Au cours de l’année scolaire 2017- 2018 qui s’est achevée fin juin, dans les 22 établissements que compte le département de Téra et sur un effectif de 3166 filles, 130 jeunes filles sont sorties de l’école avant la fin du cycle du secondaire. Soit un taux d’abandon de 4, 10%. Un abandon constaté, surtout, dans les classes de 6eme (82 abondons), puis en 5eme (27abondons) et en 4eme (14 abondons), nous a confié le chargé de la statistique de la DDES (direction départementale de l’enseignement secondaire) de Téra.
Le département de Téra situé à environ 80 km au sud-ouest de Tillabéry et à plus de 180 km de la capitale Niamey. «Le manque de tuteur, la distance entre l’école et le village d’accueil de la fille, la crainte des parents des grossesses non désirées et le mariage précoce » expliqueraient cet abandonpar les filles, nous apprend madame Issaka Salamatou, point focal SCOOFI (une structure chargée de la promotion de la scolarisation de la jeune fille), à la Direction Départementale de l’Enseignement Secondaire de Téra.
Impacts de l’abandon des jeunes filles en cours de scolarité Pour Oudou Boukari, travailleur social à la Direction Départementale de la Protection de Téra, « les filles déscolarisées restent sans occupation. Elles sont dans les rues, elles deviennent des filles vendeuses et s’adonnent à la débauche, à la prostitution et sont mariées précocement ». Il ajoute « Le corps fragile de la fille mineure supporte mal la grossesse et l’esprit de celle-ci n’est pas mature pour gérer un foyer ». Sur le rôle joué par son service pour apporter un changement positif, Oudou Boukari précise « A notre niveau, nous menons des actions pour réduire le phénomène ç travers des émissions de sensibilisation dans les radios privées et communautaires. En plus, il y a des enquêtes sociales en faveur des enfants qui sont en conflits avec la loi. Il y a de cas de l’avortement, de l’infanticide, des bagarres et autres ». Au Niger, l’éducation de la jeune fille constitue une préoccupation majeure pour les gouvernants. Avec une po
pulation estimée à plus de 20 millions d’habitants dont une majorité de femmes (50,3%), elle croit de 3,9%, chaque année. Aussi, 78% de cette population vit en milieu rurale avec 68% de jeunes âgés de moins de 25 ans (selon le Recensement Général de la Population et de l’Habitat-RGPH 2012).
‘‘Malgré son poids démographique important, l’on constate une disparité entre filles et garçons dans les écoles.’’ En 2015, la proportion des filles scolarisées était de 45,02%, tandis que la proportion des femmes alphabétisées est à 18,2% contre 40,2% pour les hommes (RGPH/2012). Au niveau du cursus scolaire, l’écart entre une fille et un garçon est énorme. En 20162017, le taux brut de scolarisation était de 82,1% pour les garçons et 70,2% pour les filles. Les filles nigériennes abandonnent très tôt les bancs de l’école car 76,3% d’entre elles sont mariées avant l’âge de 18 ans et 28,8% avant l’âge de 15 ans. C’est le cas de Habsa (ndlr : prénom d’emprunt)« J’ai abandonné l’école en classe de 5emeà l’âge de 14 ans. Mes amies du village sont mariées, mes parents pensent que je perds mon temps pour rien. Il y a le risque de ne pas réussir à l’école. C’était difficile pour moi aussi de supporter de rester chez un tuteur sans aucun soutien » nous at-elle confié. Le Niger est pourtant signataire de plusieurs engagements en faveur de la scolarisation de la jeune fille, notamment le Décret N°2017935/PRN/MEP/A/PLN/EC /MES du 05/décembre 2017 portant sur la protection, le soutien et l’accompagnement de la jeune fille en cours de scolarité ; la Déclaration Mondiale sur l’Education pour Tous, de l’agenda 2030 qui traduit l’ODD4, un des objectifs de développement fixé par les Nations Unies. La pauvreté, l’ignorance, les traditions entrainentpar exemple, dans l’enseignement secondaire, les maternités précoces avec pour conséquences les fistules obstétricales, le mariage précoce, le mariage forcé, les grossesses non désirées. Dans beaucoup de cas, quand la fille tombe enceinte, son avenir devient hypothétique : son éducation s’arrête, ses perspectives d'emploi s'évaporent faisant le lit à la pauvreté d’où sa dépendance aux facettes multiples. Selon Mme Albert Chaibou Fadji de la Direction Nationale de la scolarisation de la jeune fille basée à Niamey, les facteurs socioculturels, économiques et institutionnels expliquent l’abandon et la sous scolarisation de la jeune fille nigérienne à l’école. « Il y’a la pauvreté des parents, l’utilisation des filles comme main d’œuvre domestique, la faible représentation des femmes aux instances de prise de décision due à leur statut social peu valorisant. La mauvaise perception que certaines communautés ont de l’école, la faible implication des communautés dans la gestion de l’école, le harcèlement sexuel et les détournements des mineurs entre autres.» Pour le parent d’élève Halidou Karimoune, « il y a des raisons
qui font en sorte que nous sommes obligés de marier nos enfants. Par exemple, leurs ainés y compris les garçons ont échoué à l’école, pourquoi alors dois-je laisser ma fille en ville avec tous les risques d’une grossesse non désirée ou du harcèlement sexuel. Dans le temps, les enseignants sont comme des parents, aujourd’hui beaucoup ont enceinté leurs élèves. C’est pour cela, j’ai n’ai pas hésité à donner ma fille à son cousin qui est au Ghana. En plus de cela, avec l’insécurité dans plusieurs zones de la région, qui va se hasarder à laisser ses enfants surtout une fille» a-t-il martelé. Le phénomène de l’abandon scolaire peut diminuer au Niger en général et à Téra en particulier,avec le concours de l’Etat, à travers la créationde centres d’accueils, en application le décret de la protection de la jeune fille notamment en son article 5 : « l’Etat s’engage à prendre des mesures spéciales pour favoriser l’accès à travers : l’offre de programmes d’alphabétisation et d’autonomisation des filles et femmes non scolarisées ou déscolarisées ; la fourniture aux parents et autres personnes ayant la charge de la jeune fille en cours de scolarité, l’assistance nécessaire en vue de lui faciliter l’accès à l’instruction et à l’éducation » mais aussi aux parents de comprendre l’importance de la scolarisation de la jeune fille.
Souleymane Brah
