Considéré comme un pays de départ ou de transit, le Mali, malgré la crise que le pays a connue en 2012, demeure un pays qui accueille les migrants d'Afrique de l'ouest et du centre, particulièrement des femmes. Elles sont d’horizons divers et excellent dans les secteurs formels et informels.
Elles sont des centaines à tirer leur épingle du jeu. Elles contribuent à créer des emplois et réussissent à envoyer de l'argent aux parents restés dans le pays d’origine. Seules ou accompagnées, elles migrent désormais pour prendre leur destin en main. Togolaise d’origine, ayant migré au Mali depuis 2003, Dédé est un modèle de réussite féminine dont l'image est plutôt valorisée dans son pays d'accueil. Venue en vacances, tombée amoureuse de Bamako, elle a «adoré la ville et particulièrement le fleuve Djoliba qui (lui) semblait impressionnant. En plus, j'ai eu la chance d'avoir une opportunité d'emploi». Commerciale de formation, elle a intégré le milieu des médias et s'est tracée un chemin depuis lors. «Je suis aujourd'hui rédactrice en chef du Journal du Mali», renseigne-t-elle.
Dédé ne se considère plus «en séjour» au Mali. «Le Mali c'est chez moi. C’est le pays qui m'a accueillie et pour lequel je me bats au quotidien, à mon modeste niveau. Je peux dire que je me suis bien intégrée et ce grâce aux amis maliens qui m'ont reçue et aimée».Le seul problème que rencontre Dédé se situe encore au niveau de la langue. «Je parle plutôt bien le bambara mais avec un accent qui refuse de partir (rires). A part cela, tout se passe plutôt bien», lance-t-elle.
Au Mali, elles sont nombreuses à s’être insérées dans le secteur informel. Comme la Sénégalaise Fatou qui tient un restaurant dans le quartier populeux de Missira, dans le district de Bamako, où elle jouit d'une grande affection. Sa cuisine riche et attrayante lui a permis de se forger une place honorable au sein du tissu social malien dans lequel elle est parfaitement intégrée. Teint noir, taille élancée, avec une belle assise, Fatou est le type même de la Sénégalaise facilement reconnaissable par ces traits caractéristiques. Son Tchep (Ndlr : riz au poisson), son yassa, son soupoukandia (Ndlr : riz au gombo), et son «café Touba» participent de son identité. Elle a beau avoir le menu peu «salé», les clients font la queue du lundi au samedi.
Il y a 9 ans, Fatou a embauché quatre aides ménagères pour l'épauler et un coursier pour la livraison à certains clients. Signe d’une réussite à propos de laquelle elle ne fait point la fine bouche. «J'ai du mal à servir mes clients, tant ils sont nombreux. Oui, les choses marchent. J'ai acheté un terrain au Sénégal et j'ai commencé la construction. Il faut que je prépare le retour. En plus, j'envoie un peu d'argent à mes parents». Dans un secteur informel où la concurrence est souvent rude, l'insertion la plus sûre pour les migrantes est d'avoir un espace où mener leurs activités.
Au marché de Bamako, «L'Ivoirienne», comme l'appellent ses clientes, a la côte. Ses services vont de la manucure à la pédicure, en passant par les tresses et au tissage, avec une créativité qui lui a valu la confiance de ses clientes. Elle se rappelle que quand elle quittait la Côte d’Ivoire, Bamako n'était pas sa destination. Elle avait la Belgique dans sa ligne de mire. «Je devais me rendre à Gao avant d'emprunter le désert pour l'Algérie et de là-bas embarquer pour l'Europe. Je ne sais pas si c'est une malchance ou une chance, mais mon arrivée à Bamako a coïncidé avec le coup d'Etat de mars 2012. J'ai commencé à travailler et il y avait de la place. Très vite les choses ont commencé à marcher. Je me fais jusqu’à 75 000 F Cfa certains weekends. Mon mari sait que je travaille ici, il m'appelle tous les deux jours. Il veut que je rentre au pays auprès de ses parents. Je le ferai un jour, mais c’est quand j'aurai assez d'argent».
Cette immigration féminine au Mali n’est pas inédite. Responsable de la Communication chargé de la planification et de la statistique à l'association des refoulés d'Afrique centrale au Mali (Aracem), Pierre Yossa précise que depuis longtemps les femmes migrent pour le regroupement familial. Mais cette tendance est en train de se renverser et l’Aracem reçoit de plus en plus de femmes migrantes en transit ou des refoulées. «Les femmes veulent être libres et avoir leur autonomie. C'est pourquoi elles aussi prennent la route, même si elles sont conscientes des dangers. Mais quand une femme réussit dans l’émigration, elle fait tout pour que ses frères et sœurs la rejoigne, contrairement aux hommes».
Selon les statistiques fournies par l'Aracem, la maison du migrant a vu passer 400 migrants en 2015, dont 100 femmes. Chargée des femmes et des enfants dans cette organisation, Emilienne Wokmeni s'attèle à offrir des conditions d'accueil meilleures aux migrantes en transit ou refoulées. Elle les oriente pour leur insertion dans le secteur informel et a pu trouver du travail pour des serveuses et des coiffeuses. Hier traumatisées par leur expulsion, certaines ont pu avoir de petits emplois qui leur rapportent. Quelques-uns ont repris volontiers la route de l'aventure, d’autres ne veulent plus parler de retour, ayant commencé à voir leur avenir sous un autre angle.
Le sociologue Kounandji Diarra lie ce phénomène croissant de la migration féminine aux perturbations écologiques liées aux changements climatiques, mais surtout à des raisons économiques. «Comme les hommes, les femmes prennent aussi le chemin de l'aventure. Celles qui déposent leurs valises à Bamako viennent rejoindre un parent, un époux ou encore pour faire des études. Voire pour tenter de refaire sa vie. Que l'on soit homme ou femme, on migre souvent pour fuir le chômage, la pauvreté. On s’en va pour tenter de rester digne».
Il est difficile, au niveau de l'Oim, d’avoir des statistiques sur cette migration féminine. Mais les traditions du Mali sont tournées vers l’acceptation de l’autre et sa position de carrefour en fait une étape dans les trajectoires menant vers l'Europe, à mi-chemin entre l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne et centrale. Avec les accords de libre circulation qui lie les quinze pays membres de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao), le Mali est un pays que marque son histoire et sa géographie.
Ramata Tembely