Depuis l’accord conclu 2014 entre Alger et Niamey, les expulsions de migrants sont devenues fréquentes et obéissent à un agenda flou. Pour les militants des Droits de l’homme et les experts, ces expulsions abusives desservent la coopération et le développement régional.
«Non, l’Algérie ne jette pas des migrants et des réfugiés dans le Sahara algérien ni au travers» s’insurge un représentant du ministère des Affaires étrangères. «Notre pays a toujours accueilli des réfugiés de toutes les nationalités. L’expulsion n’est pas automatique. De nouveaux paramètres décident du destin des migrants et le contexte sécuritaire régional en est le principal», explique-t-il. Pour beaucoup d’associations et d’ONG, l’argument du sécuritaire est léger. «Un migrant ne cherche pas les problèmes, il veut juste une carte de séjour et un travail. Notre pays ne doit pas expulser des centaines de personnes dans le désert et les abandonner à la famine, aux contrebandiers, aux dangers», déclare Salim Hirèche, militant des Droits de l’homme qui, après avoir passé dix ans dans l’associatif, juge que le souci des migrants en Algérie est le «rapport qu’a la société avec eux». M. Hirèche anticipe en précisant que «si on se braque en appliquant les mêmes méthodes qu’en Europe, nous servirons au renforcement des politiques répressives instaurées comme en France».
Depuis la signature de l’accord de décembre 2014 entre Alger et Niamey, plusieurs centaines de Nigériens ont été rapatriés par des convois au départ de grandes villes d’Algérie. Les deux pays ont assuré une parfaite coopération pour organiser ces «rapatriements». Pourtant des militants, des avocats, des migrants et même les médias ont alerté contre certains abus. «Les autorités algériennes remplissent des bus sans avoir la confirmation que certains migrants sont bien des Nigériens. C’est un scandale», rapporte Salim Hirèche.
Awa a atterri à Agadez avec son enfant de deux ans. Elle n’a rien à manger et aucun parent au nord du Niger. «On m’a obligée à prendre le bus car j’étais voilée et je mendiais dans les rues d’Alger. La police est venue me chercher. Je ne connais personne au Niger. Je suis Malienne» avoue Awa, contactée par téléphone. Elle est bloquée depuis des mois à Agadez et aimerait rentrer au Mali. «Même si personne ne m’attend dans mon village, je veux rentrer dans mon pays», espère-t-elle. En août dernier, plus de 400 Maliens ont été expulsés de Tamanrasset par bus, après des heurts avec les habitants.
Ces événements ne sont pas les premiers, les mêmes épisodes se sont produits à Ouargla et à Béchar, les bilans sont toujours lourds. «L’Algérie peut mieux faire dans le domaine des Droits de l’homme, des réfugiés et des migrants. Les lois doivent être reconsidérées, elles ne sont pas figées et c’est là tout l’intérêt», conclut M. Hirèche. Pour rappel, lors de la Journée mondiale des réfugiés organisée au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread), le 20 juin dernier, un représentant du ministère des Affaires étrangères avait affirmé que son ministère prenait très au sérieux le cas des apatrides et qu’une commission étudiait scrupuleusement le dossier.
Faten Hayed
Clara Lecadet. Anthropologue française et auteure
«Les expulsions par voie terrestre dans le désert sont méconnues et constituent l’expression la plus cruelle »
Expulsés par avion, morts noyés en Méditerranée ou abandonnés dans le désert, les migrants sont au cœur du livre de Clara Lecadet intitulé Le Manifeste des expulsés, paru en France. L’anthropologue française analyse les politiques sévères et y raconte les drames de l’après-expulsion.
- Dans votre livre Le Manifeste des expulsés, paru en France, c’est la première fois que l’on parle de ce qui arrive à un migrant après son refoulement. Qu’est-ce qui a motivé votre démarche ?
La genèse de cette recherche remonte à la campagne présidentielle française de 2007 quand Nicolas Sarkozy a fait du quota chiffré d’expulsions d’étrangers sans-papiers un des arguments forts de sa campagne. La froideur de cette logique du chiffre face aux drames auxquels sont confrontés les immigrés après leur expulsion m’a poussée à aller voir au-delà de nos frontières nationales ce qui passe pour eux. Au même moment, j’ai eu connaissance de l’existence de l’Association malienne des expulsés et c’était un peu un phare dans la nuit que des gens arrivent à s’organiser et à protester alors que pour eux tout semblait perdu. Il s’agissait de dépasser l’horizon souvent stérile du débat national pour envisager l’impact de ces décisions sur les pays d’origine ou d’arrivée des expulsés.
Il est en effet important de confronter les politiques migratoires à leurs effets, sur ceux qu’on enferme et qu’on expulse, dont beaucoup disent qu’ils ont le sentiment d’avoir été traités comme des criminels, mais aussi sur les relations entre les pays. Les expulsions révèlent en effet de façon crue les rapports de force Nord-Sud et les nouvelles formes d’hégémonie créées par la promulgation de lois, de normes et d’un modèle global en matière de régulation des migrations.
Enquêter sur l’après-expulsion permettait de réinscrire les expulsions dans une continuité et d’évoquer l’extraordinaire dénuement de ceux qui reviennent, l’errance, la maladie, la mort, mais aussi l’entraide, les moments de lutte, le passage de certains expulsés au registre de l’action collective.
Pensez-vous que la responsabilité des expulsions massives est partagée entre Union européenne et pays africains ? Ces derniers ont-ils une part de responsabilité ?
La politique de retour des étrangers en situation irrégulière a, depuis l’adoption par le Parlement européen en 2008 de la «Directive retour», pris une portée systémique. Mais l’idée que les immigrés, ou en tout cas certains d’entre eux – ceux venus des pays pauvres et dont les métiers sont peu qualifiés –, sont voués à rentrer chez eux, fait depuis longtemps l’objet d’une promotion intense par l’Organisation internationale des migrations (Oim) et l’influence de cette agence onusienne a un impact global. Depuis plus d’une dizaine d’années, des transactions ont lieu entre l’Europe et l’Afrique à travers les accords de réadmission, en général inclus dans des partenariats en matière d’aide au développement.
La politique de l’aide a ainsi été progressivement conditionnée par cette imposition faite aux Etats africains de réadmettre leurs ressortissants expulsés. Le processus d’externalisation des contrôles aux frontières vise également à faire porter aux Etats africains une part de la tâche du contrôle policier et du contrôle des populations sur place. On criminalise l’émigration, comme c’est le cas en Algérie et au Cameroun.
Il y a ainsi un processus de coopération policière, de refonte des législations sur le sol africain, dont on peut dire qu’ils sont le produit direct des pressions conjuguées de l’Europe et de l’Oim. Mais il ne faut pas non plus sous-estimer les mécanismes endogènes des expulsions en Afrique. Des pays, qui représentent des zones d’attractivité économique à l’échelle du continent, peuvent recourir à ces mesures qui permettent de subjuguer une main-d’œuvre ainsi rendue corvéable à merci.
En août dernier, l’Algérie a expulsé 400 Maliens, alors que le Mali est un pays qui connaît une réelle crise. A votre avis qu’est-ce qui motive cette procédure, presque automatique ?
Les pays occidentaux ont construit la notion de «pays sûr» pour tracer une sorte de ligne rouge entre les pays vers lesquels une expulsion serait acceptable et les autres, dans lesquels l’expulsé serait exposé à un danger pour sa vie. Typiquement, on n’expulse pas vers un pays en guerre.
En réalité, ce principe est constamment bafoué. L’Algérie, comme d’autres pays, ne fait pas grand cas du sort des expulsés, comme en témoignent les expulsions régulières depuis la fin des années 1990 au Nord du Mali, en plein Sahara. Les tragédies innombrables causées par ces renvois, l’épuisement, la mort parfois, des expulsés acculés à la survie en plein désert, appartiennent encore à l’histoire cachée des expulsions.
Si les expulsions d’Europe sur les vols commerciaux ou par charters bénéficient d’une certaine médiatisation et sont sources de contestation dans les sphères militantes, les expulsions par voie terrestre dans le désert sont, quant à elles, largement méconnues et elles en constituent l’expression la plus cruelle. Aux mille épreuves de la Méditerranée et à la mémoire des migrants qui y périssent, on pourrait ajouter ces oubliés du désert.
- Croyez-vous que cette initiative de création de collectif ou d’association pour les expulsés pourrait voir le jour dans d’autres pays ?
Le mouvement pionnier initié au Mali par l’Association malienne des expulsés pour le rassemblement des expulsés a eu ensuite un effet de contagion. Ce besoin d’organisation ressenti par les expulsés s’explique par les conditions souvent dramatiques de leur expulsion et leur dénuement à leur arrivée, dans un contexte de durcissement des politiques migratoires durant les années 2000.
De nombreuses autres associations se sont créées dans le sillage de l’Association malienne des expulsés au Mali, comme l’Association des refoulés d’Afrique centrale au Mali (Aracem), l’Association Retour Travail et Dignité (Artd), Direy-ben, mais aussi dans d’autres pays africains, tels que le Togo et le Cameroun. A ainsi émergé un mouvement de protestation propre aux expulsés en Afrique, qui s’est notamment matérialisé par l’organisation d’une caravane commune à différentes associations d’expulsés sur le continent pour rejoindre le Forum social mondial de Dakar en 2011.
Faten Hadad
El Watan, 23 septembre 2016
Faten Hadad a participé au projet «Sans papier sans clichés» de l’Ipao