Les femmes ne se contentent plus de suivre leurs conjoints. Comme les hommes, elles prennent le chemin de l’aventure avec tous les dangers. Pourquoi les femmes partent-elles donc ?
Le rapport national sur le développement humain de 2016 dont le titre est ‘’migration, développement humain et lutte contre la pauvreté au Mali’’ fait état d’une féminisation de plus en plus accrue du phénomène migratoire. D’un constat général, les femmes ne se contentent plus de suivre leurs maris. Pourquoi elles partent donc ? Dans son étude « La migration féminine dans la ville de Kayes au Mali », l’universitaire malien Famagan Oulé Konaté distingue deux grandes catégories de causes de la migration féminine. « D’un côté, les motifs sociaux et, de l’autre, les causes économiques. Une grande majorité de femmes (91,2 %) a émigré pour des raisons sociales. Il s’agit de rejoindre le mari (64,4 % des cas), de poursuivre ses études ailleurs (13,8 %), de rendre visite à un parent (6,3 %), etc. Seulement 8,3 % des femmes ont émigré pour des raisons économiques comme chercher du travail, faire du commerce ou exercer une activité économique dans la restauration, les salons de coiffure, l’art », peut-on lire dans cette étude publiée en 2010. Le rapport national sur le développement humain de 2016 du Mali nous apprend que « la féminisation de la migration externe constitue essentiellement des épouses des émigrés et des femmes en quête d’opportunité ».
Les confidences de Hawa Kéïta
Pour Oumar Kéïta, Président de l’Association ‘’Migrant, travail et dignité’’, les raisons qui poussent les hommes à partir sont les mêmes pour les femmes. Selon lui, les causes principales constituent le chômage, la pauvreté, le désir de venir en aide à la famille. En 2005, Oumar Kéïta a traversé le désert malien, mauritanien et sahraoui en compagnie de 62 personnes dont trois jeunes filles maliennes. Ils voulaient tous se rendre en Europe à bord des embarcations de fortune. Si Oumar Kéïta a rebroussé chemin volontairement, tel n’est pas le cas pour d’autres candidats à la traversée de la mer. Parmi les trois jeunes filles qui ont marché et bravé tous les obstacles comme les hommes, le Président de l’Association ‘’Migrant, travail et dignité’’ souligne que deux d’entre elles, Hawa Kéïta (de Kita dans la région de Kayes) et Mariam Traoré (une bamakoise) ont pu regagner l’Europe. « Les femmes partent dans les mêmes conditions que les hommes. Avec les femmes, nous avons voyagé dans les mêmes conditions. Nous avons marché dans le Sahara ensemble. Nous avons affronté les mêmes difficultés », explique notre interlocuteur qui se bat depuis son retour pour une sensibilisation des jeunes candidats à l’immigration mais aussi une meilleure protection des droits des migrants. Pendant le trajet, Hawa Kéïta s’est confiée à Oumar sur ses motivations à vouloir se rendre en Europe contre l’avis de ses parents. Le père de Hawa, souligne-t-il, n’a pas eu de garçons. Dans le village, les garçons des autres familles partaient tous à l’extérieur pour venir en aide à leurs parents. Etant l’aînée d’une famille qui ne comptait que des filles, elle ne pouvait pas supporter plus longtemps cette situation. Elle décida alors de prendre le chemin périlleux de l’immigration clandestine. Actuellement, Hawa vit en Espagne et vient passer ses vacances au Mali où elle rencontre Oumar, son ex-compagnon du Sahara.
Les réseaux de prostitution sur la sellette
Mme Karembé Rokia Diarra est la Présidente sortante de la Fédération des Associations de migrants du Mali, une association à la tête de laquelle elle a passé deux mandats. Selon cette ancienne migrante aujourd’hui employée par le Haut Conseil des Maliens de l’extérieur du Mali, les raisons de la migration féminine sont diverses et variées. « Ce sont les mêmes causes qui poussent les hommes à partir sauf qu’ici il faut ajouter les rapprochements des conjoints, les réseaux de prostitution (trafic de filles, proxénétisme) et les aide-ménagères sur les marchés de la sous-région », a précisé Mme Karembé Rokia Diarra. La patronne sortante de la Fédération des Associations de migrants du Mali estime que la féminisation de la migration fait partie des grands changements intervenus dans le monde. Sur 244 millions de migrants, la moitié est constituée de femmes. « Ce n’est plus une aventure mais un fait lié aux marchés du travail auxquels se trouvent confronter nos pays », avance Mme Karembé. A l’en croire, plus de la moitié des étudiantes qui obtiennent des bourses d’études pour l’étranger ne reviennent pas au pays. « Le mariage n’est plus une priorité pour les filles. Ce nombre se justifie par la facilité des échanges liés à la globalisation qui a contribué au départ mais aussi les métiers très porteurs pour les femmes dans la sous-région tels que le commerce, la coiffure, la teinture, la couture, la restauration et le ménage », argumente Mme Karembé Rokia Diarra.
L’utopique eldorado !
De l’avis de Mme Diarra Mariam Savané, chargée du genre et l’autonomisation des femmes au Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur, avant, les motifs étaient liés au mariage, au regroupement familial. «Pour 90% des femmes, c’était dans le cadre du mariage », soutient-elle. Depuis 15 ans, remarque-t-elle, il y a une vague de femmes qui partent pour des raisons non liées au mariage. « Ce sont les mêmes causes que pour les hommes. Il n’y a pas de causes spécifiques à la femme ». Elle dira que ce vaste départ de la gent féminine est essentiellement lié aux difficultés économiques et aux contraintes sociales. Selon elle, les femmes ne migrent pas pour des raisons culturelles. « La migration féminine est liée à l’aspect économique. La cause culturelle ne concerne pas beaucoup les femmes », explique-t-elle sans oublier de s’attarder de façon large sur la volonté des étudiantes à rester après leurs études pour travailler. Les jeunes filles sont aussi motivées par l’envie de découverte. « Ce n’est pas une découverte de touristes. C’est pour chercher de l’argent. On pense que l’eldorado est de l’autre côté et qu’on y trouve du travail. Ce qui est utopique. Une fois qu’on franchit la barrière, on découvre la réalité. Nous déconseillons aux garçons à plus forte raison aux filles d’aller sur un coup de tête. Il y a des difficultés partout », lance cette ancienne migrante du Gabon.
Si avant, les causes sociales notamment le mariage pouvaient être considérées comme des motifs essentiels de départ des femmes à l’aventure, tel n’est pas le cas de nos jours. Petit à petit, les considérations économiques motivent de nombreuses femmes à aller à la recherche d’une prospérité hypothétique.
Chiaka Doumbia
Mme Cissé Oumou Ahmar Traoré, Journaliste-écrivaine
« La féminisation du phénomène migratoire apparaît comme un facteur d’émancipation »
Mme Cissé Oumou Ahmar Traoré est une journaliste-écrivaine dont la voix résonne au-delà de son Mali natal. En 2007, son roman « Mamou, épouse et mère d’émigrés », paru aux éditions Asselar a dévoilé les faces cachées de l’immigration. Ce roman de plus de 200 pages retrace le combat d’une femme qui affronte les dures épreuves de la vie après le départ de son mari et de ses enfants à l’aventure. Membre du comité de rédaction de l'ouvrage « Les Paris des Africains », Mme Cissé a participé en 2012 à la conception d’un ouvrage collectif sur la crise au Mali « Le Mali entre doute et espoir : Réflexion sur la nation à l'épreuve de la crise du Nord”.
Ancienne chargée de communication du ministère de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille du Mali, Mme Cissé Oumou Ahmar Traoré est diplômée de l’école nationale d’administration d’Alger et de l’Ecole internationale de journalisme de Berlin. Titulaire d’un DEA d’études féminines obtenu à l’Université de Paris VIII, elle a effectué un stage à l'Unité pour la condition de la femme et l'égalité des sexes (WGE) de l'UNESCO. A la Coopérative Culturelle Jamana, elle a été rédactrice en chef du magazine des Jeunes Grin-Grin puis journaliste au quotidien Les Echos. Épouse de diplomate, cette Sarakolé pure et dure dispose d’une expertise avérée et d’une large connaissance du phénomène migratoire. Elle décrypte dans cet entretien la migration féminine.
Qu’est ce qui explique une féminisation de plus en accrue du phénomène migratoire ?
Les raisons sont multiples et assez complexes, elles diffèrent selon les communautés et les pays. Au Mali, pays de départ mais aussi de destination, ainsi que dans de nombreux autres pays africains, la migration, pour avoir été une migration de travail à l’origine, fut perçue et admise comme une entreprise essentiellement masculine. Basée sur la conception traditionnelle de la famille, la migration de travail, lorsqu’elle ne se faisait pas sans la femme en l’exposant à l’attente, l’interminable attente du retour incertain de son conjoint, réduisait ses place et rôle dans le pays d’arrivée, à l’entretien du foyer et à la procréation. A destination de l’Europe, lorsque débuta en 1970 la migration de travail, des migrants, dans le cadre de la politique du regroupement familial se furent rejoindre par leurs familles. Toutefois, la femme n’apparaissait pas comme migrante, mais plutôt une personne à charge ; à cet égard, elle restera longtemps méconnue des statistiques.
Des années plus tard, la survenue de la crise économique dans certains grands pays traditionnels d’accueil de migrants tels que l’ex- Zaïre, la Côte d’Ivoire, la Libye, le Libéria, le Gabon et l’Angola, les expulsions massives de migrants, les instabilités politiques, les conflits post-électoraux et surtout le durcissement depuis deux décennies des politiques migratoires européennes, entraineront la séparation des familles, jetteront les femmes, chacune avec ses motifs, sur des voies inédites de la migration. Cette migration féminine balbutiante ira croissant et le profil de la migrante ne cessera d’évoluer. La femme migrante devient alors plurielle, elle n’est plus seulement la femme au foyer mais aussi, la femme chef de ménage ou du bien-être collectif, la femme enceinte ou allaitante rêvant d’un avenir meilleur pour sa progéniture, la mère célibataire, la femme de métier, l’étudiante diplômée, celle qui revendique les droits à la mobilité et au travail tels que consignés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 :
Article 13 : «Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays »
Article 23 : «Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail »
La migrante, c’est en somme « la femme qui part se chercher », d’après une expression ivoirienne.
La flambée du phénomène migratoire féminin traduit d’abord une certaine prise en main par les femmes de leurs propres destinées, au même titre que les migrants, on les retrouve, dans le cadre de la migration irrégulière, à bord des convois dans les déserts, dans les camps d’infortune de transit, sur des embarcations sauvages en mer, où certaines donnent même la vie.
Aussi, les luttes des mouvements féministes des années 70, les politiques étatiques de la scolarisation des filles et l’ouverture sur le monde extérieur via les nouveaux médias impactèrent positivement la mentalité de nombreuses femmes en entrainant des changements de comportement, la générosité de la législation. A cela s’ajoutent la souplesse des législations de rares pays comme le Mali vis-à-vis de l’accueil des étrangers et de leur insertion socio- économique. Dans notre pays, l’un des rares pays au monde à n’avoir jamais instauré le titre de séjour pour les étrangers, les migrantes sont à majorité Béninoises, Togolaises, Ivoiriennes, Congolaises, Nigérianes, Guinéennes, Sénégalaises, Camerounaises. Qualifiées pour la plupart, elles rayonnent dans les secteurs de la restauration, l’esthétique, la cosmétique, la couture, la coiffure, le commerce de textile, la transformation céréalière et même l’orpaillage traditionnel. En Occident, d’autres emplois plus rémunérés et mieux valorisés tels que la garde d’enfants, le ménage, les soins aux personnes vulnérables et quelques fois les études et l’art, attirent les migrantes parmi lesquelles figurent plusieurs Maliennes.
Mieux éduquées, plus qualifiées, plus entreprenantes et donc, plus confiantes, les migrantes se sentent en capacité d’exister par elles-mêmes, et assument les risques d’une rupture familiale au nom de leur idéal de bonheur.
Au regard des raisons sus - citées, la féminisation du phénomène migratoire apparait comme un facteur d’émancipation, une traduction par les femmes de leur désir d’autonomisation. Mieux que personne, elles semblent avoir intégré la vérité historique selon laquelle « le premier amour d’une femme est son emploi ».
Les femmes ne se contentent plus de suivre leur mari. Les motifs qui poussent les femmes sont –ils les mêmes que pour les hommes ?
C’est fort encourageant de voir des femmes de plus en plus libres, de plus en plus déterminées à changer le cours de leur vie. N’oublions pas que, l’idéologie inféodant la femme à l’homme fut de tout le temps inculquée à la jeune fille, lui ôtant, excepté la vie au foyer, toute ambition.
Homme et femme, ne migrent pas pour les mêmes raisons, mais tous partent à une quête : quête de sécurité, de dignité, de richesse, de savoir, de perspectives, etc.
Nos sociétés étant d’essence conservatrices, malgré les lois, nombre d’entre elles peinent toujours à offrir à la fille et au garçon, à l’homme et à la femme, les mêmes opportunités, rechignent à leur accorder les mêmes droits et protections. A titre d’exemple, des textes discriminatoires et les dénis de droits tels que le refus de scolarisation, la déscolarisation aux fins de mariage, les mutilations génitales, les violences conjugales et bien d’autres traitements socio-culturels dégradants, affectent directement les filles et les femmes. Aussi, la montée actuelle de l’extrémisme religieux, la récurrence des conflits civils et les rebellions armées sur fond de lapidations, viols, séquestrations, mariages forcés, enlèvements et autres atrocités, font d’elles des cibles privilégiées. En 2012 au Mali, suite à la rébellion et à l’occupation djihadiste, des femmes et des filles ont connu flagellations publiques, viols, séquestration et mariages forcés dans les régions de Gao et Tombouctou. En 2014, au Nigéria, les islamistes de la secte, Boko Haram, s’emparèrent de 214 lycéennes dans la ville de Chibock. Auparavant, au Liberia, Congo -RDC, Sierra Léone, lors de la crise post-électorale de 2010 en Côte d’Ivoire, plusieurs femmes et jeunes filles subirent des atrocités. Ailleurs, en Syrie et en Irak, des djihadistes du Groupe islamique s’approvisionnent en femmes sur les marchés quand ils ne les réduisent pas à l’esclavage sexuel. En Afghanistan et dans certains pays orientaux, des femmes sont victimes de crimes d’honneur et d’attaque à l’acide.
En l’absence de réponses nationales fortes ou de législations appropriées les protégeant, des femmes et jeunes filles optent de migrer vers des cieux plus cléments. Elles sont confortées dans leur choix par une déclaration pleine d’espoir de Nicolas Sarkozy, alors président en date du 29 mai 2007 : « A chaque femme martyrisée dans le monde, je veux que la France offre sa protection en lui donnant la possibilité de devenir française ». À cet effet, l’Europe de l’Ouest, surnommée, « le Paradis des femmes » par certains migrants et l’Amérique du Nord, deviennent des destinations de premier choix ; à l’immigration choisie, les migrantes opposent, à juste raison, la destination choisie. Mais leurs opposants voient plutôt dans leur démarche un subterfuge, une utilisation stratégique de l’image de soi consistant à jouer sur la rhétorique de la victimisation afin de bénéficier de la possibilité de s’établir définitivement dans les pays d’accueil, voire d’y conclure d’éventuelles unions d’intérêt. De ce point de vue, la quête de protection et de devenir des migrantes dépasse leurs seuls intérêts, en témoigne la présence dans les centres d’accueil d’enfants, de mineurs non accompagnés et de femmes enceintes.
Si migrantes et migrants recherchent dans leur majorité la sécurité économique, la quête de survie et de protection auprès des pays plus tolérants, plus respectueux des droits de la femme, définit de manière absolue le projet migratoire de nombre de femmes dorénavant installées confortablement aux commandes de leur vie.
Sans la prise en compte de la dimension socio-culturelle de la migration, le phénomène migratoire féminin est appelé à se poursuivre, avec le risque d’un déséquilibre démographique homme-femme. Lorsque toutes les femmes seront parties, les hommes pourront-ils vivre entre eux ?
Propos recueillis Chiaka Doumbia