En 2010, Ousmane, jeune footballeur ivoirien débarque à Tunis pensant pouvoir rejoindre un club. Il va en fait passer 5 ans sur la touche.
Jouer au foot pour certains c'est un loisir, pour d'autres c'est un projet de carrière. Ousmane*, footballeur ivoirien de 25 ans en a fait son métier. Il est aujourd'hui professionnel dans son pays. Avec ses envies de grandeur il s'est rêvé footballeur professionnel à l'étranger et a même tenté sa chance en Tunisie. C'était sans compter sur sa rencontre avec un escroc, qui a ramassé son argent, sans jamais lui faire intégrer un club.
Voilà un an que Ousmane est rentré chez lui, en Côte d'Ivoire, où il profite de sa famille. Il venait de passer cinq ans en Tunisie, "coincé" sans papiers, sans club, sans vrai travail. Une situation cauchemardesque sur le papier, mais qu'il a vécu avec beaucoup de philosophie. Il ne regrette rien de son expérience et de son passage par la Tunisie. Il y a connu "des gens bien", qui l'ont aidé lors de ce "paragraphe", comme il l'appelle. Et un jour, il aimerait bien faire découvrir à sa mère ce pays.
Quitter le pays pour devenir un pro
En 2010 Ousmane, alors âgé de 19 ans joue comme professionnel à Abidjan. Depuis qu'il est enfant sa passion c'est le foot, il ne s'imagine pas faire autre chose et d'ailleurs il est en certain, un jour il jouera, en Europe ou aux Etats-Unis. Mais pour ça il faut se rendre visible, quitter le pays. Car, explique-t-il, le championnat ivoirien n'est pas aussi suivi par les professionnels Européens, que le championnat tunisien. Le voilà alors qui décide de partir.
En tête il a l'exemple du joueur Serey Die, un temps milieu de terrain au VfB Stuttgart en Allemagne, passé par la Tunisie où il est arrivé comme étudiant, avant d'être remarqué lors d'un tournoi. Alors pourquoi ne pas tenter sa chance aussi, même si Ousmane n'a aucun ami ou connaissance qui se soit lancés dans ce voyage ?
Le voilà en contact avec un manager, qui dit travailler avec la Fifa, et qui propose de lui faire intégrer un club en Tunisie. Le manageur est un escroc qui y va au bluff : il reçoit la famille dans son bureau, dont la salle d'attente compte quelques clients.
Un membre de la famille qui émigre c'est un projet collectif sur le continent. Alors tout le monde cherche un moyen de faciliter le départ, espérant en retour que la situation de tous s'améliore du même coup. La mère et la tante d'Ousmane rassemblent la somme nécessaire : un million de Francs CFA pour le manager et ainsi que le prix du billet d'avion. Soit environ 5000 dinars tunisiens.
La désillusion de l'arrivée à Tunis
Voilà Ousmane qui s'envole pour la Tunisie, plein de rêves, et qui, une fois arrivé à destination déchante : le numéro de téléphone du contact tunisien sensé venir le chercher ne décroche pas. Il ne décrochera d'ailleurs jamais. Ousmane compte ses économies, s'embarque pour le centre ville et se trouve un hôtel, persuadé que quelqu'un finira par lui répondre. Les jours passent, sans que jamais personne ne décroche et le jeune homme commence à comprendre. Loin d'être abattu il préfère tirer partie de la situation : «J'étais venu pour le foot, je ne pouvais pas rester toute la journée à l'hôtel, alors je sortais dans les cafés ou j'allais au cyber, pour essayer de me faire des contacts et enfin jouer.»
A ce moment là il sait qu'il ne peut pas faire marche arrière. Sa famille a fait un prêt, il doit rentabiliser le voyage. Et à force d'acharnement il raconte avoir rencontré le président du club de Gabés, qui va le faire jouer. Le club venait de passer en Ligue 1, Ousmane trop heureux d'avoir trouvé une équipe, ne se soucie pas de l'aspect administratif. Pourtant il ne jouera que deux mois avec ce club. Sans rémunération il ne peut rien envoyer à sa famille. Et quand il interpelle le président du club, ce dernier se contente de déchirer le pied de page du contrat contenant les signatures en lui disant qu'il est libre de partir.
Retour à la case départ pour Ousmane qui repart à Tunis et rencontre un gardien du Stade Tunisien au Bardo, qui lui ouvre la porte d'un local afin qu'il s'y loge quelques temps.
Cinq années de solidarité
Le jeune footballeur ne se démotive pas. Encore une fois il se répète qu'il est là pour le foot et tous les jours il s'entraine et cherche des contacts, si bien qu'il finit par rencontrer un jeune tunisien, dans un café, à qui il raconte sa vie. Avec le temps son cercle de connaissances s'agrandit. Il finit par rencontrer des Ivoiriens qui, comme lui, sont là pour le foot. «Tout le monde se cherchait en fait«. Il part s'installer avec eux, surtout qu'il le sait : il est une charge pour la famille tunisienne, qui est elle-même dans le besoin.
Finalement la solidarité a beaucoup fait, car avec le temps il rencontre d'autres jeunes, des Congolais et des Maliens qui, pour la plupart, sont étudiants : «J'ai passé cinq années comme ça, en vivant chez les uns et les autres», se souvient-il.
Ousmane n'arrive pas à trouver de club. Il n'a pas de rentrées d'argent stable, même si quand il peut il travaille comme aide maçon sur des chantiers, avec des plans refilés au bouche à oreilles entre connaissances. Mais surtout il a dépassé depuis longtemps les trois mois de présence autorisés sur le territoire sans carte de séjour. Il est hors système et va vivre ainsi des années.
Ne rien dire à la famille
Au pays il a laissé sa mère, son petit frère et sa petite sœur. C'est lui l'aîné et il doit normalement prendre en charge financièrement la famille. Sa situation lui pèse et impacte la vie de ses proches. Le quotidien est difficile mais le jeune footballeur ne perd pas son but des yeux : il joue et réalise même des vidéos de ses prestations postées en ligne. Au point qu'il retient l'attention de vrais agents Fifa et reçoit des invitations pour des clubs en Europe. «Le problème c'est qu'il faut un visa, et donc avoir une carte de séjour». Or Ousmane est en situation irrégulière en Tunisie. Impossible de demander un visa.
Après plusieurs sollicitations il commence à réfléchir : à l'époque le mercato a commencé et il veut jouer. Il se décide à rentrer au pays, où, au pire, il le sait, il pourra toujours jouer dans un club professionnel. Mais si vivre en Tunisie en étant sans-papier n'est pas si compliqué, quitter le territoire demande des ressources. Ousmane a accumulé cinq années de pénalité pour séjour irrégulier et doit régler une amende de 5000 dinars.
"Moi je me suis rendu moi même à la police."
Un jour il se rend dans un commissariat pour demander des informations : il souhaite rentrer chez lui et ne sait pas comment régler sa situation. Le chef de la police le rabroue en lui disant qu'il suffit de prendre un billet d'avion. "Moi je me suis rendu moi même à la police, personne ne m'a arrêté! " Devant la porte un policier lui dit de revenir le lendemain. Quand il revient il se retrouve dans un bureau avec un préposé qui lui demande son passeport avant de l'envoyer vers le commissariat de son quartier.
Là les choses se corsent. Le policier ne comprend pas ce que Ousmane fait là : comment il est rentré en Tunisie, comment il a vécu pendant ces années... "Moi j'étais content, il était gentil, mais je ne sais pas si c'était de l'ironie... Finalement il m'a tendu des feuilles, tout écrit en arabe et m'a dit de signer. " C'est en fait un procès verbal. Ousmane est venu chercher des renseignements, de l'aide. Les policiers constatent un délit et l'enferment. "Le premier policier m'a demandé ce que j'avais fait. Je lui ai dit que je voulais simplement rentrer chez moi et là il a ouvert une cellule et il m'a enfermé dedans. J'étais étonné..."
Une situation ubuesque. Ousmane vient de signer un procès verbal auquel il ne comprend rien, sans que personne ne lui traduise quoi que ce soit. Il passe la journée en cellule. Les policiers passent à tour de rôle, le questionnent sur sa présence.
La case Bouchoucha
Et puis tard dans la nuit deux hommes arrivent. Ils l'appellent par son nom et le menottent : "J'ai été traité comme un criminel, ce moment m'a définitivement marqué. Dans ma vie je n'ai jamais rien fait, depuis le pays... et là je me retrouve avec des menottes." Ousmane raconte sa peur, dans cette situation inconnue, alors qu'il est menotté et que rien ne lui ai expliqué. «J'ai crû que j'allais mourir. Ils ont roulé, roulé... jusqu'à ce qu'on arrive devant un grand bâtiment, avec des gardes et des chiens. Et moi j'étais là avec les menottes."
Ousmane est en fait transféré au centre d'arrêt de Bouchoucha. Il se retrouve en cellule et cherche un endroit où dormir. Il se demande alors comment son parcours a pu dévier à ce point : lui ne veut que jouer au foot, il se retrouve derrière les barreaux. Le lendemain matin à l'heure de la promenade Ousmane cherche ses marques. Dans un coin une bagarre éclate. " Je ne comprenais rien, je ne savais pas ce que je faisais là. J'ai fini par approcher un gars et lui demandait si il parlait français. Il ne m'a même pas regardé..." Finalement il se rapproche d'un détenu qui parle français et qui lui explique le fonctionnement de la prison. "Je ne l'ai plus lâché. Je crois qu'il n'en pouvait plus. Je le collais tout le temps. Tout le monde me demandait pourquoi j'étais là car j'étais le seul Noir et que j'aurais dû être à Ouardiya. Mais moi je n'ai pas osé demandé pourquoi ils étaient là. Je ne voulais pas savoir..." Tout ce que Ousmane sait c'est que son nouvel acolyte en est à son neuvième séjour à Bouchoucha.
Et puis dans la nuit un groupe de djihadistes approche Ousmane, qui prie régulièrement. Il se retrouve intégré au groupe dont il ne partage pas les idées, mais voit là la seule manière de se nourrir et d'être protégé. Ousmane a quitté son appartement en disant à son colocataire qu'il se rendait au commissariat, mais à aucun moment il n'a pu passer un appel téléphonique pour dire où il se trouvait. Ses amis ne peuvent donc rien faire pour lui.
Le procès
Finalement au bout de trois jours il est transféré au tribunal. Les gardiens font sortir les détenus, les menottent et les font monter dans des estafettes. "Nous nous sommes tous retrouvés au tribunal, à attendre toute la journée dans une cellule, sans nourriture, sans eau, sans pouvoir appeler personne. Je n'en pouvais plus, j'ai commencé à m'énerver et je leur ai dit : "Si vous devez me tuer, tuez moi maintenant, je n'en peux plus ! Je suis venu pour régler mes pénalités et je me retrouve en prison avec des criminels."
Vient alors son tour d'être jugé. Ousmane rencontre son avocat commis d'office et passe devant le juge à qui il explique sa situation, raconte qu'il veut rentrer chez lui. A la fin de l'audience il est libéré, mais a une amende à régler. «Je me suis retrouvé dans un bureau, face à un monsieur qui avait un grand cahier et qui m'a dit que j'avais 120 dinars de pénalité et qu'il voulait que je paie sur le champ. J'ai rigolé. Je n'avais même pas 1 dinar pour prendre un taxi. Il a rigolé aussi et m'a laissé sortir."
Pour autant la situation n'est pas réglée : "Il ne fallait pas juste que je sorte de prison, il fallait que j'ai l'autorisation de quitter le territoire. Je n'avais pas fait tout ce détour pour rien !", rigole-t-il. Une fois le sésame en main, alors qu'il a été refoulé une première fois à l'aéroport, Ousmane finit par rentrer au pays, grâce à l'aide financière de son entourage en Tunisie.
Footballeur professionnel, à la maison
A son retour Ousmane a d'abord passé du temps avec sa famille. Puis il a cherché à intégrer un club et à rembourser ses dettes. Aujourd'hui il dit que tout se passe bien, mais il continue à rêver d'un club à l'étranger. En rentrant il a essuyé les moqueries des amis, souffert de la honte d'un parcours vu comme l'échec de celui qui est parti mais qui n'a pas réussi. " C'était dur, mais j'ai tenu bon." Paisible, il n'a même pas cherché à revoir le faux manager qui est à l'origine de cette aventure. Mais via les réseaux sociaux et le bouche à oreille il s'est rendu compte que l'homme avait fait d'autres victimes. Sans rancune Ousmane a laissé couler.
Aujourd'hui l'arnaque des faux manager est connue et tout le monde s'en méfie. "Et puis il y a ceux qui savent que c'est faux mais qui tentent quand même, parce que ça leur permet de passer." Avec l'expérience Ousmane connait toutes les nuances de l'arnaque : "Il y a des faux managers qui te font venir en complicité avec un coach ou un directeur technique sur place. Ils te font venir, ils te font faire un test, et puis ils disent que tu n'es pas bon. Et là tu ne peux rien faire. Tu as passé un test, donc c'est comme si tout était en règle."
Aux plus jeunes qui voudraient s'embarquer comme lui il donne un conseil : " Pour partir il faut être très fort mentalement. C'est nécessaire. Il faut réfléchir à la manière dont on part. On ne peut pas se lever comme ça et quitter le pays sans se renseigner. Il ne faut pas faire confiance à tout le monde, il faut se méfier, beaucoup. Il y a trop de gens qui parlent, qui ont l'air de confiance, mais qui sont malhonnêtes."
Note d'auteur : Dans un souci d'anonymat le prénom a été modifié. Ce reportage a été rédigé dans le cadre d'un partenariat avec l'Institut Panos d'Afrique de l'Ouest.
https://inkyfada.com/2016/09/football-cote-ivoire-tunisie-migrant/