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Tunisie: migrants subsahariens, qu'en est-il de vos droits ?

La Tunisie, terre d’immigration, optera-t-elle pour une politique migratoire digne d’un pays post-révolution ? le chemin est encore long, selon certains observateurs.

Pays d'émigration, la Tunisie est devenue une destination ouverte aux courants migratoires multiples, subsahariens, libyens et syriens. La situation perdure depuis la révolution du printemps arabe en 2011, seulement le pays continue d'ignorer à travers ses législations, le droit des migrants sur son territoire. Certains parlent de « mobilité réduite sans droits », d'autres avancent « une situation de non-droit », la situation est plus que complexe. Etat des lieux.

Le cadre législatif

« Il n'y a pas de politique migratoire en Tunisie » affirme Mr Hassan Boubakri, universitaire et président du centre de Tunis pour la Migration et l'Asile. Ce, malgré le fait qu'elle a ratifié la Convention relative au statut des réfugiés, le Protocole relatif au statut des réfugiés, le Protocole Additionnel à la Convention des Nations Unies contre la Criminalité Transnationale Organisée contre le Trafic Illicite de Migrants par Terre, Air et Mer additionnel à la Convention des Nations Unies contre la Criminalité Organisée.

La Tunisie se trouve depuis 2011 au cœur d'un débat sur l'asile et les migrations. Mais la législation souffre d'un vide juridique en la matière, souligne Mr Hassan Boubakri tout en ajoutant que les engagements internationaux de la Tunisie apportent un cadre juridique incomplet en matière de respect des droits de l'Homme des migrants, réfugiés et demandeurs d'asile.

En effet, la Tunisie, bien que signataire de la Convention de Genève de 1951, n'a pas traduit en droit interne les conséquences sociales, économiques, juridiques de cette ratification. D'ailleurs, malgré le fait que l'article 26 de la Constitution de 2014 prévoit la protection du droit d'asile à travers une législation, le vide juridique persiste.

Le président du centre de Tunis pour la Migration et l'Asile appelle le législateur tunisien à réviser son cadre juridique pour une meilleure protection des droits des travailleurs migrants. Elle doit pouvoir ouvrir des droits pour les non-nationaux sur son sol, et garantir leur bon respect. Elle doit également réexaminer ses politiques en matière de protection des droits des travailleurs migrants qu'ils soient réguliers, irréguliers, travailleurs du secteur informel ou femmes migrantes.

Quel plaidoyer pour le respect des droits des migrants ?

Selon le ministère tunisien de l'Intérieur, les migrants en situation irrégulière ou sous le coup d'une décision d'expulsion sont régulièrement enfermés au centre d'accueil et d'orientation d'el Ouardiya, (un quartier de la capitale Tunis) le seul centre de rétention du pays, avant d'être renvoyés chez eux. D'ailleurs, des ressortissants originaires du Cameroun, de Côte d'Ivoire et de Somalie ont été transférés le 30 novembre 2016 de ce centre de rétention vers la région de Kasserine, frontalière avec l'Algérie.

Selon Lilia Rebai, directrice du programme Tunisie du réseau euro-méditerranéen des droits humains, ces ressortissants subsahariens ont été conduits à la frontière algérienne, et emmenés à travers la forêt jusqu'à un village algérien. Parmi eux figurait une ressortissante ivoirienne enceinte. « De quels droits parlez-vous ? », rétorque Mme Rebai. Elle ajoute que le blocage persiste entre la société civile et le gouvernement, à commencer par la perception du problème migratoire. Plusieurs associations tunisiennes ont fait de la défense des droits des migrants leurs champs d'action. Elles opèrent avec des réseaux étrangers de défense des droits des migrants et bénéficient de l'appui financier de nombreux bailleurs de fonds.

Mais en dépit de cela, la problématique persiste. Alors que l'Etat tunisien cherche à trouver un équilibre entre les contraintes diplomatiques, politiques, et juridiques, la société civile privilégie la dimension humanitaire, plus exactement le respect des droits fondamentaux des migrants.

L'accès aux soins

« Défendre et améliorer l'accès effectif aux soins pour tous les migrants» tel est l'objectif de Médecins du Monde section Tunisie. Depuis 2015, cet organisme offre des consultations de médecine générale, psychologiques ainsi qu'un accompagnement social du migrant à travers le système complexe des soins de santé tunisien. L'association n'en est pas à son coup d'essai. De septembre 2015 au 31 décembre 2016, précise Sonia Khelif, chef de projet « Appui médico-psychologique aux migrants au sein de Médecins du monde section Tunisie, l'association a accueilli 608 patients. Cette population représente une majorité de femmes, 60 %, contre 40% d'hommes. 4/5 de ces migrants sont âgés entre 18 et 45 ans. La population ivoirienne représente 80 % de la population subsaharienne suivie de la RDC et du Congo Brazzaville.

Selon Sonia Khelif, l'association a mis en place des groupes de discussion animés par des psychologues. Les groupes développent des espaces de paroles et sont destinés aux migrants présentant des fragilités psychologiques qui nécessitent une prise en charge psychologique. L'état de santé des populations migrantes subsahariennes en Tunisie demeure une préoccupation depuis la révolution.

La prise en charge de leur santé a été très limitée entre 2011 et 2014 , qu'il s'agisse de la qualité des soins eux-mêmes, ou de la protection sociale, affirme Mme Khelif. Elle ajoute : « nous nous sommes rendus compte depuis le début qu'il y avait un manque de dialogue énorme entre l'administration tunisienne, et la réalité de la vie des migrants, qui vivent dans des conditions difficiles. Partant du fait que la question de santé revêt une importance toute particulière pour les populations vulnérables et démuniées, nous nous sommes engagés à dénoncer les atteintes à la dignité et aux droits de l'homme. Car toute personne, peu importe son origine et ses conditions de vie, a droit d'avoir accès à des soins de santé ! »

Ecrit par Inès Jelassi à Tunis, avec le soutien de l'Institut Panos Afrique de l'ouest