« N o u s étio n s o blig és d e q uitterl’é c ole p ar m a n q u e d’arg e nt. N o u sn’a v o ns d e c h oix q u e d e q u é m a n d erd a ns la ru e p o ur tro u v er à m a n g er ». Ainsi s’exprimait, devant notre micro, Salamatou Ousseini, une jeune fille de 16 ans. Le regard perdu, le corps encore frêle enveloppé dans du tissu simple, un voile bicolore sur la tête, Salamatou ne semble pas trop croire en l’avenir. La tristesse qui se lit sur son visage en dit long sur le traumatisme qu’elle a vécu. Traumatisme ? Hélas oui ! La fille et ses quatre frères et sœurs ont dû quitter précipitamment leur village natal, dans la commune rurale d’Inatès.
Nous sommes dans la région de Tillabéri, précisément à Ayorou, un département situé à 200 km à l’Ouest de Niamey, la capitale du Niger. Les 66 106 habitants dont 33 322 femmes (estimation de 2016 de l’Institut national de la statistique- INS) de ce département vivent les conséquences de la frontière de plus de 800 km que le Niger partage avec le Mali.
En mai dernier, le village d’Agaye Peul dans la commune d’Inatès fut attaquée par des individus armés. Salamatou vit dix-sept membres de sa famille froidement abattus sous ses yeux. Ses parents arrivèrent à s’enfuir avec elle et quatre autres de leurs enfants. À pied, la peur et la faim au ventre, la famille, du moins ce qu’il en reste, marche 55 km pour aller faire son deuil à Ayorou. Ils ont tout laissé derrière eux, y compris l’école de Salamatou qui due abandonner sa classe de CM2. À Ayorou non plus, la jeune fille n’a pas eu la chance de réintégrer l’école. Ses ascendants trouvent qu’elle est déjà trop âgée. Salamatou n’est pas la seule dans ce village. Sa cousine, plus jeune qu’elle aussi, abandonne l’école et pire son village. « Je n e v ais plus reto urn er d a ns m o n
villa g e n atal, » s’est confiée en hochant la tête Hayratou Ahmadou, 12 ans. « L’insé c urité a d ésta bilisé la sc ola-ri té d e m es e nfa nts. J’ai to ut p erd ud a n s c ette histoire d e terrorism e :m a fa mille, m es a ctivités lu cra-ti v es…, to ut » explique Ahmadou Moussa, père de Hayratou. « M es e n-fa nts o nt été re n v o y és d e l’é c ole àc a u se d e 7 5 0 F C F A. Q u e D ie u n o u sé p arg n e d e l’insé c urité » se lament-il. Pas étonnant dans une localité soumise à l’état d’urgence depuis le 3 mars 2017. Rues désertes, activités économiques au ralenti, Ayorou ressemble à une ville fantôme. « L a situ atio n est d é plora ble (…) m ê m e la v e nte d e c arb ura nt q uin o u s pro c ure q u elq u es re v e n us estinter dite » nous confie Abdoulaye Oumarou, Président des jeunes du département. En fait, Salamatou et Hayratou ne sont pas seules dans cette situation. Au cours de l’année scolaire 2017-2018, quelques 780 élèves dont 405 filles ont abandonné l’école dans le département d’Ayorou, selon Madame Kaltoumi Seydou, chargée de la scolarité de la jeune fille à l’inspection d’Ayorou.
« L a pré occu p atio n m aje ure d e cettep o p ulatio n, c’est l’in sé c urité » explique Abdoulaye ALISMAK, Maire élu d’Inates. L’école reléguée au second plan, s’entend. « C es g e ns-là o nt q uitté le urvilla g e et l e urs é c oles. C’est u n e si-tu atio n c o m pliq u é e », se désole-t-il. L’abandon scolaire « a u n im p a ct n é g a-tif surto ut ch ez les filles. Elles viv e nt u n c a u c h e m ar, u n e psy c h ose g é n é-r alisé e » déplore Madame Issoufou DOURA, Conseillère pédagogique représentante de l’inspecteur de l’enseignement primaire dudit département. « L e s d é sc olarisé s, n ota m m e nt le sfil les, se livre nt à la prostitutio n p o ur
su b v e nir à le urs b esoins. L e p h é n om è n e in q uiéta nt, c’est surto ut le re-cr ute m e nt d e c es je u n es fillesd és orie nté es p ar les b a n dits. A y a ntd éj à su bi u n tra u m atism e, c’est trèsfa c ile d e les re cruter » s’inquiète Abdoulaye OUMAROU, Président du Conseil communal de la jeunesse (CCJ) d’Ayoro. Aujourd’hui le rêve de Salamatou est brisé. Elle, qui compte devenir un agent de santé ou de l’environnement pour aider sa famille et son village à faire face à ces deux questions qui déstabilisent la zone. Pour le psychologue Hassane Amadou Aboubacar, « les filles q ui o nt a b a n-d o n n é l’é c ole v o nt c h erc h er à se sa-tisfaire p arc e q u’elles o nt q uitté l’a utre h é misp h ère d’o ù elles p e n-s aie nt a v oir u n m eille ur a v e nir ». Il y’a toujours un problème psychologique que ça va engendrer chez la fille, poursuit-il. « Elle se se nt h a n dic a p é e m o-rale m e nt, d éta c h é e d e la so ciété. Elle v a dire q u e c’est la so ciété q ui n e l’aim e p as d u to ut, q u e c’est la so-ci été elle-m ê m e q ui est à la b ase d ec ette situ atio n q ui l’a p o u ssé e à a b a n d o n n er l’é c ole. Elle v a, alors,c h erc h er refu g e d a ns la prostitutio no u la crimin alité » conclut le psychologue. Au-delà de l’individu, l’abandon scolaire a aussi un impact certain sur toute la société. « O n v a assister à u n e d é pra v a-tio n d es m œ urs d a n s c e g e nre d e situ atio n. L es je u n es filles so nt plus e nclin es à v erser d a ns la prostitutio n » renchérit pour sa part le sociologue-anthropologue, Dr Sani Janjouna. La prostitution étant le lit de contagion des infections sexuellement transmissibles dont le VIH Sida, la déscolarisation des jeunes filles peut aussi avoir un impact négatif sur la santé publique. Les jeunes déscolarisés en général, et les filles en particulier, « risquent de perdre leur statut social. Et la perte de statut a un impact psychologique réel sur la personne ce qui peut l’amener, entre autres, à la consommation de la drogue» s’inquiète Dr Janjouna. Selon une dépêche de l’Agence nigérienne de presse (ANP) de décembre 2017, ‘’ a u niv e a u d e l’e nseig n e m e ntprim ai re, le ta u x d’a c h è v e m e nt d esg arç o n s a c o n n u u n e é v olutio n rem arq u a ble, p assa nt d e 4 0,7 % e n 2 0 0 6 à 8 7,4 % e n 2 0 1 6. P o ur la
m ê m e p ério d e, le ta u x d’a c h è v em e nt d es filles a é v olu é d e 2 5,8 % à 6 9,5 %. A u ssi l’é c art e ntre le ta u x d’a c h è v e m e nt d es filles et c elui d es g arç o ns est p assé d e 4,2 % à 5,8 % e ntre 2 0 0 6 et 2 0 1 6 et se cre use d av a nta g e’’
Conscient de l’ampleur de la situation, le président de la République Issoufou Mahamadou a pris un décret le 05 décembre 2017 « portant sur la protection, le soutien et l'accompagnement de la jeune fille en cours de la scolarité. » Ce texte oblige « les c h efs d es éta blis-se m e nts, p are nts, les m e m bres d es stru ctures d e g estio n d es éta blissem e nts sc olaire, ainsi q u e to ute p er-s o n n e inform é e » de « d é n o n c erto ut acte susce ptible d e co m pro m et-tre la sc olarité d e la je u n e fille etd'inform er im m é diate m e nt l es a uto-rités c o m p éte ntes d e la sur v e n a n c ed e tels a ctes. » Mieux, dans son message à la nation le 02 août 2018, le président Issoufou a prononcé ces paroles fortes dans son plaidoyer : « Plu s les filles reste ntlo n gte m ps d a ns le c y cle sc olaire,plus elles s o nt pré p aré es à assurerle ur a v e nir et plu s elles é c h a p p e nta u x m aria g es et a u x grossesses pré-c o c es, q ui l es a bim e nt et les d étrui-se nt ; c es m aria g es et gro ssessespré c o c es so urc es d e fistules o bsté-tricales d ésh u m a nisa ntes et d o nc d estig m atisati o n p arfois à vie. Je d e-m a n d e à v o us to us et à v o us to utes, d e v o us ressaisir afin d e m ettre fin à u n tel dra m e » plaide le chef de l’État.
Une fille déscolarisée devient une mère susceptible de ne pas pouvoir accompagner l’éducation de ses enfants. Or, un enfant sans éducation est un potentiel danger pour la société toute entière. C’est dire que l’impact de l’abandon scolaire des filles est un frein au développement et une menace à la paix et à la stabilité d’un