En s’appuyant sur le décret 78-401 du 9 mai 1978, la commune de Thiès a étendu ses superficies sur les terres de la désormais ancienne communauté rurale de Fandène. Ce décret fixant les limites territoriales de la commune de Thiès créa des problèmes fonciers dans la Communauté rurale (Cr) de Fandène. Une situation qui a provoqué des lotissements à outrance profitant à certaines autorités locales et à laquelle vient s’ajouter une spoliation foncière sans précédent, au grand dam des populations de Fandène. En collaboration avec l’Institut Panos et l’Union européenne, le journal «Le Populaire» s’est rendu sur les lieux pour voir l’impact de l’extension de la commune de Thiès sur Fandène.
Avec une superficie d’environ 250 kilomètres carrés, la Communauté rurale de Fandène – devenue commune depuis les Locales du 29 juin 2014 – se situe à environ 7 km à l’Est de Thiès. Géographiquement, elle ceinture la commune de Thiès et subit une agression de cette dernière sur ses superficies depuis plus d’une décennie. Pour des raisons politiques, selon des témoignages recueillis auprès des populations, le Parti socialiste qui gérait le pouvoir à l’époque avait décidé de rattacher les villages de Thionakh, Diassap, Thiapong, Dioung, Ngoumsan, Silmang, Peykouck Sérère, Pognene, Ndoufouk, Thiès None, Keur Saïb Ndoye, Keur Issa, Thialy, Wango, Ngent Sérère, entre autres, à la commune de Thiès pour freiner la montée en puissance des libéraux. Une décision politique «déplorable» qui a causé d’énormes problèmes à Fandène dont la superficie a été nettement diminuée. Pis, beaucoup de terres agricoles ont été transformées en lieux d’habitation. Un phénomène qui continue aujourd’hui encore à prévaloir dans cette zone, car les paysans qui ont peur de perdre leurs terres ont procédé à des morcellements pour vendre certaines parcelles et distribuer le reste aux différents membres de leurs familles. Et si les ventes des parcelles obéissaient et continuent d’obéir à des motivations telles que la crainte d’expropriation ou encore le besoin de ressources financières, c’est parce qu’au fur et à mesure que la commune de Thiès s’élargit, la population rurale perd sa principale source de revenu. Puisque leur intégration dans le tissu urbain n’a pas été bien planifiée, avec des mesures d’accompagnement adéquates, la pauvreté de la population périurbaine devenue progressive, s’est naturellement installée.
Dans la plupart des zones où nous nous sommes rendus, certains pères de familles sont devenus des paysans sans terres. Tôt le matin, ils se rendent en ville pour espérer gagner un peu d’argent avec leur petit commerce. Les jeunes qui ne cultivent plus la terre se rabattent sur la menuiserie pour gagner leur vie.
Les limites entre la commune de Thiès et Fandène restent un mystère
Mais si cette situation douloureuse a été provoquée par le fait que la commune de Thiès ne peut espérer développer ses projets qu’en s’étendant sur Fandène, cette progression rapide et souvent «incontrôlée» se fait au détriment de «beaucoup de paysans qui durant ces quatre dernières années ont perdu leurs terres», révèle Noël Xavier Tine, technicien horticole à l’Ong agricole Afrique. Ce natif de Fandène avoue que les paysans préfèrent «brader leurs terres avant de se voir spolier sans pour autant pouvoir réagir ». De 1945 à 2000, nous a confié Alphonse Tine, habitant de Fandène ayant eu à travailler sur cette question foncière, «un agent du Cadastre nous a révélé que 6 000 ha de terres ont été perdus par les paysans».
Ceci dit, le problème de cette extension de la commune de Thiès reste entier, d’autant plus que les limites de cette dernière restent méconnues de tous. Martin Mbaye, un militaire à la retraite devenu agriculteur à Diassap, déplore ce fait insolite : «Les limites ne sont pas physiques en réalité. C’est juste sur parole. On ne nous a pas montré de bornes, ni de documents cartographiques montrant la limite de la commune par rapport à la communauté rurale. Récemment, on nous a dit qu’à partir de Diassap, c’est la commune, c’est la voie de contournement nord, mais aucun document administratif le prouvant ne nous a été présenté. Du coup, les difficultés que nous avons eu à rentrer dans le passé sur le foncier sont énormes et elles persistent encore».
Lui emboîtant le pas, Ibrahima Bakhoum, Coordonnateur du programme de coopération décentralisée entre les villes de Thiès et de Cergy (France), affirme que «les frontières n’ont jamais été claires. Donc, on est en conflit. Vous êtes sur la route, vous êtes à Thiès, vous traversez la route, vous êtes à Fandène. Il n’y a aucune limite physique».
Et sur le terrain, il est très difficile de savoir où s’arrête la commune de Thiès et où débute Fandène, d’autant plus que nous n’avons vu aucune indication prouvant physiquement les limites. Cette confusion est également entretenue par les constructions en dur qui poussent comme des champignons à côté de certains champs qui ont réussi à échapper aux lotissements. Joséphine Diop une jeune dame qui cultive sur la route de Keur Abdou Ndiaye, habitant à Laalan, souligne qu’à ce rythme, «on finira par ne plus avoir où cultiver, surtout pour une illettrée et une analphabète comme moi qui ne sait pas où trouver d’autre ressources lui permettant de joindre les deux bouts».
Lotissements à la pelle pour freiner l’extension de la commune
Si ces dernières années, il y a eu des lotissements à outrance dans Fandène, c’est qu’en réalité, les autorités de la localité tentaient de freiner l’avancée de la Commune de Thiès sur leurs terres. Seulement, cette méthode est loin d’être anodine, d’autant plus que certaines autorités locales y trouvaient bien leur compte. Le paysan qui n’avait pas les moyens de faire ses lotissements est toujours obligé de faire appel au Conseil rural qui s’acquitte des frais de bornages qui sont passés de 15 000 francs Cfa à 100 000 francs Cfa actuellement.
Le Conseil rural avait également un quota sur chaque lotissement effectué. Si l’on se fie à Augustin Khar Tine, responsable de la Maison familiale rurale de Fandène, «les dirigeants politiques faisaient des lotissements abusifs. Et quand les panneaux qui délimitaient la commune et la Cr ont été enlevés, la situation s’est dégradée.
Les lotissements ont triplé sous le magistère de l’ancien Pcr qui y trouvait bien son compte».
André Demba Wade, coordonnateur du Groupe recherche appui initiatives mutualistes (Graim) et chef de village de Laalan, estime à son tour que s’il y’a beaucoup de lotissements, c’est parce que «les collectivités locales n’ont pas de ressources, d’où cette politique menée au détriment des populations. C’est pour cela que les conflits sont nombreux actuellement dans la commune de Thiès. Cette extension a débuté en 1996 avec le régime socialiste, et en 2002 les lotissements ont augmenté comme on ne l’a jamais constaté au Sénégal». «S’ils font un lotissement de 200 parcelles, les populations ont 100 parcelles et les 100 autres reviennent au Conseil rural», révèle-t-il. D’après Alphonse Tine un habitant de Fandène qui s’intéresse au foncier, «60% du budget de la Cr de Fandène à l’époque était issu des frais de bornage, car c’était la période des lotissements à outrance».
Comme ce sont les villageois qui font souvent appel au Conseil rural pour procéder au lotissement, les responsabilités deviennent dès lors, partagées. Dans cette affaire, il y a eu des auto lotissements, puisque les paysans n’étaient plus sûrs de détenir encore ces terres. A Keur Saïb Ndoye, c’est ce que le chef de quartier El Hadji Moulaye Ndoye nous a confessé au milieu de sa cour. «On a été obligé de transformer nos champs en lieu d’habitation, car nous n’avions plus où habiter. Nous n’accusons aucune autorité locale. Mais puisque nous ne pratiquons plus l’agriculture, nous nous rabattons sur la vente de mangues qui proviennent des manguiers qui nous restaient», dit-il.
Thérèse Mbaye, conseillère du Conseil rural sortant, trouve que «le lotissement a freiné quelque part l’extension de la commune de Thiès, car les paysans de peur de perdre leurs terres ont été forcés de procéder de la sorte». Mme Mbaye réfute en revanche la thèse selon laquelle c’est avec une «opacité totale» que les terres de certains paysans ont été morcelées. «Ce que gagne le Conseil rural se fait toujours à l’amiable après une négociation des parties concernées», soutient-elle.
Le député Hélène Tine décrie ces pratiques et demande des mesures draconiennes
Pour M. Ba, un conseiller nouvellement élu rencontré à Thiès, il fallait d’abord régler le découpage qui a été fait n’importe comment. Pour lui, «l’urbanisation est bien contrôlée contrairement à ce qu’on laisse croire». Le principal problème demeure «l’administration c’est-àdire la gouvernance foncière». Il pense que si «les ressources qui doivent enrichir la commune enrichissent des personnes, cela pose
problème».
Abel Tine, le chef de village de Fandène Thiathié, est plutôt pour le développement de partenariat entre la commune de Thiès et Fandène, devenue commune. A l’en croire, il ne reste que quelques poches au niveau des villages rattachés à la commune de Thiès, qui a pratiquement épuisé toutes ses réserves foncières. Et actuellement, la situation qui prévaut à Fandène, c’est l’installation de beaucoup de nantis qui ont acheté des champs pour y construire des maisons. Aussi, des coopératives d’habitats investissent Fandène pour y ériger des cités pour leurs personnelles. Un phénomène bien visible à l’entrée de Fandène où des parcelles réservées à une coopérative d’habitats d’enseignants bordent la route.
Ibrahima Bakhoum croit fermement que «si entre la ville de Thiès et la commune de Fandène des problèmes de lotissement se posent, c’est parce que c’est une affaire d’argent. Aujourd’hui, il y’a des gens véreux qui viennent s’immiscer et se sucrer». Souhaitant que justice soit rendue à ces paysans qui sont lésés dans ces lotissements exagérés, le député Hélène Tine, qui a décrié ces pratiques, veut que des mesures draconiennes soient prises. «Je pense qu’un état des lieux doit être fait, ainsi qu’une évaluation réelle pour savoir l’impact que cela a eu sur les situations. Mais aussi, voir s’il reste encore des réserves foncières. Quelles sont les leçons à tirer et les mesures correctives à apporter pour arrêter ces dérives. Il faut procéder à des immatriculations pour que le paysan puisse sécuriser ses exploitations familiales. Qu’il puisse être propriétaire, ne serait-ce que le cinquième de ses terres, au lieu de lui donner 100 000 francs Cfa à la fin du mois», dit-elle.
L’Acte 3 de la décentralisation, une lueur d’espoir
Avec le nouveau découpage administratif transformant les communautés rurales du Sénégal en communes, la commune de Thiès, d’après certains observateurs, ne pourra plus s’étendre dans Fandène. C’est du moins ce qu’espèrent beaucoup d’habitants de Fandène qui saluent cette décision pourtant bien «politique» du Président de la République, Macky Sall