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L’exploitation politique de l’homosexualité au Sénégal : quand homosexualité et politique ne font pas bon ménage 

Le 19 mars 2012, dans une salle bondée du Radisson hôtel, le candidat Macky Sall, avant même la proclamation officielle des résultats, est attendu comme le nouveau président du Sénégal. Son adversaire principal, Me Wade a appelé le leader de l’APR (parti au pouvoir) pour le féliciter. C’est donc à la presse nationale et internationale que s’apprête à faire face le nouveau Président. Une question d’un journaliste du quotidien « Messager » retient l’attention et crée même des murmures de désapprobation. Le journaliste n’hésite pas à demander au nouveau président sa position sur l’homosexualité et cherche à savoir s’il comptait légaliser cette orientation sexuelle au Sénégal comme il en a été accusé souvent durant sa campagne. Le « Messager » appartenait au pouvoir libéral et c’était de bonne guerre. On était en plein dans l’exploitation politique de la question de l’homosexualité par les acteurs politiques au Sénégal. La question reviendra encore avec la visite du président Obama. Devant son homologue américain, en juin 2013, la réponse de Macky Sall tombe : « La société n’est pas prête ». Ce n’était pas fait pour taire la polémique. La suite on la connait et les journaux en avaient fait leurs choux gras.

Comme à chaque consultation électorale, le référendum de 2016 n’a pas fait exception. Sur les 15 points soumis au vote des Sénégalais,  certaines ont été contestées par l’opposition, en particulier celui relatif aux droits nouveaux derrière lequel d’aucuns voyaient une porte ouverte vers la légalisation de l’homosexualité. Macky Sall reviendra à la charge le 14 mai 2017 : « La politique ne doit pas nous retarder. Si on le fait normalement, il n’y a rien à dire. Il y a des gens qui disaient qu’après le référendum les homosexuels allaient occuper le pays et l’image de l’Islam serait ternie. Des gens ont fait le tour du pays avec des paroles infondées. Cette politique est à bannir et nous le ferons». 

Les accusations d’homosexualité ne quitteront pas pour autant le milieu politique. Le 7 avril dernier,  à la veille des législatives de juillet, le marabout-politicien Ahmed Khalifa Niasse qualifiait regroupement du mouvement « Y en marre » à la Place de l’Obélisque de Gay Pride. Ce «groupe est un des vestiges du programme Obama du mariage homosexuel tel qu’il l’a exprimé à Dakar», avançait-il.  D’accusation en accusation, les accusations finiront devant la justice. Traité d’homosexuel par un membre de son parti, le secrétaire d’Etat en charge de la Communication, Yakham Mbaye, saisira le procureur le 24 mai 2017 pour « atteinte à son honorabilité ». L’affaire fera long feu, son accusateur ayant été libéré après deux jours d’interpellation.

De telles accusations finissent toujours par être emportées par la clameur politique après avoir fait leurs effets, mais l’exemple de Yakham Mbaye a eu un précédent avec le leader du Grand Parti, Malick Gakou. Accusé d’homosexualité en Octobre 2016,  il avait déposé une plainte au tribunal de grande instance de Dakar. Dans une vidéo diffusée sur le net son accusateur lui reprochait de soutenir la cause homosexuelle. « Nous, nous n’avons pas peur des homosexuels (…) Les Sénégalais ne voteront jamais pour un homosexuel. Si vous voyez Malick Gakou, demandez lui pourquoi chaque année il part en vacance en Pologne et pourquoi les Polonais, lorsqu’ils viennent chez lui aux Almadies, ses épouses n’y sont pas… », avait soutenu un membre de l’Apr.

Quelles conséquences sur la communauté LGBT?

L’exploitation du fait homosexuel en politique peut engendrer des répercussions sur la communauté gay et exacerbé la rancune en leur encontre. C’est en tout cas ce que nous dit un membre de cette communauté sous le signe de l’anonymat. Selon lui, «c’est un débat négatif, et les politiciens s’en servent sans pour autant prendre compte des répercussions qu’il aura ». D’ailleurs estime t’il les accusations sont toutes sans fondement.

« Il y a des politiciens qui n’ont pas de sujet de débat. C’est simplement alarmant. Il utilise le fait homosexuel pour parler de manière négative de leur adversaire mais ce n’est jamais fondé » ajoute t’il. D’ailleurs cela a le don de mettre la communauté mal à l’aise laissera t’il entendre.

 

Pourquoi les accusations d’homosexualités en politique font elles sensations ?

Si l’homosexualité est pénalement réprimée au Sénégal sous le qualificatif d’«acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe », il n’existe pas dans la législation sénégalaise un texte incriminant l’homosexualité. Si cette orientation sexuelle reste un mystère pour beaucoup de Sénégalais, des familles qui comptent en leur sein des enfants au penchant sexuel contraires aux normes  ne manquent pas.  Mais l’homophobie reste si ancrée dans la société qu’être d’homosexualité est synonyme de dégradation. Les politiques en font alors une arme. Surtout quand les media véhiculent tout sans se soucier de chercher où est la vérité.

 «L’homosexualité est généralement traitée comme un fait divers, avec beaucoup de sensationnalisme, confie Seydi Gassama, directeur du bureau sénégalais d’Amnesty International. Les médias ajoutent beaucoup de détails dans le traitement. Cela est destiné à la consommation du public qui est foncièrement contre. On sait que l’article va faire débat le lendemain».

Les accusations d’homosexualités sont considérées comme un délit de diffamation, mais le code électoral sénégalais offre la parade. En son article 11 il stipule que « de l’ouverture officielle de la campagne électorale jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin, aucun candidat ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé pour des propos tenus ou des actes commis durant cette période et qui se rattachent directement à la compétition ».

C’est dire que politique et accusation d’homosexualité sont partis pour cohabiter longtemps.

Mamadou Diouf