La prostitution est légale, sa pratique quasi impossible faute d’un cadre juridique approprié. La loi laisse beaucoup de vide sans compter qu’elle est dépassée par le temps, désuète et obsolète. La légalité du plus vieux métier du monde au Sénégal n’est que saupoudrage selon les juristes…
Tribunal des flagrants délits de Dakar, un mercredi matin. La salle n° 1 du Palais de justice refuse du monde. A 10h la composition du jour devant statuer sur les dossiers a déjà pris place et a commencé la mise en état. Dans le box des prévenus trois jeunes dames attirent l’attention. Le visage masqué derrière un foulard, elles ont déjà répondu à l’appel et sont prêtes à être jugées. M.S, F.D et Y.M sont poursuivies pour les délits de prostitution illégale et défaut de carnet sanitaire. Les mises en cause ont été prises par les hommes de la brigade de la Gendarmerie de la Foire à hauteur du bar restaurant ‘’Chez Wily’’, à Nord Foire.
Devant le juge elles nient les faits qui leur sont reprochés. « Nous étions certes en train de chercher des clients, mais nous avons tous nos papiers. Nous sommes en règle avec la loi », plaident-elles. Les agents qui les ont raflés n’en n’ont eu cure. Selon les inculpées, l’une d’entre elles avait eu des démêlés avec un des agents le jour de leur interpellation. «C’est le genre de policier qui nous demande une commission ou des informations qui peuvent avoir des répercussions sur notre travail. Nous refusons de jouer son jeu et il nous arrête chaque mois», se défend le trio. Dans son réquisitoire, le représentant du ministère public soutient que des dossiers similaires le tribunal en reçoit presque tous les jours. Mais puisque les policiers et gendarmes auteurs des arrestations ne comparaissent pas, on met tout le tort sur le dos des prévenus.
Sentence du procureur : celles qui choisissent ce métier reconnu par la loi doivent se soumettre aux recommandations et être en règle. « On ne peut pas vivre d’un métier dans la clandestinité. Les lois sont faites pour être respectées», souligne le ministère public.
« Les proies des policiers »
Etre en conformité avec la loi ne suffit pas, entend-on proclamer dans le milieu des professionnels du sexe (Ps). Les prostituées se disent souvent obligées de collaborer contre leur gré avec les forces de police et de gendarmerie. Parmi celles qu’elle appelle «les proies», S.S. se distingue. Elle dirige une association qui encadre les Ps et milite dans plusieurs organisations de défense des droits humains. «Les besoins de survie dans le milieu sont tellement forts que même si on a les armes pour se défendre, on préfère se soumettre aux chantages ou pour ne pas perdre du temps dans les commissariats ou pour ne pas se retrouver en prison. Aujourd’hui nos trois camarades ont bénéficié du doute, mais elles ont perdu au moins une semaine derrière les grilles avant de faire face au tribunal. Pour des responsables de familles qui font vivre leurs familles par leur travail, c’est une perte importante. La loi ne milite pas en notre faveur alors que nous avons des droits en tant qu’êtres humains. Les policiers doivent faire preuve de tolérance et ne pas abuser de leur position. On ne peut pas représenter la loi et faire subir l’injustice à des citoyens ».
La prostitution est tolérée et réglementée au Sénégal, mais l’activité s’exerce dans un cadre qui n’est pas approprié. En effet, la répression du proxénétisme, prévue aux articles 323 et 325 du Code pénal, empêche la prostituée d’exercer son activité dans les hôtels, les maisons, etc. Au bout du compte elle ne peut le faire que dans la rue, mais là encore la réglementation l’en empêche en prévoyant deux types de sanction. La première est une infraction de droit commun, car relative à l’outrage public à la pudeur. La seconde est l’incrimination de la prostitution par le biais du racolage (voir encadré).
Juriste consultant, Jérôme Bougazelli estime qu’il est important pour les agents comme pour les prostituées de se familiariser avec les textes. «L’Etat qui réprime doit organiser des formations ou inciter les structures spécialisées à donner la bonne information. Mieux, il lui revient de mettre en place des politiques de prévention et de réinsertion des prostitué(e)s, mais aussi de veiller à une révision de l’ensemble des textes en vigueur en tenant compte de l’adhésion du Sénégal à la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, approuvée par l’Assemblée générale des Nations Unies ».
Une étude sur le cadre légal de la prostitution, réalisée par l’ONG Africa Consultants International dans le contexte de l’épidémie du sida au Sénégal démontre «la nécessité de revoir les politiques et textes qui régissent la prostitution au Sénégal dont les plus récents datent de 1969». Des textes dont le caractère reste ambigu, voire obsolète et inapproprié. «Aucune famille au Sénégal, ne peut se prévaloir de ne connaître une personne qui s’adonne à la prostitution. Il y a dans ce milieu de nombreuses femmes qui vivent dans la souffrance. Le législateur et les pouvoirs publics, ne peuvent rester insensibles à cette situation. Ils doivent mener une réflexion sur la question», constate M. Bougazelli.
Quand la loi expose les mineurs
Pour être prostituée au Sénégal il faut avoir 21 ans. Or on ne compte plus les filles qui s’adonnent à cette pratique. L’exerçant dans la clandestinité, elles s’exposent à des risques sanitaires sans pouvoir accéder à des centres de prise en charge des infections sexuelles transmises. C’est dire que la prostitution des mineures pose d’énormes problèmes de santé publique mais également des problèmes d’ordre juridique. «Quand une fille est interpellée pour prostitution, le juge, sachant que l’article 327 bis du Code pénal pose un problème d’application, sanctionne la prostituée mineure en se référant au vagabondage alors que la prostituée majeure doit répondre du délit de prostitution».
Empêcher les mineures de s’inscrire au fichier sanitaire, c’est augmenter le nombre de clandestines et mettre en danger la population car elles ne bénéficient d’aucun des avantages qu’offrent les centres IST.
Yandé DIOP
ENCADRE
Que dit la loi sur la prostitution
Au Sénégal, toute personne qui désire se livrer à la prostitution doit être inscrite au fichier sanitaire et social, être âgé de 21 ans au moins et présenter une carte d’identité ou un passeport pour les étrangères. La loi notifie que l’inscription est volontaire. Il faut par conséquent se munir de 4 photos. Une fois inscrite, un carnet sanitaire est délivré à la prostituée. Elle est soumise à d’autres obligations telles que des visites médicales de contrôle gynécologiques tous les quinze jours et à la présentation du carnet sanitaire lors des interpellations de police ou de gendarmerie.
Au registre des sanctions, la prostituée inscrite peut être poursuivie pour racolage sur la voie publique, non-présentation du carnet sanitaire lors de l’interpellation par la police ou la gendarmerie, non-respect de la date de visite médicale. Par contre, lorsqu’elle n’est pas inscrite, elle tombe sous le coup délit pour non-inscription au fichier sanitaire.
Au registre du racolage, le Code pénal distingue deux infractions. Le racolage « actif » comme ceux qui par geste, parole, « écrit ou par tous moyens procéderaient publiquement au racolage des personnes de l’un ou l’autre sexe, en vue de les provoquer à la débauche». Et le racolage « passif » défini comme une attitude sur la voie publique de nature à provoquer la débauche.