Elles viennent du Nigéria et en Côte d’Ivoire on les appelle communément «femmes anango». Spécialisées dans la vente au détail des objets ménagers, elles se rencontrent d’Abidjan à Bouaké, en passant par Gagnoa. Dans le milieu du commerce où elles évoluent, leur insertion constitue une réussite. Elles se félicitent de l’hospitalité ivoirienne, mais ne cachent pas les difficultés liées à leur secteur d’activité. Enquête !
Qui n’a jamais acheté une bouilloire chez la femme nigériane du quartier ou au marché ? Poire à laver, seau, berceau pour nouveau-né, etc., tout y est disponible. Membres de l’ethnie yorouba, elles dominent le commerce d’objets ménagers tant à Abidjan que dans certaines villes de l’intérieur du pays. Dynamiques et battantes, elles se construisent sans tambours ni trompettes. A l’image de Souratou Youssouf. Cette dernière hésite longuement avant de répondre aux questions, ce mercredi d’octobre 2015. La quarantaine, elle s’affirme comme une femme autonome. Son commerce à la Riviera 2 lui permet de prendre en charge sa petite famille. «J’avais 5 ans quand je suis arrivée avec mes parents au pays d’Houphouët Boigny», se remémore-t-elle. Depuis lors, le virus du commerce ne l’a plus lâché. Sa mère vendait des ustensiles en plastique. A 16 ans ses parents lui offrent son premier magasin. Depuis lors elle étale son empire.
«Je ne rencontre pas de difficultés majeures. Je ne me plains pas», confie Souratou Youssouf. Mais sur sa terre d’accueil, tout n’a pas toujours été rose. Les moments difficiles, elle les a sentis passer. La crise politico militaire que la Côte d’Ivoire a connue entre 2002 et 2011 a fait plus de 3 000 morts et les étrangers n’ont pas toujours été bien vus. «Nous avons eu peur pendant les différentes crises. A présent nous sommes sereins. Les tracasseries ont baissé et je m’entends bien avec mes voisins», note-t-elle.
Dans la (re)construction de la Côte d’Ivoire, ces femmes yoruba apportent leur pierre, payant patentes et taxes diverses. A Gagnoa, dans le Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire, l’incendie qui avait ravagé le marché en juillet 2015 ne les a pas découragées. Elles ont repris les affaires et on le retrouve, aujourd’hui, alignées de part et d’autre de la voie principale du marché. Leurs étals se ressemblent et partout les mêmes produits s’affichent : cosmétiques, vêtements d’enfants, articles divers, etc. Le marché grouille. Isolée dans son bureau avec la présidente des commerçantes yorouba de la capitale du Gôh, Labiyou Tesilaou, au siège de la Fédération nationale des commerçants de Côte d’Ivoire (Fenacci), elle confie : «Nous sommes environ 250 femmes yorouba dans le commerce à Gagnoa. Ce n’est pas négligeable comme apport en taxes pour la commune. Nous faisons des affaires sans chercher à tirer sur les bénéfices, mais nous savons épargner et cela fait notre force», révèle-t-elle. La communauté des commerçantes yoruba a sa tontine. Chaque adhérente y contribue pour 5 000 FCFA par semaine et cela fait un bel investissement pour qui remporte la cagnotte.
Responsable local de la communauté nigériane, Aladji T. ne cache point sa fierté à l’endroit des femmes yoruba. «Les jeudis et les dimanches, elles font l’effort de ravitailler les villages reculés. C’est parfois dangereux, car à l’approche des fêtes et pendant la période de la traite du café et du cacao, elles sont exposées aux coupeurs de route. Cela nous fait peur, mais ce n’est pas pour les décourager». Elles savent cependant que la communauté n’est pas ciblée du fait de son origine. Le problème sécuritaire concerne tout le monde. Avec ses quarante-trois années de présence en Côte d’Ivoire, Aladji T. témoigne d’une intégration réussie pour les Yoruba. «On n’a aucun problème avec nos sœurs et frères de l’éthnie bété. On se marie même entre nous», témoigne-t-il, le sourire large.
Les rackets diminuent
Ailleurs, l’atmosphère ne change pas. Quand on débarque à Bouaké, en ce jour de décembre, à près de 400 km d’Abidjan, on se croirait en pays yorouba. Président régional de la Fenacci pour la vallée du Gbêkê, Touré Aboubacar ne tarit pas d’éloges pour les femmes yoroubas de la ville. Dans les ruelles de Bouaké comme au marché, leurs hangars sont bien visibles. Elles dominent le secteur du commerce, mais cette prééminence n’attire pas de jalousie chez les commerçants nationaux. Secrétaire administratif de la Fédération nationale des commerçants de Côte d’Ivoire (Fenacci), section de Gagnoa, M. Diallo Tiéné loue leur courage : «Les femmes yoruba se battent beaucoup et sont bien intégrées. Elles respectent nos lois. Cela ne se fait peut-être pas à 100 %, mais à force de les sensibiliser, les choses commencent à rentrer à l’ordre. Nous faisons tout pour prévenir les palabres. On dit à nos compatriotes de ne pas s’attaquer aux étrangers. Des Ivoiriens font aussi du commerce au Burkina, au Nigeria ou ailleurs. Les Yoruba sont là pour nous aider à développer notre pays…»
L’environnement s’améliore aussi avec la baisse du racket dont elles ont eu à souffrir dans les différents corridors de transport. «Les tracasseries ont diminué grâce au convoyage de groupe. Il arrive que certaines subissent des tracasseries par défaut de pièces d’identité», remarque M. Diallo Tiéné. La crise de 2010 a laissé de mauvais souvenirs, mais depuis 2012 la situation a positivement évolué, note un responsable de la Convention de la société civile ivoirienne (Csci). Le ministère des Transports a publié la carte des 33 barrages autorisés à travers la Côte d’Ivoire et on a noté le démantèlement de plusieurs obstacles illégaux.
La où les femmes yoruba se sentent plutôt lésées, c’est dans l’accès aux financements bancaires. «Nous ne bénéficions pas des fonds d’appui aux femmes. Quand il s’agit d’avoir accès aux prêts bancaires aussi, c’est un parcours du combattant. Il est difficile de fournir les dossiers exigés comme le bulletin de salaire et les banques ne nous offrent pas d’alternative. Ainsi, après l’incendie du marché en 2013, nous n’avons pas eu de soutien, contrairement aux commerçants ivoiriens»,regrette Labiyou Tesilaou.
Depuis 2012, un Fonds d’appui aux femmes de Côte d’Ivoire (Fafci) a été mis en place. Les ayants droit sont celles qui exercent une activité génératrice de revenus et sont âgées de 21 ans au moins,… mais sont surtout de nationalité ivoirienne. Les femmes yorubas restent donc en rade, mais un espoir demeure. «Pour l’instant, l’enveloppe du Fafci est destiné aux nationales. A l’avenir les choses pourraient changer dans la mesure ou l’enveloppe a été revue à la hausse»,indique une source de la structure qui gère le Fonds au cabinet de la Première Dame ivoirienne.
Le difficile accès au crédit reste cependant un mal général. Présidente de la Commission de développement de l’entreprenariat féminin au sein du patronat ivoirien, Touré Diabaté Massogbè confie : «Une femme entrepreneur qui applique une demande de crédit auprès d’une banque a du mal à présenter des garanties car la femme en Afrique n’a pas les biens qu’il faut pour constituer des garanties. La femme n’est pas propriétaire terrien. C’est un gros problème». Spécialiste des questions migratoires en Afrique de l’Ouest et chargée de formation à la Convention de la société civile ivoirienne (Csci), Alida Tano Ajoute : «Le difficile accès aux crédits pour les étrangers est un problème qui revient très souvent dans les différents pays de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Les lois nationales ne permettent pas d’avoir accès à certaines institution de micro finances. C’est un frein à l’application effective du protocole de la Cedeao sur la libre circulation», remarque-t-elle.
Au ministère de l’Intégration, un source du service de Communication se décharge : «Une fois que les commerçants sont à l’intérieur du pays, la question de l’accès au crédit n’est pas de notre ressort, mais plutôt de celui des structures de financement», note-t-il. Deux mois plus tôt, un conseiller dudit ministère qui animait un atelier de sensibilisation sur le Tarif extérieur commun de la Cedeao et sur l’intégration économique en Afrique de l’Ouest, laissait entendre : «L’accès au crédit dans le secteur informel est une question délicate, y compris pour les nationaux. Par contre dans le secteur libéral, c’est assez facile». Au bureau de la Banque mondiale à Abidjan-Cocody, un expert affiche cependant son optimisme : «Avec la «multiplication des banques privées. Il n’y a pas lieu de désespérer». Touré Aboubacar, responsable des commerçants de Bouaké ajoute : «Nous sommes en pourparler avec des banques. La Coopec propose cent mille francs à rembourser dans quatre mois. Nous sommes également en discussion avec une banque arabe et ça promet».
Les femmes yorubas qui prospèrent dans le commerce en Côte d’Ivoire peuvent donc rêver de lendemains meilleurs.