. Portant de grosses boîtes de tomates ou de petits seaux en bandoulière, ces petits appelés talibés prennent d’assaut les abords des maquis, kiosques à café et autres restaurants de la ville, en quête de leur pitance quotidienne. Ainsi les passants et clients de ces lieux sont la cible de ces mineurs qui n’hésitent pas à les harceler pour obtenir une piécette. Quelquefois, les restes de nourriture des clients sont disputés par ces garnements au regard mangé par la faim. Il suffit de s’adresser à un d’eux pour comprendre qu’ils ne parlent ni le français, ni la langue malinké (communément appelée dioula, également parlée dans cette région). Notre guide, Ouattara Fatogoma, animateur à la radio locale, qui parle l’arabe, parvient à leur tirer quelques bribes de mots, dans cette langue qu’ils comprennent. De la sorte, ces enfants peuvent dévoiler la face cachée de cette activité dégradante. Sidibé Brahman est au nombre de ces mendiants errant au centre ville. Faisant partie d’un groupe de talibés communément appelés ‘’garibou’’, ce garçon âgé de sept ans renseigne qu’il vient de Tengréla où résident ces parents. « Mon père m’a envoyé à Katiola chez mon maître pour faire des études coraniques. La nuit, nous étudions avec le maître, et le jour, il nous envoie dès 5h du matin chercher l’aumône à travers la ville», fait-il savoir. «Chacun de nous doit rentrer la nuit couchée chez le maître avec la somme de 500 Fcfa. Si ce n’est pas le cas, il est puni et renvoyé en ville pour chercher le complément avant d’avoir droit au repas. C’est une tradition chez nous les Peulhs; il faut passer par là pour devenir homme,»explique-t-il. Moussa Diarra, un garçon d’environ dix ans, lui raconte que ces compagnons et lui sont arrivés dans cette région avec leurs parents dans l’espoir d’avoir un ‘’mieux-être’’. Interrogé sur les voies et moyens utilisés pour arriver à cette nouvelle destination, le gamin est resté plutôt évasif. Le directeur régional du ministère de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l`Enfant de la région du Hambol, Sékou Traoré, croit également en savoir un peu plus sur l’origine de cette forme de mendicité. « Le phénomène des enfants talibés est multidimensionnel. C’est une entité qui fait partie de la communauté intégrante. Ces enfants dépendent d’une ambassade. C’est vrai que la Côte d’Ivoire les accueille, mais que fait leur ambassade ? » S’inquiète-t-il. « C’est une question face à laquelle personne ne veut prendre ses responsabilités. L’une des véritables plaies, c’est l’inexistence de structures pour s’occuper de ces enfants« , avance-t-il. Pour endiguer cette situation, il propose que des partenaires au développement mettent des moyens à la disposition des experts. « Ce n’est donc pas une affaire d’un seul ministère ! » Argumente le directeur régional. En effet, la Côte d’Ivoire partage les instruments juridiques internationaux et régionaux, avec les pays concernés. Il s’agit notamment de la Convention n°29 de l’Organisation Internationale du Travail (Oit), de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, de la Convention n°138 de l’Oit relative à l’âge minimum d’admission à l’emploi et de la Convention n°182 sur les pires formes de travail des enfants.« Toutes ces différentes conventions sont censées protéger l’humanité des pratiques d’esclavage, de travail forcé, de traite, de l’utilisation des enfants à des fins de prostitution ou à des fins pornographiques ainsi que les diverses formes de travail dangereuses ou effectuées dans des conditions d’exploitation.En les ratifiant, notre pays reconnaît que l’enfant victime de traite a besoin de mesures spéciales de protection pour son développement, son bien- être et son épanouissement, d’où son engagement à œuvrer en vue de l’éradication de la traite notamment des femmes et des enfants« , fait observer Coulibaly Brahima, le Directeur de la communication de la Fondation Children of Africa, organisation engagée dans la lutte contre le travail des enfants.
Les enfants talibés « garibous » se déplacent par groupe (Ph:S.K)
…au profit des adultes
Au quartier Sopim de Katiola où nous rencontrons un marabout nommé Sidibé Nou, qui s’est présenté comme le formateur de ces enfants talibés, nous saurons que ces enfants ont élu domicile dans une résidence abandonnée. Là, ils ont fait des feux de bois pour confectionner un dîner. Certainement, un des mets à base de ce qu’ils ont mendié durant la journée. Depuis plus d’une dizaine d’années qu’il vit avec ces enfants, avoue Sidibé, il n’a nullement connaissance de leur provenance, même s’il approuve l’activité à laquelle ces garnements se livrent. « C’est un fait normal et logique dans les us et coutume des talibés, parce que ceux qui ont besoin de faire des sacrifices vont vers eux directement, » informe le marabout s’exprimant en Dioula. Néanmoins, certains habitants interrogés soupçonnent plutôt un vaste réseau d’enrichissement illicite sur le dos de ces pauvres êtres sans défense. Ces enfants sont aussi livrés à eux-mêmes en cas de maladie. A l’hôpital général de Katiola, en l’absence du médecin-chef du service de pédiatrie en formation à Bouaké, nous avons rencontré une de ses collaboratrices qui, sous le sceau d’anonymat, fait des révélations à ce sujet. « Je suis dans ce service depuis près de huit ans et jusque-là, nous n’avons pas encore reçu un talibé en consultation ni en hospitalisation. Je me demande très souvent comment ils se soignent, »s’inquiète-telle. Les concernés feront savoir « qu’en cas de maladie, le maître les soigne avec des médicaments traditionnels. Sinon, les parents du malade viennent le chercher pour aller le faire soigner ». Cette condition de vie interpelle plus d’un habitant de la région. C’est le cas du responsable de l’orphelinat « Bon Samaritain« , de la ville. Kambiré Sansan propose comme solution à cette maltraitance de faire « rafler tous ces enfants« , en collaboration avec les forces de l’ordre, et les déposer dans son centre. « Ainsi, ceux qui ont des parents se présenteront et ceux qui n’en n’ont pas pourront bénéficier d’un appui que nous offrons aux autres enfants ici, en leur apprenant un métier, ou en les mettant à l’école comme les autres pensionnaires de cet orphelinat« , ajoute ce pasteur à l’église baptiste missionnaire de Côte d’Ivoire. Le guide religieux assure que ces pensionnaires au nombre de 47 sont suivis par le médecin du Centre hospitalier régional (Chr) de Katiola, en cas de maladie. Un appel qui ne va certainement pas rester lettre morte.
Des enfants exploités dans des mouroirs dorés
Dans les différentes zones aurifères où la plupart des immigrés ont trouvé refuge avec leurs familles, les enfants sont une main d’œuvre bon marché. Les mineurs restent aux côtés de leurs parents à qui ils apportent un coup de main au long de la journée. La tâche des tout-petits consiste à tamiser la terre tirée des mines, exposant gravement leur santé à la nocivité des produits toxiques utilisés par les orpailleurs.
Selon une étude sur le travail des enfants Oit/ Ipec, réalisée de novembre 1998 en mai 1999, ces enfants exercent une activité économique, souvent dangereuse pour leur santé physique et morale, dans les domaines des travaux domestiques, du secteur informel, de l’agriculture et de l’élevage, de l’orpaillage. Après le Mali avec un pourcentage de 54,53% d’enfants touchés par le phénomène de l’exploitation des enfants, suit le Burkina Faso.
Ce sont ces deux communautés qui sont malheureusement représentées en majorité dans les zones aurifères de Lofiné, Daga, Sogbêni, I, II et II petit Diawala etc. dans la région du Hambol, selon le directeur régional des mines, Diomandé Mamadou.
Des zones d’orpaillage qui, regrette notre interlocuteur, « ne sont pas autorisées par l’Etat de Côte d’Ivoire pour l’exploitation de l’or« . « Nous menons des séances de sensibilisation pour endiguer le fléau, » a-t-il rassuré, au cours d’un entretien. En effet, le gouvernement ivoirien a entrepris des séances de travail à Korhogo et des visites dans certains sites aurifères, depuis juin 2014, toujours au nord de la Côte d’Ivoire.
Cette démarche n’a pas encore atteint la région du centre-nord comme le Hambol où les enfants utilisés dans l’exploitation artisanale de l’or souffrent de diverses maladies telles que des problèmes respiratoires et des dermatoses. « En plus des infections respiratoires aiguës et des blessures traumatiques, il faut noter les asphyxies souvent mortelles, les maladies digestives, le paludisme, les Ist et le Vih/Sida (chez les adultes). Ces maladies touchent aussi bien les orpailleurs que les populations environnantes. Le paludisme, les infections respiratoires aiguës et les maladies digestives n’épargnent aucune couche de la population. Cependant les blessures traumatiques et les asphyxies sont surtout rencontrées chez les « creuseurs » de puits de mine. L’absorption cutanée et nasale du mercure est observée respectivement chez les laveurs et les raffineurs« , selon l’infirmier d’Etat, Dicry Bleyo de Daracokaha, village situé non loin des sites de Lofiné, Daga, Sogbêni des zones aurifères les plus exploitées dans la région du Hambol. Des propos corroborés par les statistiques livrées par le Directeur départemental de la santé, Dr. Méité Moussa.
Pourtant, le trafic des enfants n’est pas un phénomène ignoré du gouvernement ivoirien parce que cette question était inscrite au nombre des sujets abordés lors des accords de Marcoussis, en ces termes : « La table ronde demande par ailleurs à tous les Etats membres de la Cedeao de ratifier dans les meilleurs délais les protocoles existant relatifs à la libre-circulation des personnes et des biens, de pratiquer une coopération renforcée dans la maîtrise des flux migratoires, de respecter les droits fondamentaux des immigrants et de diversifier les pôles de développement. Ces actions pourront être mises en œuvre avec le soutien des partenaires de développement internationaux« .
Le préfet de la région du Hambol, Yul Lambert Omepieu, en est conscient, mais souhaite « une réelle volonté politique« . A l’en croire, « une coopération renforcée dans la maîtrise des flux migratoires, doublée de respect des droits fondamentaux des immigrants et la diversification des pôles de développement » serait nécessaire. « Cela éviterait des interprétations qui n’ont rien à voir avec l’hospitalité légendaire des Ivoiriens« , a soutenu le représentant de l’Administration dans la région du Hambol.