En Côte d’Ivoire, l’on retrouve les grins et agoras dans plusieurs communes. Dans ces endroits, des jeunes se retrouvent pour échanger sur divers sujets souvent en rapport avec l’actualité politique nationale. Les femmes y sont quasi-absentes. L’équipe de La Synthèse s’est rendu dans différents grins et agoras (Reportage).
Enfermés dans une cité du quartier Port-Bouët 2, précisément dans la commune de Yopougon, plusieurs jeunes de mêmes âges sont assis autour d’un petit fourneau embrasé. Seul un plus jeune en âge s’occupe de donner du vent au fourneau pendant que les autres échangent sur des sujets d’actualité. Notre équipe de reportage est acceptée dans le groupe avec un accueil très fraternel. Touré Adama, responsable du ‘’grin’’ que nous avons joint au téléphone avant de venir, ordonne aux jeunes de nous dresser un banc. Le premier thé est prêt. Nous sommes servis avant tout le monde. Pendant le service, l’une des deux filles présentes se met au petit soin des participants. Le modérateur met fin au tout premier débat. Il demande l’avis des uns et des autres sur le retour des grèves tous azimuts dans les différents secteurs. Les arguments fusent de partout. Aïssata, lève la main pour se prononcer sur la question. Le modérateur voit la petite main de Aïssata et lui passe la parole enfin. Tout le monde fait silence. Car diton, les filles ne parlent pas beaucoup dans le groupe. A la fin de son argumentaire, les jeunes n’ont pu s’empêcher de pousser des cris de joie. Ils l’ont ovationnée pendant quelques minutes. Géneviève Koffi, la deuxième fille a visiblement gagné en confiance. Le grin est essentiellement rempli à 98% des jeunes hommes. Pourquoi une si faible représentativité des jeunes filles dans le grin ? Quelle est la place des femmes dans ce lieu ? Pourquoi doivent-elles être présentes ? Autant de question qui taraudent notre esprit. Touré Adama, responsable du ‘’grin’’ accepte de donner réponse à nos préoccupations.
Pas d’engouement chez les femmes
«Ici, comme vous le constatez, il y a deux filles seulement qui viennent chaque fois que nous sommes réunis. Les filles disent parfois qu’elles n’aiment pas le thé. Par conséquent, leur place n’est pas au milieu de nous. Cependant, lorsque nous nous réunissons dans la cité comme aujourd’hui aux environs de 19h à 22 heures, les filles viennent. Parce qu’elles ne sont pas occupées. A ces heures les filles viennent nombreuses participer aux débats. Les jours fériés, c’est à partir de 16 heures que nous nous réunissons sous un arbre dehors. A cette heure elles sont occupées à autre chose», affirme-t-il avant d’ajouter que les femmes gagneraient plus à participer aux débats dans les grins «Nous invitons souvent les autorités politiques à se prononcer sur les sujets sensibles de la nation. Nous organisons parfois des partages d’expériences. Cette opportunité nous est offerte afin d’en tirer profit. C’est positif pour tous les jeunes ici présents ». Selon Aïssata, membre du grin de Port Bouët 2, elle aura beaucoup appris pendant les débats. « C’est vrai que le ‘’grin’’ ne me disait rien avant. J’ai été invitée par mon grand frère. J’ai décidé d’y aller un jour après mon retour du campus. Je me sentais trop seule au milieu des nombreux garçons. Une fois, deux fois, et j’ai commencé à aimer l’esprit de fraternité et de sincérité dans le groupe. Depuis lors, juste après les cours, je m’arrange à venir participer aux débats. Cela a forgé ma capacité à prendre la parole en public. C’est dans ce ‘’grin’’ que j’ai fait la connaissance de plusieurs hommes politiques. J’exhorte les filles à me rejoindre. En tout cas, ma présence ici m’évite beaucoup d’autres choses négatives», révèlet-elle. Pour Géneviève Koffi, l’esprit du grin est mal perçu par certains. «Je suis vraiment à l’aise
avec les jeunes gens dans le grin. Mais parfois, certaines personnes ont une mauvaise appréhension de ce lieu», fait-elle remarquer. Les discussions deviennent de plus en plus intéressantes. Le plus jeune continue de surveiller le feu pour ne pas qu’il s’éteigne. L’équipe décide de mettre le cap au quartier Adjamé extension dans la commune d’Adjamé. A cet endroit, l’ambiance est plus surchauffée. Les jeunes dans ce grin sont plus nombreux que ceux de Yopougon, quartier Port-Bouët 2. Certains tentent de se jouer les taquins. Contrairement au grin de Yopougon, ce sont au moins six jeunes filles qui sont assises en compagnie des jeunes gens. Elles ne prennent pas la parole. Assises entre les jeunes gens, les filles n’osent pas broncher. Les visages affichent un air très timide et apeuré. En tout cas, les débats vont bon train. Les filles ne cherchent pas à interférer dans les débats des hommes. Les débats tournent autour de la retraite internationale de l’ex- capitaine des Eléphants, Didier Drogba. Fatim nous explique à l’oreille: «Je ne maitrise rien au football. Donc je m’abstiens. Je parle lorsque je maitrise le sujet». Les trois filles sont assises studieusement les regards plongés dans leurs téléphones. Elles semblent être désintéressées par tout ce qui se passe. Juste à côté, se trouve un autre grin dans le quartier de 220 logements à Adjamé. Un grin connu de tous. Le grin de l’ambassade est aussi pris d’assaut par des personnes de tout âge. Là, les femmes sont quasiment absentes. Koné Boubacar, responsable de ce grin nous donne son avis sur l’absence des femmes. «Ce lieu est ouvert à tous. Les femmes ne viennent jamais ici. Quelques rares fois, certaines viennent s’assoir mais elles ne durent pas. Elles se disent très occupées par des tâches ménagères. Ce sont les soirs après le travail et les jours fériés que nous nous retrouvons», déclare-t-il avant d’exhorter les filles à venir participer aux débats qui, selon lui, sont très enrichissants. Au quartier Sicogi, dans la commune de Koumassi, nous rentrons aux environs de 17h30, dans un agora, assis sous un hangar, jeunes, vieux et enfants. Ils écoutent attentivement un jeune homme, orateur de la circonstance. L’assistance semble très séduite par son éloquence et sa maitrise du sujet. L’orateur entretenait l’auditoire sur la politique du pouvoir actuel. C’est un sujet qui fait saliver dans ce quartier très favorable à l’ancien président de la République, Laurent Gbagbo. Après avoir parlé pendant plus d’une heure, l’orateur a fini par faire une conclusion de son exposé. Les nombreux participants visiblement satisfaits de sa prestation, l’accompagnent avec des acclamations nourries. Grande surprise, nous voyons une jeune fille habillée en pantalon Jeans et un tee shirt avec la photo de l’ex-président Laurent Gbagbo. Plus d’une dizaine de femmes avancées en âge étaient de la partie. Nous tentons de demander à une dame juste assise à côté de nous ce qui motive la présence de nombreuses femmes en ce lieu. «Mon fils, ici nous nous rappelons des bons moments passés avec notre ancien président incarcéré à la Cour pénale internationale (CPI). Nous avons aussi les nouvelles fraîches de lui ici», nous souffle-telle à l’oreille. Elle continue pour signifier. «Les femmes sont les premières à venir sur le site. Nous nous retrouvons une fois par semaine. Les femmes ont libre accès à la parole dans notre agora. Nous nous sentons très à l’aise dans cet endroit. », explique dame Zouzoua Marguerite. Plus le temps avance, le débat devient de plus en plus intense. Honorine D. la modératrice, estime que sa participation à l’agora de la Sicogi lui a été bénéfique. « Mon rôle de modératrice m’a permis de parler en public. Je prends part activement aux débats. C’était vraiment difficile dans les débuts. Mais grâce à Dieu j’ai pu me surpasser », a-t-elle révélé. A Santai, village situé dans la commune de Bingerville, seuls les hommes de même génération se retrouvent. Un petit garçon est assis près d’un bidon de 50 litres de jus de palme appelé communément ‘’Bandji’’ en langue Baoulé. Il sert chaque participant pendant le débat. Aucune femme n’est autorisée en ce lieu. «C’est une affaire d’hommes. Les femmes sont à la cuisine. Ici c’est comme cela», affirme M. Junias Dano
Le spécialiste s'est voulu clair sur la question. Pour lui, la non participation des femmes à des espaces de discussions ont des raisons bien profondes. Selon lui, ces espaces sont des tribunes privées «C’est vrai que les initiateurs utilisent des espaces publics, mais c’est un cadre purement privé. Il n’y aucune réglementation. Il n’y a pas de sécurité. Et les femmes n’aiment pas ces genres de lieu. Ce ne sont pas des démocraties organisées», déclare-t-il. Doumbia Yacouba estime par ailleurs que les grins et agoras sont des extensions des politiques. «Les femmes aiment là où il y a la politique sans violence. Les agoras et grins sont parfois manipulés», explique-t-il. L’expert en question de genre révèle que les grins et agoras sont vus par les femmes comme des lieux pour hommes. «Les femmes ne voient pas l’opportunité de prendre part aux débats dans ces lieux trop dominés par les hommes. Il y a aussi un aspect psychologique qui pèse. Les femmes n’ont pas trop le temps pour aller dans ces lieux. Elles préfèrent rester à la maison s’occuper des tâches ménagères ou même aller vendre. Les femmes n’aiment pas trop le loisir», soutien-t-il. A l’en croire, elles gagneraient aussi à participer aux débats dans les grins et agoras. «Les femmes doivent apprendre à aller aux grins et agoras. Ça pourrait faire bouger les lignes par rapport à la situation des femmes même s'il est c’est clair que la décennie de crise endurée par les populations ivoiriennes a freiné l’élan de nombreuses personnes à se rendre dans ces lieux pareils», explique-t-il