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LUTTE CONTRE LE VIH SIDA - OBJECTIF DES TROIS «90» : L’impérative implication des personnes clés

 

 

Avec une prévalence générale de 0,7% l’état de santé du Sénégal par rapport au sida n’est pas inquiétant. Mais dès qu’on jette un coup d’œil sur certains groupes, notament les «populations-clés» l’inquiétude monte. Dans les milieux de la lutte contre l’épidémie, le défi est de pouvoir les prendre en charge dans un pays la tolérance à leur endroit est presque nulle. Si donc l’objectif en 2020 est de dépister 90% des personnes infectées par le Vih, d’en placer 90%  sous traitement anti-rétroviral et rendre indétectable la charge virale chez 90% de ces personnes, cette quête des «trois 90» n’est pas une mince affaire.

 

La frayeur que suscitait le sida  s’atténue. En cela, les progrès de la médecine et les succès dans la réponse à l’épidémie ont joué un rôle prépondérant. Les programmes se succèdent et se fixent des objectifs plus optimistes. Aujourd’hui, trois chiffres résonnent comme un leitmotiv et sonnent la mobilisation de par le monde : « 90-90-90». Au Sénégal comme ailleurs, il s’agit de faire en sorte que, en 2020,  90% des personnes infectées par le Vih soient dépistés, 90% de ces personnes soient mis sous traitement anti rétroviral et qu’on arriver à rendre indétectable la charge virale chez 90% de ces patients. Trois années séparent le Sénégal de cette échéance et le branle-bas a sonné dans les milieux de la lutte contre le sida. Ce n’est ni un état de guerre ni un était de siège, mais la vigilance s’impose aux acteurs.

A la Division de lutte  contre le Vih et les Ist, le médecin colonel Cheikh Tidiane Ndour, chef de l’unité n’est point alarmé mais en alerte : «Si on voit la prévalence dans le cadre de la généralité de la population, le taux faible. Il est estimé à 0,7%. Mais appréhendée sur l’angle des populations-clés  les plus exposées, les taux sont acclamant.  On est 18,5%  chez les professionnelles du sexe (ENSC, 2010), 18,5% chez les hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes (étude DLSI 2014) et 9,4% chez les consommateurs de drogues injectables (CDI). La situation  est aussi critique en milieu carcéral, avec les personnes en conflit avec la loi qu’il faut aussi  considérer comme clé». Les inquiétudes su colonel Ndour tiennent fait que ces populations-clés ne sont pas isolées. Elles vivent avec la population, peuvent avoir des relations à risques avec elles et constituent des passerelles de transmission du Vih.

Aussi bien au Conseil national de lutte contre le sida qu’à l’Alliance nationale des communautés pour la santé (Ancs), qui sont à l’avant-garde de ctte mobilisation, le regard est rivé sur les statistiques. Par rapport au premier des trois «90», le Sénégal est encore loin du compte. Le dépistage du virus ne couvre encore que 39 % des personnes infectées. Pour la mise sous traitement anti-rétroviral, elle ne concerne que 54%  de ces personnes et pour le dernier des «90» l’indicateur ne donne que 15%. «Mais il est encore tôt de conclure à quoi que ce soit ; il faut attendre que tous les malades aient accès aux Arv pour le faire. L’objectif est cependant  atteignable. Mais il nous faut arriver à impliquer les groupes-clés les plus exposés au Vih dans cette lutte», assure le Colonel Ndour.

 

La condamnation de la société

 

C’est l’objectif le plus difficile. Ces populations mises en marge de la société, usagers de drogue injectables, professionnelles du sexe ou hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, ont des pratiques qui les exposent à la loi sans compter le rejet et la condamnation sociale dont ils sont l’objet. «On est dans une épidémie de type concentré avec 0,7%, mais si les populations-clés ne sont pas prises en charge et n’ont pas accès  aux soins la situation pourrait empirer», argumente encore le chef de la Division Ist/sida. 

La  perception sociale par rapport à ces groupes limite les chances d’atteindre le premier «90». Sans compter qu’il s’agit aussi de personnes difficiles «à maitriser». Mais dans le milieu de la lutte contre le sida on s’est fait un impératif de les impliquer. «Il le faut impérativement. On cherche à passer par leurs pairs pour avoir accès à eux et les amener vers les lieux de consultations.  Les  résultats de cette collaboration  sont satisfaisants et nous envisageons de commencer l’autotest », confie le  chef de la Division de lutte contre le sida et les Ist. Si des personnes sont testés positifs,  ils peuvent  être référés vers les centres de santé. «On a intérêt à bien les prendre en charge parce que notre santé  dépend de la leur.  Ces personnes sont des passerelles. Un homme qui a des relations sexuelles avec des hommes  peut être polygame  ou mariés et mettre leurs proches dans des situations à risque». De même qu’on ne compte pas les hommes qui fréquentent les professionnels du sexe qui peuvent aussi être des relais dans la transmission du Vih.

Au Conseil national de lutte contre le  sida (Cnls), la réponse à l’épidémie ne se conçoit plus sans les populations-clés. «Elles entrent dans le cadre de la stratégie qui a démarré  depuis un certain  temps.  Nous avons formé des formateurs qui se chargeront, à leur tour, de former des  personnes  chargées de prendre en charge les consommateurs de drogue  par voie injectable », confiait la directrice du Cnls, Mme Safiétou Thiam,  au sortir d’une formation de formateurs  pour une meilleure prise en charge des consommateurs de drogue par voie injectable  (Cdi).  Un phénomène qui prend de l’ampleur et impose une prise en charge des victimes d’addiction. Le programme se poursuit à l’hôpital Fann  et dans les services de psychiatrie, «avec plusieurs aspects qui concernent la prise en charge de l’addiction mais aussi la réinsertion. C’est une approche multidisciplinairequ’il faut pour  aboutir à de très  bons résultats », affirme Mme Thiam.

Yandé DIOP

 

ENCADRE

Dr Lamine Diouf, Psychiatre : Etre plus attentif aux usagers de drogue

 Le docteur Lamine  Diouf est psychiatre. Comme plusieurs de ses pairs il a été  formé  à dupliquer la formation  sur la prise en charge des consommateurs de drogue par  voie injectable. Jusqu’ici cela se faisait à Dakar. Désormais il s’agit de  faire  progresser  la pratique dans différentes localités.  «Nous avons compris que les groupes-clés  comme tous les autres patients ne doivent pas  être négligés, pour éviter qu’elles ne tombent pas dans l’abus et dans la dépendance et  faire de sorte qu’elles  bénéficient de services sociaux, sanitaires et juridiques pour leur éviter des complications», explique-t-il.Il n’y a guère, ceux qu’on appelle «drogués » étaient qualifiés de malades mentaux. Aujourd’hui leur environnement change dans le secteur de la santé.

Y. DIOP

 

DOCTEUR IBRAHIMA NDIAYE 

Le Cpiad est dans la dynamique de collaboration

«Le centre de prise en  charge intégrée  de l’addiction de  Dakar (Cpiad) est dédié au traitement  des usagers de drogue, quelle que soit la voie utilisée.  Et parce que les anciens usagers ont  un  rôle à jouer  dans cette  lutte contre le sida, nous utilisons les personnes sevrées pour améliorer la sensibilisation grâce à une équipe mobile qui se déplace pour mieux parler aux groupes.  Ces usagers de drogue sont des personnes attentives quand  leurs pairs leur parlent.  Dès qu’un test du sida effectué parmi eux est positif, on met la personne sous Arv. Récemment, quand on a fait un contrôle sur la charge  virale,  on s’est rendu compte que l’ensemble des patients  qui ont le Vih  ont de bons résultats biologiques,  avec  des charges indétectables». 

 

ENCADRE

CONFIDENCE  D’UNE PERSONNE SEVREE : « Comment je suis sorti du monde de l’héroïne »

 

Il collabore aujourd’hui avec le Centre de prise en  charge intégrée  de l’addiction de  Dakar (Cpiad). Pour avoir gouté à l’héroïne, c’est un pan de sa vie qui a failli disparaitre. Sevré et désomais utile à la société, il s’est engagé dans la lutte conte le sida.  Dans l’anonymat il conte son histoire… 

 

« Mon  histoire est celle d’un Sénégalais  qui s’est  frotté  un jour à la drogue par voie injectable. Parler de moi  se résume à  faire comprendre comment j’ai sombré dans la drogue. Je suis issu d’une famille modeste. Très tôt j’ai perdu mon père. Ma mère  faisait avec les moyens du bord pour que notre famille subsiste ne serait qu’à la faim. C’était une grande  famille.  J’ai dû abandonner mes études  pour entrer dans la vie active et aider ma mère. Le monde  du travail m’a souri. J’ai  eu un emploi dans une société de la place et par la suite  je suis devenu responsable adjoint.

«Mon traitement  salarial était bon. J’avais même un véhicule et une maison. Je me suis marié par la suite  avec la femme que j’avais choisie et la vie était belle. Mais parfois le destin peut  être doublement cruel.   J’ai perdu ma mère qui était ma boussole.   Je n’étais plus moi-même. J’errais partout en quête de repère. C’est comme si toute la terre s’était dérobée  sous mes pieds.

«Dans ma vie de bohémien j’ai croisé quelqu’un qui m’a fait goûter à l’héroïne. Je venais ainsi de franchir  le seuil  de ce qui  est devenu l’enfer de ma vie. Je me suis isolé pour  devenir un consommateur de drogue. J’étais précaire et  vulnérable. Mais en 2011, une équipe de terrain mise  sur pied pour infiltrer le milieu des consommateurs de drogue injectable (Cdi) cherchait des personnes qui pouvaient faire le travail de sensibilisation.  J’ai été choisi. Mon travail  consiste à aider ces personnes à  réduire les risques  liés à leurs pratiques. Nous procédons à la distribution de seringues  neuves pour récupérer les  seringues déjà utilisées et les détruire. Nous offrons des outils de réduction de risques  comme l’eau stérilisée et les tampons alcoolisés. Nous faisons aussi de l’Iec (Ndlr : information, éducation, communication) pour sensibiliser  et pousser les personnes à aller  vers le centre d’addictologie.

«La société, de manière générale, a un regard sévère sur ces personnes-clés. Ceci  peut  jouer un  mauvais  rôle dans les traitements. Les patients ont plutôt besoin du soutien de leurs proches pour sortir de leur calvaire. Le consommateur de drogue n’est pas quelqu’un qui n’en fait qu’à sa tête. L’addiction est très  complexe.  C’est une maladie.  La personne qui en souffre a besoin d’être  assisté dans le cadre d’une alliance thérapeutique. C’est parce que j’ai bénéficier de ce soutien que je suis à même de parler de mon histoire aujourd’hui».

Y. Diop