Des milliers de Subsahariens vivent en Tunisie. Etudiants ou fonctionnaires, ils font parfois face au racisme et au silence de l'Etat. Aucune loi ne condamne le racisme.
Discriminations et racisme. Violences physiques et verbales. Difficultés liées à la délivrance de cartes de séjour. Interpellations parfois à domicile. Un calvaire au quotidien dans une Tunisie qu'ils ont pourtant choisi, parmi tant d'autres, pour faire des études supérieures ou bien pour travailler. Guiraguira (singe), kahlouche (nègre), abid (esclave), guird (singe), oussif (noir), lasmar (métisse ) ...
Le racisme contre les Subsahariens ne cesse de prendre des proportions inquiétantes dans les rues de cette Tunisie qui a pourtant donné son nom «Ifriqiya» au continent, et qui est connue pour son hospitalité, sa tolérance et son ouverture.
J'y suis, j'y reste
« Pour être heureuse, il fallait de l'argent et un bon boulot. Je ne suis pas arrivée à terminer mes études, j'étais obligée de rester, je ne voulais pas rentrer chez moi, » affirme Valérie, (le prénom de la jeune femme a été changé pour préserver son anonymat), une jeune sénégalaise, venue étudier à l'université centrale de Tunis.
« Au début, j'étais obligée de mener de front des études et le travail sans pour autant faire autrement pour payer mon loyer, me déplacer et me nourrir. Je me suis laissée distraire par les jobs étudiants, serveuse dans un café ou dans un restaurant, ou « une bonne à tout faire dans une maison. » J'ai délaissé mes études, j'ai refait l'année à deux reprises, je ne pouvais pas continuer, faute d'argent ». Elle baisse la tête, esquisse une moue résignée, et me fixe des yeux, tout en me disant « j'ai décidé de m'installer en Tunisie et de trouver un travail. Ce sont le plus souvent des petits boulots : ménages, garde malades, serveuse. Je travaille ainsi au noir, sans papiers, comme tout le monde, car avec les charges à payer on ne vit pas. »
Son séjour en Tunisie n'est pas rose du tout. Valérie se plaint d'être parfois victime d'injustice dans sa vie privée et sur le marché de l'emploi à cause de préjugés tenaces contre les Subsahariens. Ils sont considérés comme des personnes peu instruites, ou atteintes de maladies contagieuses comme le VIH ou encore le sida.
Les discriminations ne se limitent pas non plus au lieu de travail. Valérie raconte que des chauffeurs de taxi refusent parfois de la prendre et quand elle prend un taxi la nuit, le taximan triple le compteur à son arrivée. Evidemment, elle ne peut pas réagir, étant donné sa situation (sans papiers). « Il faut dire que je me suis préparée psychologiquement depuis le début. Les gens sont plus individualistes que chez moi. J'y suis, j'y reste ».
Mon séjour en Tunisie m'a beaucoup apporté.
David Yawovi Bogla du Togo, étudiant en management/création d'entreprises à l'institut d'administration des entreprises, et président de l'association des étudiants et stagiaires togolais en Tunisie, entame l'entretien par le choix de la Tunisie, pourquoi a-t-il choisi de faire ses études dans ce pays ?
« En clair, entre le Maroc, l'Afrique du sud et la Tunisie, je cherchais un coin où il fait bon vivre avec un budget raisonnable. Je voulais vivre dans un pays dynamique en pleine mutation économique, politique, culturelle, un pays post révolution. Ce sont ces critères qui m'ont permis de placer le curseur haut sur la Tunisie. Un choix que je n'ai jamais regretté en dépit des hauts et des bas. »
Dès les premières heures à l'aéroport « j'ai deviné qu'avoir une carte de séjour en Tunisie s'avère être un vrai parcours du combattant, » souligne David tout en mentionnant que les cartes de séjour sont désormais délivrées au compte-goutte et que les dossiers de nombreux étudiants sont rejetés sans justification.
Beaucoup d'étudiants se retrouvent dans l'illégalité, mais ils ne peuvent pas quitter le pays. Ils doivent terminer leurs études et avoir leurs diplômes. Même le prix des cartes de séjour a augmenté depuis trois ans. Il était de 5 euros, aujourd'hui l'étudiant doit payer 25 euros. Certains subissent des pénalités pour des cartes de séjours provisoires. La pénalité est de l'ordre de 130 euros, d'autres risquent même l'expulsion au milieu de l'année scolaire.
Les subsahariens face à un récent pic d'agressions.
Encore une agression raciste : trois Congolais poignardés, le 24 décembre 2016 en plein centre ville de Tunis. Chris, 26 ans est un étudiant congolais en électronique, il est la première des trois victimes à être agressée avec un couteau par un forcené qui s'est aussi attaqué à deux jeunes femmes subsahariennes. Gemima, 22 ans, étudiante congolaise dans une école d'ingénieurs rentrait chez elle quand elle a été attaquée par un fou furieux qui lui assène plusieurs coups. L'agresseur poursuit ses attaques, Il balafre le visage et manque d'égorger Sarah, 21 ans, étudiante congolaise également dans une université privée.
« Ce n'est pas la première fois qu'une agression raciste contre des étudiants africains est perpétrée par cet individu. Pas plus tard qu'il y a deux mois, une étudiante ivoirienne a été odieusement agressée par cette même personne qui a proféré des insultes racistes avant de l'agresser. L'agresseur a été libéré faute de preuves » souligne le président de l'Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie (AESAT), Rachid Ahmed Souleymane tout en ajoutant que son association a enchaîné les réunions avec les ministres de l'Enseignement supérieur, de la Santé et de la Société civile et des Instances constitutionnelles pour concrétiser les demandes qui traînent depuis des années.
Absence de loi contre les discriminations
L'agression a coïncidé avec la célébration dans le pays d'une « journée nationale contre les discriminations raciales. » C'était le 26 décembre. Le premier ministre, Youssef Chahed, a demandé l'examen en urgence par le parlement d'un projet de loi pénalisant le racisme. « Il faut une stratégie nationale afin de changer les mentalités (et) une loi qui criminalise la discrimination, » a souligné Youssef Chahed dans son discours. Déjà un projet de loi avait été déposé au parlement tunisien par la société civile le 21 mars 2016 à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale, puisque le pays ne compte aucune loi spécifique à la lutte contre les discriminations.
En Tunisie, le racisme n'est pas institutionnel, il est avant tout social. Il est dans les rues, dans les métros, dans les marchés, dans les restaurants. Il est vrai que l'esclavage a été aboli le 23 janvier 1846, mais les comportements des Tunisiens envers les Noirs africains ou tunisiens trahissent ces pensées profondes. « Les premiers à véhiculer l'image négative du Noir, ce sont les médias en Tunisie, » affirme Ghofrane, une jeune étudiante. « Tu ne retrouves pas de journalistes, d'animateurs, de présentateurs de couleur noire sur les chaines tunisiennes, pourquoi ? »
Saadia Mosbah , présidente de l'association « Mnemty », qui signifie « mon rêve » , nous a parlé d'un village au sud du pays où la population est exclusivement noire. Elle a évoqué les insultes racistes d'une enseignante à l'encontre d'un de ses élèves dans un lycée de la capitale, qui l'a traité « d'esclave ! »
Cet immense « tabou » pour la plupart des Tunisiens, continue à faire des victimes, parfois dans l'indifférence la plus totale, tout simplement parce qu'en Tunisie, les injures racistes ne sont pas encore considérées comme un délit. « Il est donc indispensable de mettre en place une législation dans ce sens. A savoir pénaliser carrément l'acte raciste s'il est avéré, » souligne Saadia.
La présidente de l'Association Tunisienne de Soutien des Minorités (ATSM), Amina Thabet, confirme de son côté un silence des lois tunisiennes, une banalisation, et une non-reconnaissance de l'existence d'une telle discrimination, qu'il faut combattre !
« Heureusement, nous ne sommes pas seuls. Nous collaborons avec d'autres associations et on se soutient mutuellement, car nous œuvrons dans le cadre des droits de l'Homme. Nous portons tous l'étendard d'une Tunisie pluriethnique. Nous aspirons à une justice sociale véritable qui bannit la ségrégation, l'exclusion et les discriminations. »
Ecrit par Inès Jelassi à Tunis, avec le soutien de l'Institut Panos Afrique de l'ouest