Soutenir la production et le partage d'informations qui contribuent au changement social

Traitement médical des populations clés : Quand l’argumentaire religieux freine leur prise en charge

Le Sénégal a ratifié toutes les conventions et lois concernant les Droits de l’homme. Cependant, leur application pose problème. Le plus souvent inspirés et imposés par l’Occident, ces droits ne sont en général pas conformes aux réalités socioculturelles locales. Même si par extension certains textes peuvent être reliés à des principes d’essence africaine, leur mise en œuvre reste problématique. Dans le domaine de la réponse au Vih/sida comme dans d’autres, la prise en charge des populations-clés (professionnelles du sexe, usagers de drogue injectable, hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes) se heurte aux mêmes difficultés. La journée internationale de lutte contre le sida a été célébrée le 1er décembre pour insister sur cet aspect, mais le rejet social de ces groupes reste une constante.

Sur ce sujet, les spécialistes de la santé, de la religion et ceux qui étudient la société pensent que  cette couche doit bénéficier de soins et d’assistance de la part des spécialistes de la question. Souvent, l’on évoque l’argumentaire religieux pour rejeter cette couche de la population. D’aucuns se veulent formels là où d’autres trouvent anormal de vouloir discriminer un individu du point de vue de son orientation sexuelle.

 

Abdoulaye Ndiaye, tradipraticien : «Tout malade mérite un traitement médical »

Le tradipraticien Abdoualye Ndiaye ne partage pas l’idée selon laquelle les populations clés ne doivent pas recevoir de soins en cas de maladie, de la part des guérisseurs. «Tout malade mérite un traitement. Quand un spécialiste reçoit  un malade, son objectif doit consister à chercher à le guérir. Le reste  ne le concerne pas. Je comprends ceux qui utilisent le Coran pour soigner. Ils peuvent dire qu’ils ne touche aux populations clés par exemple, parce qu’ils ne peuvent le faire et retourner au Livre sacré Mais le tradipraticien ne fait que donner des médicaments qui peuvent l’aider à guérir.», fait-il savoir.

 

Serigne Mor Mbaye, psychologue : «Le refus de les soigner pourrait conduire à un risque suicidaire »

«Ce refus relève de la stigmatisation envers ces personnes. C’est une façon de les confiner à une situation d’isolement qui peut les affecter et les rendre plus fragile. Car porter cette identité c’est déjà porter un lourd fardeau dans une société qui n’accepte pas une certaine façon de  vivre. Nos valeurs ne sont pas conformes à leur prise en charge, mais on ne peut bousculer une société humaine. Chaque société a une identité, une façon d’éduquer selon ses valeurs. Mais il faut reconnaître que c’est un danger énorme. Cette fragilité dans laquelle on laisse ces populations pourrait les conduire à un risque suicidaire et peut impacter sur la société. Reste à savoir si les spécialistes de la santé l’ont bien compris. En tous cas, ils ont devant eux des humains dont il faut juste respecter la dignité. Lorsqu’on choisit d’exercer dans l’offre de services,  on a le devoir d’accompagner et de soutenir de manière inconditionnelle. Au plan républicain,  nous sommes dans une société démocratique, et on  n’a pas le droit de stigmatiser. C’est l’Etat qui doit veiller à cela ».

 

Association des juristes sénégalaises : « Cette discrimination est condamnable d’un  an à 5 ans de prison»

 

L’association des juristes sénégalaises, à travers Mme Diallo, souligne que la loi, d’une manière générale, ne saurait tolérer que l’on rejette un individu à cause de son orientation sexuelle ou de sa maladie. « Il y a un devoir indéfini sur tous les termes, surtout sur la prévention. Il faut que l’Etat mène des activités d’information et de sensibilisation. Les  prestataires doivent également donner aux malades des services tous les modes de transmission. Cette discrimination est condamnable d’un an à 5 ans avec une amende allant de  100 000 à un million de francs. S’il s’agit d’un prestataire de santé, cette peine peut être doublée ».

 

Abbé Alfred Waly Sarr, Recteur du Grand Séminaire Libermann de Sébikhotane

« La Sainte Eglise recommandede se faire suivre médicalement et moralement».

 

Qu’est-ce que la religion dit du traitement médical des populations clés ?

Il faut d’abord reconnaître que la problématique des populations clés c’est-à-dire des personnes vivant avec le VIH, les toxicomanes, les prostitué(e)s ainsi que des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes est sensible. Beaucoup de personnes, en effet, en souffrent moralement, psychologiquement, physiquement, socialement et même religieusement. Il convient d’avoir une pensée pieuse pour elles, afin que l’Esprit de Dieu continue à les éclairer et à les mener vers la vraie conversion du cœur. Il y en a qui se savent porteurs du virus du sida, mais d’autres l’ignorent. A ces personnes,la Sainte Eglise recommande de se faire suivre médicalement et moralement, afin qu’elles ne soient pas un danger pour la santé sociale. Cela est possible, car il y a aujourd’hui beaucoup de centres liés à Sida service qui travaillent en vue de cet accompagnement. Ce travail de prévention qui incombe à tous reste le moyen le plus efficace contre la propagation du virus. Pour ce faire, il y a des comportements à adopter face aux risques de contamination : l’abstinence et la fidélité, le respect des prescriptions médicales et le respect des consignes afin d’éviter la transmission par voie sanguine. De plus le changement de mentalité soutenu par la lecture de la Parole de Dieu reste de rigueur.

Quelle est la position de l’Eglise face à cette problématique ?

 La position de l’Eglise est claire et demeure la même. L’Eglise est contre l’homosexualité même si les homosexuels restent et demeurent des humains, des enfants de Dieu, créés par Dieu et revêtus de la dignité humaine qui nous est tous naturelle. Pour mieux comprendre pourquoi l’Eglise est contre l’homosexualité lisons entre autres le Livre de Genèse au chapitre 1 verset 26-27, qui souligne la création du premier couple de l’humanité, l’épisode des habitants de Sodome en Genèse 19, le Livre du Lévitique chapitre 18 au verset 22 qui dit « Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme, c’est une abomination. ».

Les populations clé doivent-elles être l'objet de discrimination à cause de leur statut ?

Attention à la stigmatisation et à la discrimination qui pourraient constituer une arme fatale contre la santé publique. Nous avons largement partagé dessus entre Imams et Prêtres  lors d’un séminaire organisé par l’Alliance Nationale des Religieux et des Experts Médicaux Contre Le Sida Au Sénégal (ANREMS). On comprend qu’une famille souffre de la présence d’une personne vivant avec le VIH ou d’un homosexuel en sein. Mais nous avons tous retenu que la discrimination et la stigmatisation ne sont pas forcément la solution. « Toute personne est une histoire sacrée, l’homme est à l’image de Dieu. » Il s’agit pour la sainte Eglise d’adopter l’attitude miséricordieuse de Dieu et de son Fils Jésus Christ, afin d’amener les uns et les autres à la vraie conversion du cœur. Jésus ne disait-il pas à Marie Madeleine, la femme adultère : « Moi aussi je ne te condamne. Va et désormais ne pèche plus » ? C’est à cela qu’il faut travailler en plus de la bonne éducation que nous devons prodiguer à nos enfants et à notre jeunesse.

Ngoya Ndiaye