Soutenir la production et le partage d'informations qui contribuent au changement social

Attribution de 20 mille hectares à Senhuile: Comment Wade et Macky ont «allumé» le Nord

Abdoulaye Wade a déclassé et affecté. Macky Sall a validé. C’est Macky qui avait abrogé le décret de Wade. C’est lui-même qui a encore abrogé son propre décret. Validant ainsi le déclassement et l’affectation. 26 555 hectares sont déclassés dans la réserve spéciale d’avifaune de Ndiaël. Les 20 000 hectares affectés à Senhuile Senethanol. Depuis l’attribution du terrain, deux collectifs ont vu le jour. L’un regroupe trente-sept villages. Il est foncièrement contre le projet. Il dénonce encore le nombre d’hectares affectés à l’entreprise. L’autre regroupe une dizaine de villages. Il était contre le projet. Il est maintenant pour. Il dit tirer profits du projet. Dans ce climat de désaccord entre deux collectifs concernés par une même affaire, l’entreprise met en œuvre son projet. Mais, refuse, malgré l’insistance de Wal Fadjri, de communiquer. Un projet qui crée à la fois contestations et satisfactions.

Ngnith s’oppose encore…Ngnith. Une ancienne communauté rurale dans la réserve spéciale d’avifaune de Ndiaël devenue commune avec l’acte 3 de la décentralisation. La collectivité est composée de trente-sept villages. Une population estimée à moins de 5 000 habitants répartie dans moins de 1 000 concessions. Elle est essentiellement composée d’éleveurs et d’agriculteurs. Ils ont un ennemi commun : Senhuile Senethanol. Et une pilule qui ne passe pas : un projet agro-industriel, initié par des privés sénégalais en partenariat avec cette entreprise d’acheteurs-investisseurs étrangers, d’après la note de présentation du décret portant déclassement partiel de la réserve de Ndiaël. Senhuile Senethanol est, depuis 2012, affectataire de 20 000 hectares de terres dans cette réserve qui s’étend sur 46 550 hectares.Les trente-sept villages s’opposent farouchement au projet. Pour montrer leur désaccord, ils se sont constitués en collectif, pour mener ensemble leur combat parce que «ceux qui sont en face ont plus de pouvoir», justifie le président du collectif pour la défense du Ndiaël, Bayal Sow. Ce qui irrite le plus les populations, c’est le nombre d’hectares affectés à Senhuile. Ils qualifient cette attribution d’«abus de pouvoir» de la part de l’Etat qui a affecté le terrain «sans consulter le rural». L’Etat à qui il reproche encore «le rejet de la demande de 3 000 hectares», sous Abdoulaye Wade. Les villageois voulaient faire de l’agriculture sur cette parcelle, selon Bayal Sow, 2ème adjoint au maire de la commune de Ngnith. Ce conseiller municipal, persuadé qu’«ils seront tôt ou tard déplacés», ne voit presque aucune utilité du projet.L’avantage que la commune de Ngnith dit avoir tiré du projet de Senhuile se limite à deux actes. L’achat par l’entreprise, l’année dernière, «de l’aliment de bétail» pour les troupeaux et l’organisation d’un tournoi de football pour les jeunes. Un tournoi doté «d’une coupe et d’une enveloppe de 500 000 Fcfa». Le premier adjoint au maire de la commune de Ngnith, qui salue ce geste, dit tout de même que Senhuile n’a respecté aucun des engagements qu’il avait pris. Selon Mama Ba, l’entreprise avait fait beaucoup de promesses parmi lesquelles «le versement d’une importante contribution financière à la collectivité et la construction d’une route qui irait jusqu’à Louga». Jusqu’à présent même pas un kilomètre de route n’a été construit et il n’y a pas encore de retombées financières.

L’entreprise avait aussi promis de soutenir l’élevage, au-delà de l’achat d’aliments de bétail. Mais c’est tout à fait le contraire, selon Mama Ba. Il a constaté qu’avec le projet, les espaces des éleveurs sont réduits. Ils ne sont plus libres et sont obligés de toujours surveiller le bétail pour qu’il n’entre pas dans les champs de Senhuile. La plupart des éleveurs ont momentanément quitté le Ndiaël. Ils sont partis «à la recherche de pâturage». L’accès à l’eau était aussi une promesse. La société s’était aussi engagée à aider les villages concernés à avoir le liquide précieux. Autre promesse non tenue : la délimitation du projet qui n’est pas encore effectuée. Il était prévu que les villages officiels de Ngnith soient distancés du projet de «500 mètres» et les non-officiels de «300 mètres» au cas où ils devraient s’agrandir.

…Ronkh tire son épingle du jeu

Ronkh est aussi une communauté rurale devenue commune. Elle regroupe une dizaine de villages. Certains se trouvent sur une partie du terrain affecté à Senhuile Senethanol. Comme les populations de Ngnith, celles de Ronkh avaient aussi refusé le projet au début. Mais contrairement à Ngnith, Ronkh a fini par accepter le projet «parce que la partie du terrain donné à l’entreprise et qui se trouve à Ronkh était un terrain nu», admet le président du collectif de la commune. Hamadou Abdoul Ba dit même constater «une amélioration» dans les villages qui «n’ont pas encore eu de problèmes avec Senhuile». Il estime que l’entreprise est venue «trop tard»dans la zone parce que les jeunes ont été engagés dans le projet. Des champs ont également été aménagés pour les femmes de la commune.

Côté élevage, Hamadou Abdoul Ba, qui est aussi agriculteur, se réjouit également. Après la culture du riz et de l’arachide, les promoteurs du projet ont donné «le foin et l’herbe» aux éleveurs pour l’aliment de bétail. Mais le riz est la seule spéculation qu’ils cultivent à Ronkh. Senhuile a également aménagé «104 hectares» pour la population de Ronkh. Et selon le président du collectif de la commune, c’est l’entreprise qui va fournir l’eau et tout ce dont les villageois auront besoin pour mettre en valeur le terrain. Hamadou Abdoul Ba, membre du service social de Senhuile, affirme qu’il y a même des habitants de Ngnith qui travaillent à Ronkh. Actuellement l’entreprise cultive du riz dans une parcelle de plus de 1 000 hectares et Hamadou Abdoul Ba espère que Ronkh bénéficiera de l’herbe pour le bétail.

TRAVAIL  DE COURTE DUREE, COUPS DE FOUET ET ARRESTATIONLe «gros lot» des jeunes de Ngnith Des enfants sont décédés. Des bœufs également. Au même endroit, dans les canaux de Senhuile. Ce n’est pas le seul lot de problèmes des trente-sept villages de la commune de Ngnith. Ils ont aussi des jeunes qui se disent victimes du projet de Senhuile. Beaucoup d’entre eux avaient demandé du travail à l’entreprise mais un nombre très limité a été engagé. Selon le chargé du plaidoyer du collectif pour la défense du Ndiaël, Maguette Diaw, «sur 100 demandeurs,  il y en a pas dix qui ont obtenu du travail». Un travail qui ne dure même pas. Marème Ba, la trentaine, soutient même qu’«ils sont renvoyés, pour la plupart, deux jours après». Et ils font des pieds et des mains pour percevoir leurs salaires puisqu’on ne les paye pas aussitôt après leur renvoi, selon cette habitante de village de Wadabipourogne.Autre problème : la présence des gendarmes sur les lieux au début des travaux. «Un jour, on a vu des machines abattre les arbres ; quand on s’est renseigné on nous a dit que c’est un nouveau projet. C’est comme cela qu’on a appris l’implantation du projet de Senhuile. Et quand on a commencé à protester les gendarmes nous ont battus», explique Amadou Sow qui habite à Thiamène. Il raconte qu’il y a eu «beaucoup de blessés et même des morts d’hommes» parce que les villageois ne pouvaient pas accepter que l’entreprise occupe leurs terres. Mais en plus des blessés il y a eu de nombreuses arrestations parmi les protestataires. «Douze jeunes» ont été arrêtés et certains, «des soutiens de familles», sont toujours derrière les barreaux, renseigne le président du collectif  pour la défense du Ndiaël, Bayal Sow.

IMPACTS NEGATIFS DU PROJET, Ross Béthio a aussi sa part du problèmeLes communes comme Ronkh et Ngnith abritent beaucoup de villages implantés dans la parcelle affectée à Senhuile Senethanol. Mais elles ne sont pas les seules communes qui se sentent concernées par le projet. Celle de Ross Béthio ressent aussi les impacts. Des impacts négatifs, selon les habitants de la localité. Les villages de Rainabé 1 et Ndioross, qui se trouvent dans la réserve du Ndiaël et sur la partie affectée à Senhuile, font partie de l’espace communal de Ross Béthio. Le regret de l’ex-premier adjoint au maire de la commune, Ndiaga Fall, c’est qu’«avec le déclassement, ces villages se voient reconnus légalement mais appartiennent désormais au Ndiaël». Autre problème : les éleveurs du Ndiaël reversent leurs troupeaux dans la zone agricole de Ross Béthio, selon le président des éleveurs de la commune. Alassane Ka affirme qu’avant l’arrivée de Senhuile, ces troupeaux venaient «rarement» à Ross Béthio parce qu’ils avaient, dans le Ndiaël, «de la nourriture en grande quantité et n’avaient pas besoin de bouger». Ce conseiller municipal ne cache pas son inquiétude, «l’aliment de bétail n’étant pas inépuisable». La cuvette qui s’étend sur «presque 2 500 hectares» et qui sert d’abreuvoir au bétail est devenue, elle, une source de conflits. Ces dernières années on a noté dans cette cuvette «des bagarres entre éleveurs et agriculteurs et des morts d’hommes», renseigne Ndiaga FallCe dernier reconnaît que sa collectivité était, au début, «passive» dans la lutte pour la défense des causes de la réserve du Ndiaël. Il estime que tout le monde doit se lever pour «contrer» le projet de Senhuile. Selon ce conseiller municipal, Senhuile n’a pas encore fait de résultats alors que Ross Béthio doit avoir sa part dans ce projet. Il se demande d’ailleurs «comment une entreprise peut-elle investir pendant deux ans sans avoir de résultats». L’actuel premier adjoint au maire, Mbacké Diarra, espère, lui, que Senhuille va construire «une école et un centre de santé» pour la commune et permettre au village de Ross Béthio, qui se trouve à Ndiaël, d’avoir de l’électricité et de l’eau potable.

20 LITRES DE LAIT VENDUS PAR FEMME/JOUR

Plus qu’un vieux souvenir 

C’est sur un ton désespéré et la mine triste que Marème Ba raconte la vie difficile que mènent actuellement beaucoup de femmes qui vivent dans le Ndiaël. «Notre vie n’a plus de sens. Nous ne savons plus où aller. Nous ne pouvons plus rien faire alors que nous, les femmes, nous ne comptions que sur nous-mêmes». Si Marème Ba parle ainsi c’est parce qu’elle et les autres femmes menaient plusieurs activités, avant l’arrivée de Senhuile, notamment la vente de lait. Elles le vendaient à des acheteurs qui venaient jusqu’aux villages ou dans le marché hebdomadaire. L’argent gagné leur permettait d’acheter leurs denrées de première nécessité et de subvenir à beaucoup d’autres besoins. Avant le démarrage du projet, il y a des femmes qui pouvaient vendre «jusqu’à 20 litres de lait par jour», informe cette habitante du village de Wadabipourogne dans la commune de Ngnith. Ce commerce très lucratif est devenu un vieux souvenir pour la plupart d’entre elles. Elles ne font plus rien parce qu’«il n’y a plus de bœufs». La famille de Marème Ba a perdu «neufs bœufs». Des bovins qui sont, eux aussi, morts dans les canaux de Senhuile, selon Marème Sow. Elle, qui habite dans le village de Thiamène à Ngnith et qui soutient que  l’oisiveté de ces femmes qui vivent dans le Ndiaël a «presque duré trois années». Marème Sow fait partie de celles qui faisaient certaines cultures sur de petites surfaces. Elles ne pouvaient pas exploiter de grandes surfaces «parce qu’elles n’ont pas les grosses machines de Senhuile», reconnaît Marème Sow.  Désormais elles n’ont plus de terres à cultiver ni de bétail à traire pour vendre le lait «à cause des 20 000 hectares affectés à des étrangers». Raison pour laquelle les femmes des villages de Ngnith s’opposent encore au projet de Senhuile.

NOUVELLES OCCUPATIONS DES FEMMES

Surveiller les enfants…Senhuile a des champs de patates, de riz et d’autres cultures. L’entreprise fait de l’irrigation. Problème ! Les villages qui sont sur le terrain affecté à Senhuile en pâtissent. Ils comptent leurs morts. Que des enfants jusque-là. Ils ont été emportés par l’eau des canaux creusés par les promoteurs du projet. «Trois enfants ont déjà péri» dans ces canaux, déplore le président du collectif  pour la défense du Ndiaël, Bayal Sow. Ce qui désole le 2èmeadjoint au maire de la commune de Ngnith, c’est le «mutisme» des autorités. Cet éleveur trouve que l’Etat est le seul responsable de ces morts. C’est pour qu’il n’y ait pas d’autres victimes dans les canaux que des femmes comme Awa Sow ne quittent plus des yeux leurs enfants. «Nous surveillons tous le temps nos enfants pour qu’ils ne tombent pas dans les canaux», explique cette sage-femme habitant le village de Thiamène, dans la commune de Ngnith. Selon elle, les femmes «n’ont plus aucun autre travail depuis que Senhuile s’est installé à part surveiller leurs enfants»… Et chercher une activité rentableLes femmes de la commune de Ngnith ne veulent plus être uniquement occupées à surveiller leurs enfants. Elles veulent du travail et elles font tout leur possible pour se trouver une activité. Elles se sont même retrouvées dans un groupement. Selon Marième  Sow, quand elles se sont rendues à la commune, on leur avait demandé «les papiers de leur organisation et 27 000 Fcfa». Le prix à payer pour décrocher un boulot dans le projet de Senhuile. Les documents et la somme d’argent ont été déposés mais elles attendent toujours et se disent «vraiment perdues» puisque la commune leur demande encore d’autres papiers.

CULTURES DE RIZ, DE MAIS, D’ARACHIDE…

On dénonce un détournement d’objectifs…

Les promoteurs du projet agroindustriel dans le Ndiaël sont considérés comme des «paysans du Walo». Cette appellation est bien justifiée. Au début du projet ils avaient dit qu’ils «allaient faire du biocarburant» mais les populations ont constaté qu’ils cultivent «du riz, de l’arachide, du maïs, etc.», dénonce le chargé du plaidoyer du collectif pour la défense du Ndiaël, Maguette Diaw. D’où ce nom de paysans du Walo utilisé par les contestataires du projet. L’explication de Senhuile, selon Maguette Diaw, est que l’Etat lui a demandé de faire ces cultures vivrières particulièrement de l’arachide. Le chargé du plaidoyer du collectif, qui habite la commune de Ngnith, réfute cette explication. Il dit s’être rapproché de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra). Réponse de l’institut, toujours selon  Maguette Diaw : c’est Senhuille qui a soumis son dossier à l’appel d’offres pour une reconstitution semencière. Il affirme que l’entreprise «a postulé et a obtenu une part du marché». Ce qui explique la culture de l’arachide sur les champs aménagés par Senhuile dans la parcelle de terres qui lui a été affectée.

… Et un changement de zone de plantations

La culture de spéculations vivrières n’est pas le seul aspect contesté par certaines populations du Ndiaël. Elles dénoncent également la zone de culture particulièrement celle du riz. Selon le conseiller municipal à la commune de Ross Béthio, Ndiaga Fall, la zone où se trouvent les plantations de riz «n’est pas une zone difficile». C’est tout près de la route nationale et il n’y a pas d’aménagements «parce que c’est une zone bien planée où on peut retenir l’eau pendant 10 jours après irrigation», explique l’ex-premier adjoint au maire de Ross Béthio. Il soutient que les populations auraient souhaité que le projet aille à «100 kilomètres de la route nationale» pour qu’elles sentent «au moins une certaine utilité de ce projet». C’est parce que, à 100 mètres, on est dans «une zone sablonneuse où on ne peut pas stagner l’eau pendant dix minutes», souligne Ndiaga Fall qui affirme qu’il était prévu que le projet soit installé dans cette partie du Ndiaël que les populations ne pouvaient pas exploiter.

RESERVE SPECIALE D’AVIFAUNE DU NDIAELLes oiseaux perdent leur espace naturelLes populations qui habitent sur les 20 000 hectares affectés à Senhuile Senethanol ne sont pas les seules victimes. Celles qui sont dans la zone tampon, 10 000 hectares qui font partie de la zone non-déclassée, sont aussi impactées. Ce sont des populations d’oiseaux. Des oiseaux migrateurs qui viennent de partout dans le monde et qui se retrouvent dans la cuvette du Ndiaël. Une cuvette qui «s’étend sur 10 000 hectares et qui avait en permanence de l’eau», selon le secrétaire général adjoint de l’Association inter villageoise (Aiv) du Ndiaël qui collabore avec la Réserve spéciale d’avifaune du Ndiaël (Rsan). Le problème avec le projet c’est que Senhuile fait de l’agriculture et «va forcément faire du drainage», croit Makhmout Fall. Conséquence : «la cuvette n’est plus alimentée». L’association et Senhuile utilisent les mêmes voies d’eau et «l’entreprise a arrêté l’eau qui ne parvient plus à la cuvette», selon le secrétaire général adjoint de l’Aiv. Et s’il n’y plus d’eau il n’y aura plus d’oiseaux, s’inquiète Makhmout Fall qui déplore aussi l’effet des produits et la présence des machines que l’entreprise utilise. Les produits «polluent»l’eau et les bruits des machines «perturbent» la tranquillité des oiseaux.

MORT DU BETAIL DANS LE NDIAELDe probables répercussions sur la TabaskiLe vieux Moussa Sow, les 80 ans dépassés, ne cesse de contester le projet de Senhuile dans le Ndiaël. Il habite à Wadabipourogne et se souvient des bons vieux temps : «Avant le village était plein de bœufs, de moutons, etc. On ne mangeait que de la viande. Maintenant, on ne mange que du poisson parce qu’une bonne partie du troupeau est mort à cause de Senhuile.» Le bétail est décimé parce qu’il n’a plus d’abreuvoir. L’eau que l’entreprise utilise par irrigation «n’est pas potable», déplore le vieux Moussa qui considère ce liquide, dit d’habitude précieux, dangereux pour les hommes et pour le bétail. «On ne dort plus. On n’a plus d’habitations, plus de terres à cultiver et plus de pâturages pour le bétail». Cette situation que vivent les éleveurs dans le Ndiaël pourrait se faire sentir par tout le Sénégal. Elle peut même avoir des conséquences néfastes sur la Tabaski qui sera célébrée dans un peu plus d’un mois, prévient le chargé du plaidoyer du collectif pour la défense du Ndiaël, Maguette Diaw. Les éleveurs du Ndiaël fournissent en effet beaucoup de moutons au cheptel sénégalais. Quand «les zones de pâturages disparaissent c’est une bonne partie du bétail qui en pâtit et on le ressent lors de la fête du mouton», déplore Maguette Diaw. Il estime que, l’année dernière, on n’avait pas fait de lien entre  le problème du Ndiaël et le manque de moutons lors de la Tabaski. Lui croit qu’il y a véritablement un lien de cause à effet.

EN ROUTE VERS LE NDIAELLà où la boue fait loiPresque deux heures pour se retrouver au cœur de la réserve de Ndiaël. A bord d’une L 200, à partir de la gouvernance de Saint-louis. Quarante cinq minutes sur la route nationale. Le reste du temps sur du sable, à partir d’une pente. On se retrouve après au milieu d’un immense espace. Souvent nu, parfois parsemé d’arbustes et rarement peuplé de quelques arbres, selon l’endroit. Des villages éparpillés qu’on voit de loin. On y croise aussi des animaux sauvages, la nuit le plus souvent. Des moyens de transport qui vont jusque dans le Ndiaël sont une denrée rare. Si on n’est pas véhiculé, bonjour les souffrances. Ce sont des charrettes qui assurent le transport. Sinon on loue un taxi et il faut débourser au minimum 25 ou 30 000 Fcfa. Coup de chance pour nous les «Dakaroises» qui sommes deux journalistes qui travaillons sur le problème foncier. Un vendredi matin, nous nous rendons à la gouvernance de Saint-Louis. Nous y rencontrons deux conseillers municipaux d’une commune qui se trouve dans la réserve de Ndiaël. Ils participent à une rencontre organisée par Plan international. Nous décidons donc de les attendre pour qu’ils nous «déposent». Ils seront nos guides. Notre programme : faire le trajet Saint-Louis – Ndiaël – Saint-Louis, le même jour. Un aller retour, quoi. C’était sans connaître la distance qui sépare le Ndiaël et la capitale du Nord. C’est d’ailleurs sur un ton très taquin que l’un des conseillers nous lance : «Vous pensez que  Ndiaël c’est tout près ! »Finalement c’est après 15 heures que la réunion prend fin. Et nous voici en route pour le Ndiaël, avant 16 heures. A 40 kilomètres de Saint-Louis. «S’il pleut aujourd’hui vous restez au minimum cinq jours au village», prévient l’un des guides. «Les voitures ne pourront plus rouler encore moins les charrettes. On ne pourra même pas se déplacer à pied», ajoute l’autre. Explication : dans le Ndiaël, le sable est très boueux et met du temps pour absorber l’eau. Heureusement pour nous, ça ne flotte pas ce jour-là. Et nous arrivons aux environs de 17 heures 30 dans un village dénommé Thiamène. Sur place, nous attendent déjà des populations qui ne cherchent qu’une chose : une oreille attentive pour écouter leurs nombreuses complaintes.Thiamène se trouve à Gnith. Une commune comme Diama et Ronkh, les deux autres communes qui se trouvent dans le Ndiaël. Une réserve spéciale d’avifaune qui s’étend sur 46 550 hectares érigée comme telle par le décret n° 65-053 du 20 février 1965. La réserve comporte trois régimes. Une zone protégée non accessible qui s’étend sur 10 000 hectares destinée à la nidification d’oiseaux. Une zone tampon de 10 000 hectares considérée comme une servitude devant protéger la zone susmentionnée. Une zone périphérique couvrant une superficie de 26 550 hectares. Elle est donc de loin la partie la plus étendue de la réserve. Et les 20 000 hectares affectés à Senhuile Senethanol font partie de cette zone périphérique.

ENTRETIEN AVEC MAGUETTE DIAW, CHARGE DU PLAIDOYER DU COLLECTIF POUR LA DEFENSE DU NDIAEL  «C’est la procédure de déclassement et d’affectation qui pose problème et non le projet»Le déclassement de 26 550 dans la réserve spéciale d’avifaune du Ndiaël et l’affectation de 20 000 hectares à Senhuile Senethanol a soulevé beaucoup de contestations. Certaines populations disent tout haut qu’elles n’accepteront jamais le projet de cette entreprise. Le collectif pour la défense du Ndiaël centralise les complaintes et essaie de les porter au plus haut niveau. Le chargé du plaidoyer de ce collectif, Maguette Diaw, a désigné ses coupables : Abdoulaye Wade et Macky Sall.

 En 2012, l’Etat a déclassé 26 550 hectares de la réserve de Ndiaël et a affecté 20 000 hectares du terrain déclassé à Senhuile Senéthanol. Comment le collectif pour la défense du Ndiaël avait-t-il accueilli ce déclassement et cette affectation et qu’est-ce qui explique les protestations de certains habitants de la réserve ?

La situation est connue de tous. Le projet Senhuile Senethanol a été implanté à Fanaye dans une zone de terroir qui a été affectée par le conseil rural sur demande du président de la République de l’époque, Abdoulaye Wade. A Fanaye, il y a eu mort d’homme et le président a décidé de retirer le projet pour l’implanter dans un autre lieu. Quand nous avons eu écho du transfert probable du projet dans la zone du Ndiaël, au niveau du Réseau nord pour la protection de l’environnement mondial (Renpem) nous avons fait une déclaration, vers le mois de janvier 2012, pour dire non. Mais, quelque temps après, le président a pris sur lui-même la décision de déclasser la réserve du Ndiaël. Même avant le déclassement, le collectif avait écrit une lettre, le 17 janvier 2012, pour alerter le président afin qu’il n’implante pas le projet dans le Ndiaël. Les chefs des trente-sept villages que compte la commune de Gnith avaient signé cette lettre. On se souvient que le premier tour de l’élection présidentielle de 2012 a eu lieu le 26 février et le second tour le 25 mars. A notre grande surprise,  le 20 mars, Abdoulaye Wade a signé le décret 2012-366 du 20 mars 2012 portant déclassement partiel de la réserve du Ndiaël. Ce sont 26 550 hectares de terres qui ont été déclassés. Le même jour, à cinq jours donc du second tour, il a pris un autre décret portant affectation d’une assiette foncière au projet agro industriel de Senhuille Senethanol. Dans l’article premier de ce décret, il est dit qu’il est affecté à Senhuile Senethénol 20 000 hectares. Le même nombre d’hectares que le conseil rural de Fanaye avait affectés à la même entreprise. C’est à ce moment-là que les problèmes ont commencé. 

Quels genres de problèmes ?

Il y a trente sept villages dans la commune de Gnith et éparpillés dans ces 20 000 hectares affectés à Senhuile. Les populations n’y faisaient pas de l’agriculture mais faisaient quand même de l’élevage et du pâturage. Avec le projet, on nous a dit que les populations ne vont pas se déplacer mais qu’il y aura une cohabitation entre l’élevage, le pâturage et les champs de l’entreprise. Ce qui n’est pas possible. C’est une façon de divertir les populations. Elles ne peuvent pas cohabiter avec le projet dans ce site. L’entreprise a tout aménagé en encerclant les villages. Cela pose problème parce que, sur place, il y a des maisons, la mosquée, le cimetière, etc. Ce sont des droits humains qui ont été bafoués. Il y a aussi un problème de droit fondamental. Le président de la République actuel, Macky Sall, est venu dans la communauté rurale de Gnith durant la campagne électorale pour la présidentielle de 2012. Nous lui avions posé ce problème. Il avait promis que tous les décrets qui ont été signés entre les deux tours du scrutin et qui ont un enjeu important pour le Sénégal seraient abrogés. Le décret de déclassement et d’affectation de la réserve de Ndiaël en fait partie puisqu’il a été signé cinq jours avant le second tour. Quand Abdoulaye Wade signait les décrets de déclassement et d’affection il savait pertinemment qu’il allait perdre la présidentielle.

A votre avis pourquoi a-t-il signé ces décrets à cinq jours du second tour de la présidentielle ?

Abdoulaye Wade les a signés parce qu’il avait pris un engagement. Il a donné un terrain à Senhuille dans la communauté rurale de Fanaye. Cela n’a pas marché. Il a donc décidé d’amener le projet dans le Ndiaël. Mais il a violé la procédure légale qui pouvait nous éviter tous ces problèmes. Le 20 mars, il ne pouvait pas suivre toute la procédure prévue par le code forestier. Il a donc signé les décrets de déclassement et d’affectation le même jour. S’il avait respecté la procédure normale, il n’aurait pas pu installer le projet après le 25 mars, date du second tour. Mais, l’Etat c’est une continuité. Si Abdoulaye avait suivi la procédure normale, Macky Sall aurait traité le dossier après son élection. Je suis persuadé que s’il n’y avait pas toute cette précipitation, il n’y aurait pas eu tous ces problèmes.

Donc c’est la procédure qui pose problème à votre collectif…

Exactement. Macky Sall, dès sa prise de pouvoir, au premier Conseil des ministres, a pris un décret abrogeant le décret d’Abdoulaye Wade. C’est le décret 2012-448 du 12 avril 2012. Nous avions tous applaudi. Mais trois mois après, il a pris un autre décret 2012-822 du 06 août 2012 pour autoriser les promoteurs du projet à continuer leurs activités. Les populations ont alors repris les manifestations. Dans sa lettre de présentation, il dit «par souci de transparence, le nouveau gouvernement issu de l’élection a procédé à l’abrogation de tous les décrets ayant un enjeu majeur pour le Sénégal et signé dans l’entre-deux tours. Après réexamen du projet, le gouvernement a décidé de permettre à l’entreprise Senhuile Senethanol de poursuivre ses activités dans le site initialement prévu». Il dit : «En conséquence, les dispositions du décret 2012-366 et 2012-367 du 20 mars 2012 restent en vigueur.» Je dis qu’il n’y a pas eu de réexamen. S’il y avait eu réexamen, Macky Sall aurait modifié quelque chose mais il a ramené le projet comme il était. C’est donc la procédure de déclassement et d’affectation qui pose problème et non le projet. Macky Sall n’a fait que valider le décret de Abdoulaye Wade. Et puis le Code forestier nous dit la procédure normale pour faire un déclassement. Dans toutes les régions administratives du Sénégal, il y a une commission régionale de conservation de sols qui doit étudier les demandes de défrichement, les demandes de classement et les demandent de déclassement. Le président du conseil régional, les présidents de conseils ruraux de la zone concernée sont membres de cette commission. C’est dit dans l’article 44 du Code forestier et cette disposition n’a jamais été convoquée et cette commission n’a jamais donné son avis sur cette affectation. Le président Abdoulaye Wade a donc pris un décret pour déclasser la forêt sans pour autant demander l’avis de cette commission. Et je pense que si cette commission avait fait son travail avec une carte détaillée faisant apparaître l’emplacement des villages et les terres destinées à la culture, je pense qu’il aurait eu un document d’aide à la prise de décision. Bien que la commission ne dicte pas au président ce qu’il doit faire, elle l’informe quand même de ce qui se passe sur place. Mais, le président nous disait que c’est une forêt classée qui appartient à l’Etat qui l’a déclassée.

Ne pensez-vous pas que si Macky Sall est revenu sur sa décision, malgré ce problème de procédure dont vous parlez, c’est parce qu’il y a des intérêts en jeu ?

Bien sûr qu’il y a des intérêts en jeu. Mais, sur le plan du droit, un décret entre en vigueur trois jours après sa publication au Journal officiel. Si le président Abdoulaye Wade prend un décret le 20 mars 2012 pour déclasser la réserve classée du Ndiaël et un deuxième décret le même jour pour l’affecter, le premier n’étant pas encore entré en vigueur, je pense qu’il a affecté une forêt classée. Si nous poursuivons ce décret à la Cour suprême il doit être cassé et nous sommes prêts à y aller.

Croyez-vous que si la procédure avait été respectée, les populations auraient accepté que le projet soit installé dans le Ndiaël?

A mon avis, si la procédure avait été respectée le président allait prendre une bonne décision et il n’aurait pas donné 20 000 hectares à l’entreprise. Il y a plus de 9 000 habitants dans la zone répartis dans trente-sept villages. 20 000 hectares, c’est trop. Tout le monde connaît la Compagnie sucrière sénégalaise (Css) qui a trente neuf ans d’existence mais n’a pas encore exploité 10 000 hectares. En plus l’affectation des terres de la Css a été faite de manière progressive et ce sont des terres réparties dans plusieurs collectivités locales dont Mbane, Dagana et Ronkh. Mais à Ndiaël, c’est 20 000 hectares qui se trouvent presque dans une seule communauté rurale qui ont été affectés à Senhuile Senethanol. L’entreprise a commencé à faire des investissements, il y a eu des problèmes mais elle continue à résister. Je ne sais pas ce que prévoit le droit international. L’Etat a peut-être peur qu’on l’attaque au niveau des tribunaux internationaux. Peut être qu’aussi Macky Sall s’est limité à regarder les promesses faites dans le projet pour l’accepter. Il a fait les mêmes erreurs que Wade sinon même plus graves. Wade a pris des décrets dans la précipitation parce qu’il avait cinq jours pour prendre une décision alors que Macky a cinq ou sept ans.

Que sont devenus les trente-sept villages regroupés dans votre collectif ?

Ils doivent être déplacés. Si le projet continue, les populations vont quitter mais elles ne vont jamais accepter ce déplacement. Elles vont riposter. Il n’y a aucune personne habitant de ces villages qui est d’accord pour l’installation du projet. Personne n’a été engagé pour travailler dans ce projet. S’il y en a qui étaient contre au début et qui ont fini par donner leur accord, c’est parce qu’ils travaillent maintenant dans l’entreprise. Il y en a une vingtaine de personnes qui viennent des villages environnants. Ceux qui habitent Nder, Diokor, etc. ne sont peut-être pas affectés. Ils attendent les retombées du projet pour avoir du travail. Mais les vraies victimes qui habitent dans les trente-sept villages ne sont pas engagées. Elles n’en veulent même pas. Toute personne qui habite dans la communauté rurale de Gnit est affectée. D’ailleurs, il y a trois enfants qui sont morts dans les canaux que Senhuile Senethanol a creusés. 

A-t-on prévu un recasement de ces populations si toutefois elles sont déplacées ?

Dans le décret de déclassement, il est dit que ce sont 26 650 hectares qui ont été déclassés. Les 20 000 hectares sont affectés à Senhuile pour 50 ans renouvelables par tacite reconduction et les 6 650 sont prévus pour la population pour habitation, pâturage et autres. Mais jusqu’à présent il n’y a pas une délimitation. L’entreprise a déjà défriché presque 10 000 hectares. Ce qui n’est pas une bonne pratique environnementale. Dans l’article 5 du décret, il est dit que le groupe Senhuile Senethanol est tenu d’appliquer les bonnes pratiques visant la préservation des ressources naturelles et de la biodiversité ainsi que l’entretien du paysage. On sait que Senhuile ne peut pas exploiter 10 000 hectares d’ici 10 ans. Ce n’est pas possible. D’autres agro business vont venir et la communauté rurale n’aura plus de terres à donner. C’est Senhuile qui fera des transactions avec ceux-là. Au  niveau du collectif, nous ne cherchons même pas à savoir s’il y a des retombées ou pas. Notre problème, ce sont les 20 000 hectares. Il faut que l’Etat les diminue.

Voulez-vous dire par là que le collectif n’est pas entièrement contre le projet mais conteste seulement le nombre d’hectares affectés ?Dans le collectif, il y en a qui disent qu’il faut que l’entreprise quitte mais il faut aussi être raisonnable. Je ne dis pas que Senhuile doit quitter mais il faut qu’elle dise à l’Etat de diminuer le nombre d’hectares qu’il lui a affectés. D’ailleurs lors d’une réunion tenue à la gouvernance de Saint-Louis, le gouverneur nous avait dit que c’est maintenant 10 000 hectares qui sont affectés sans nous montrer aucun décret. Les promoteurs nous avaient aussi dit qu’ils allaient prendre seulement 10 000 hectares. Donc ils n’ont qu’à demander à l’Etat de prendre un décret pour dire que ce n’est plus 20 000 mais 10 000 hectares. Nous voulons que le président Macky Sall prenne ses responsabilités. Quand il y a eu le «Mur de la honte» à Dakar il s’est rendu sur place et finalement une solution a été trouvée avec les Turcs. Nous souhaitons qu’il y ait la même démarche. Il n’a qu’à venir dans le Ndiaël pour voir ce qui se passe, discuter avec les promoteurs afin de prendre une bonne décision.

Réalisé par Yacine CISSE