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L’émigration féminine au Mali : « Les échecs et les succès dans la réinsertion »

 La non adéquation des projets de réinsertion conformément aux besoins des femmes migrantes de retour est à la base de leurs échecs, malgré les cas de succès.

Les données et les recherches au sujet de la migration féminine au Mali sont rares. Dans notre pays, la migration n’est plus seulement l’apanage des hommes. Les femmes maliennes également tentées par l’aventure, seules ou aux côtés de leur mari, vont à destination d’autres régions du Mali ou vers l’étranger. Malgré la variété de leur profil, des motifs de départ et des activités exercées en zone d’accueil, en prenant la décision de migrer, elles répondent à une stratégie collective et, à l’instar des hommes, vont à la recherche de ressources matérielles dont une partie est destinée à leur famille restée au pays.

La migration irrégulière et les multiples drames devenus quasi quotidiens bouleversent l’opinion nationale et internationale. Depuis, la question de la migration domine les agendas (national et international), l’actualité médiatique et politique.

La question est devenue de nos jours très complexe en raison d’une part de la forte propension des jeunes à émigrer au prix de leur vie, de l’insuffisance des mécanismes d’identification et de traque des réseaux de passeurs, de l’insécurité qui règne en Libye, de la quasi limitation des opportunités d’insertion, de croissance économique au niveau des zones de départ, des maigres chances d’accès aux pays de destination par la voie de la migration légale, etc.

Cette situation, malgré les risques et les dangers qu’elle occasionne, conduit malheureusement et toujours bon nombre de jeunes de l’intérieur et des pays voisins à emprunter encore les voies de la migration irrégulière.

Ce contexte complexe de migrations trouve ses racines dans les rôles directement ou indirectement joués par les femmes. L’ancrage social du phénomène migratoire met la femme au cœur du dispositif.

Depuis 2005, le Mali est confronté aux conséquences désastreuses des migrations irrégulières. Celles-ci se traduisent par un très grand nombre de refoulés et d’expulsés, de disparitions et même de morts dans les océans ou à travers le Sahara.

Face à cette situation, le gouvernement à travers le ministère des Maliens de l’Extérieur dans le cadre de sa mission principale a assisté les maliens en détresse. En plus des actions d’urgence en faveur des refoulés, expulsés et autres rapatriés, le département a mis en place des programmes de réinsertion socioéconomique en faveur des membres des associations de migrants.

Cas de réinsertion des rapatriées de Bangui

Dans le cadre de ce programme de réinsertion des victimes de la migration irrégulière, le ministère des Maliens de l’Extérieur a initié des activités génératrices de revenus (AGR) en faveur de 100 femmes rapatriées de Bangui .Ce projet vise à augmenter leurs revenus, de créer des nouveaux emplois, d’une meilleure insertion, de garantir ma sécurité alimentaire et de booster le développement local.
Très peu de ces femmes et jeunes rapatriés de Bangui ont une connaissance des techniques de transformation des produits locaux notamment les techniques de séchage des légumes et fruits, les techniques de production de jus, de sirops et de confitures de fruits.

La transformation agroalimentaire constitue un secteur privilégié d’activités des femmes, jeunes et adultes, en milieu rural comme en milieu urbain. Bien que la plupart de ces activités soient théoriquement rattachées au secteur artisanal, elles sont souvent peu prises en compte dans les dispositifs de formation, en raison notamment des modalités d’apprentissage différentes des autres filières artisanales (transmission des savoirs au sein du cercle familial, parfois d’un rattachement de ces activités au commerce (milieu urbain) ou à l’agriculture (milieu rural) et de la faible organisation du secteur (ces activités) ne sont pas ou peu représentées dans les chambres consulaires).

La transformation alimentaire occupe un rôle central en termes d’emplois, de revenus, de lutte contre la migration irrégulière et de sécurité alimentaire. La majeure partie des produits transformés vendus sur les marchés urbains proviendraient de ce secteur.

Les facilités d’entrée, la modicité du capital nécessaire, la petite taille des unités sont reconnues comme les principaux facteurs de dynamisme des activités alimentaires.

Pour rappel, cette activité rentre dans le cadre de la mise en œuvre de la Politique Nationale de Migration (PONAM). La réinsertion des migrants de retour est une priorité pour le gouvernement car, elle constitue une alternative crédible à la migration irrégulière qui est un véritable fléau pour notre pays.

Le ministère des Maliens de l’extérieur a organisé une formation à l’endroit de ces femmes en activités génératrices de revenus en vue de leur réinsertion. Cette activité de renforcement des capacités a été suivie de remise de matériel de transformation de produits agroalimentaires.

Au cours de la formation, elles ont bénéficié des modules de formation en technique de transformation physique (séchage, extraction, fermentation, mélanges, traitements thermiques, conditionnement, etc.) des produits agricoles, de l’élevage et de la pêche.

Fort requinquée, la représentante de l’Association des femmes rapatriées de la République Centrafricaine, Djenebou N’Diaye,  a salué l’initiative du département. Selon elle,  ce projet  permettra d’augmenter les revenus de ces femmes, de créer des emplois et enfin de garantir la sécurité alimentaire.

Par ailleurs, elle a demandé aux initiateurs d’augmenter le nombre de bénéficiaires qui sont toujours dans le besoin. Elle souhaiterait, au nom de toutes les femmes, plus d’aide afin qu’elles puissent bénéficier d’actions concrètes de réinsertion socioéconomiques dans tous les cercles et communes de la région «car les femmes sont les premières victimes et les plus vulnérables, des crises, parce qu’elles ont souvent seules la charge des familles», a-t-elle conclu.
A  cette préoccupation,  Mme Tangara Nema, chargée de « genre et migration » au ministère des Maliens de l’Extérieur,  est restée très réservée. Néanmoins,  elle a salué les efforts déployés par les plus hautes autorités en faveur  des femmes migrantes de retour forcé.

Quelle réussite pour quels projets ?

Il faut noter  que le développement des activités de transformation  alimentaire contribue à la création des emplois sûrs, à l’augmentation des revenus, à la lutte contre la migration irrégulière, à l’amélioration  de la sécurité alimentaire des urbains et à la lutte contre la pauvreté des femmes de manière significative. Ce qui faciliterait une meilleure autonomisation de 100 femmes et des Jeunes du District de Bamako comme projet pilote.

 Pour le moment,  ce projet  est bien exécuté. Le suivi est assuré par des agents techniques du ministère des Maliens de l’Extérieur. Au-delà de ce projet, il y a des cas de réussite à Bamako. C’est notamment  la création de l’entreprise de production et de commercialisation de l’attiéké a permis à de nombreux migrants de retour, en particulier des femmes d’accéder à des emplois salariés relativement stables. Depuis 2005, 195  personnes y travaillent à temps partiel pour un salaire de mensuel net d’environ 30 000 FCFA, avec toutefois, la possibilité de faire des heures supplémentaires.

Avant de migrer, les femmes, dans leur grande majorité (110 sur 160, soit 68,8  %), ne se considèrent pas comme des travailleuses. Cependant, elles exécutent des tâches domestiques importantes comme faire la cuisine, s’occuper des enfants, faire la lessive, etc. Il s’agit là de travail non rétribué et c’est pourquoi elles se disent inoccupées. Parmi celles qui se déclarent “occupées”, au nombre de 50 (selon une enquête sur la migration féminine à Kayes au Mali), on comptait 22 % de salariées, 36 % qui travaillaient dans le secteur de l’artisanat, 36 % dans le secteur du commerce ou de la restauration et 6 % qui évoluaient dans le domaine de l’art.

Pendant la migration, l’analyse de la situation d’emploi, toutes destinations confondues, révèle que les femmes émigrées sont au nombre de 89 à s’être déclarées occupées. 17 d’entre elles, soit 19,1 % de l’échantillon, n’ont pas pu spécifier la nature de leur travail. Parmi celles dont le travail est renseigné (72 femmes), elles sont nombreuses à se retrouver dans le secteur du commerce et de la restauration (33,8 %). Elles sont également 30,3 % à occuper un travail salarié dans les établissements de commerce, dans les aéroports et gares comme celui de balayeuse. Une faible proportion de femmes émigrées, 14,6 % et 2,2 %, travaillent respectivement dans les secteurs de l’artisanat et de l’art. Si nous procédons à une analyse de l’emploi selon le lieu de résidence, pour les émigrées internationales, elles sont au nombre de 48 à déclarer exercer un emploi. Parmi elles, 23 sont dans le commerce ou dans la restauration contre 16 dans le travail salarié et 9 dans le secteur de l’art. Pour les migrantes internes du Mali, on constate qu’elles sont au nombre de 24 à exercer une activité salariée.

Les échecs : des projets en difficultés

Le soutien de l’Etat à la réinsertion des migrants de retour de Côte-d’Ivoire s’est voulu volontariste même s’il n’a pu répondre à toutes les sollicitations. Certains de ces soutiens ont débouché sur la création d’emplois réels à l’image de l’entreprise des femmes productrices d’attiéké à Bamako et à Sikasso. Des emplois quasi stables ont pu vu le jour. Pour y parvenir, le Centre d’Information et de Gestion des  Migrations (CIGEM) a financé la formation dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration.

En revanche, l’offre des matériels agricoles aux migrants sans qualification suppose qu’il faudra relever les défis de la formation en technique de leur utilisation, de l’élaboration et de gestion des projets et de l’alphabétisation. Beaucoup de projets ont connu ou se heurtent encore à des difficultés. 

 A ce sujet, Issa Coulibaly, président  de l’Association  Retour Travail Dignité (ARTD), déplore l’absence de l’approche participative. « C’est une préoccupation majeure pour nombre de femmes migrantes. « Il faut centrer la chose sur la migrante, au lieu de financer des projets et de donner des machines à coudre, des motopompes. Une migrante qui a été employée  comme  aide familiale ou tresseuse  pendant des années, aura du mal à gérer un atelier de couture ou faire du petit commerce.

Face à cette situation, Fousseyni Sogodogo, Chargé de Projets au CIGEM  (en phase d’évaluation) met en cause la responsabilité des promoteurs de projets. «L’objectif global du CIGEM est de contribuer à la définition et à la mise en œuvre d’une politique migratoire malienne adaptée aux dynamiques nationales, régionales et internationales en insistant particulièrement sur les synergies entre migration et développement.   Quand un candidat vient chez nous pour exprimer ses besoins, nous prenons  le temps d’étudier en profondeur son projet. Notre partenaire à savoir le Fonds d’Appui à la Formation Professionnelle et à l’Apprentissage (FAPFA) nous conseille  sur la viabilité du projet. Il s’agira de voir si le migrant a des capacités requises  et sa réelle motivation », explique-t-il. Avant de révéler la mauvaise expérience  d’un échantillon de 15 migrants  formés en embauche bovine : « Ce sont eux qui ont échoué en dépit de l’expertise d’un vétérinaire qui les a suivi sur le terrain ».

Concernant la réinsertion économique des migrants, il s’avère que la personne qui initie le projet semble avoir un rôle déterminant dans sa réussite ou son échec. Les promoteurs qui ont développé un projet de leur propre initiative ont réussi leur réinsertion économique. Parmi les migrants ayant investi sur le conseil d’une tierce personne, certains ont au contraire arrêté.

L’expérience dans l’activité développée est primordiale. Certains promoteurs ont choisi leur secteur d’activité par opportunité, parfois un peu malgré eux. Par contre, d’autres migrants ont relancé une activité qu’ils avaient délaissée avant de partir en migration. Chez ceux-là, la proportion de réussite est la plus élevée.

Les migrants maliens de retour forcé ou volontaire à la suite du conflit ivoirien en 2002, au regard de ce qui précède, sont pour un nombre d’entre eux, engagés dans une dynamique de réinsertion socioéconomique. Il est vrai, l’échantillon étudié, bien que représentatif, ne permet pas de saisir tous les paramètres liés à la réinsertion de ces migrants de retour. Mais l’analyse du rôle des acteurs impliqués dans le processus de réinsertion dans la vie socio-économique malienne montre à bien des égards, d’énormes avancées.

En la matière, les femmes migrantes de retour de Côte-d’Ivoire sont celles qui semblent réussir ce processus. L’Etat, par le biais de ses structures en charge de la politique migratoire a manifesté sa volonté à accompagner ces migrants de retour à se réinsérer au Mali. Il en a résulté de ce soutien, un élan pour certains migrants de retour, regroupés en associations, vers leur réinsertion socio-économiques.

Mais ces résultats ne doivent toutefois pas masquer certaines difficultés. Selon l’enquête réalisée, beaucoup de migrantes maliennes de retour sont toujours confrontés aux tristes réalités du marché du travail au Mali. Des personnes interrogées affirment ne pas trouver du  financement adéquat pour renforcer leur projet de couture ou de petit commerce.

Selon une étude menée par l’Organisation Internationale  pour les Migrations (OIM) et l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement, l’environnement local  explique les difficultés rencontrées par les projets implantés essentiellement en milieu rural (dans la région de Kayes) : il ressort que les charges familiales apparaissent comme une source de difficultés pour les projets de réinsertion.

Dans un environnement hautement concurrentiel, comme l’est celui du commerce, obligeant le promoteur à faire preuve de dynamisme, d’innovation et de rationalité dans la gestion des affaires, la soustraction d’une partie des revenus pour les besoins familiaux gêne considérablement l’activité. Les magasins de commerce et les boutiques de détail, confrontés à des difficultés, sont principalement installés dans les grands marchés des centres urbains (Bamako surtout, ville de Kayes) où le potentiel de développement est très prometteur. Or, pour des projets dont les charges familiales absorbent généralement la totalité des bénéfices réalisés, parfois même plus de la moitié du capital de démarrage, il est difficile de renouveler les fonds de roulement.

Le décalage entre le monde de la migration et le milieu local, souvent influent, est si important que le migrant a des difficultés pour faire évoluer un projet de réinsertion économique. Toutes ces raisons évoquées constituent de gros obstacles en matière de réinsertion. Ceci  compromet l’avenir pour les rapatriés.

 Face à cette préoccupation majeure, les autorités en charge des questions migratoires doivent soutenir les efforts des migrantes de retour dans la création de leurs micro-entreprises par une facilité d’accès au crédit et des allègements fiscaux favorables à leur développement. Elles doivent faire une évaluation des activités des migrantes de retour de sorte que les emplois créés répondent aux critères du travail décent, notamment l’accès au salaire minima, à la protection et au dialogue social.

Aussi, les autorités   doivent s’impliquer davantage dans les actions d’éducation en faveur des enfants de migrants maliens de retour en apportant un soutien financier et technique aux promoteurs (de plus en plus essoufflés économiquement) pour permettre à ces enfants de recevoir la formation adéquate.

Enfin, l’Etat malien et ses partenaires doivent promouvoir la réinsertion économique par le biais des formations qualifiantes, d’aide au montage de projet. S’y ajoutent l’appui et l’accompagnement à la création et à la gestion d’une petite entreprise. Il faut enfin  faciliter l’accès à des terres agricoles ou d’équipement productif.

Mahamane Maïga