Des organisations de femmes et de la société civile, de concert avec des autorités locales, s’activent pour harmoniser leurs stratégies et actions de sensibilisation dans certaines localités du Sénégal, dans le but d’aider les femmes à disposer des mêmes droits dans la gestion de la ressource foncière.
A Thiès (ouest), le Groupe d’initiative pour le progrès social (GIPS-WAR), créé en 2004, s’active pour contribuer à un plus grand accès des femmes à la terre, à travers des actions de plaidoyer et de sensibilisation.
"Les femmes des villages aux alentours de Thiès venaient s’approvisionner en légumes en ville. Pour nous, cela n’était pas normal, c’est le contraire qui devait arriver", affirme Julie Cissé, sa coordinatrice.
Elle explique qu’une enquête menée par le GIPS-WAR a mis en exergue le fait que dans ces villages, les femmes n’avaient pas accès à la terre, le foncier étant contrôlé par les hommes.
"C’est ainsi que nous avons développé des stratégies persuasives pour montrer aux hommes que les femmes étaient capables de cultiver les terres. Voilà comment nous avons démarré cette aventure", a-t-elle raconté.
Puis le GIPS-WAR a mené un plaidoyer auprès de chefs de village pour tenter de les convaincre de la nécessité d’octroyer des terres aux femmes.
"Certains ont accepté, d’autres non, mais nous avons continué à faire le plaidoyer au niveau des radios communautaires pour dénoncer cette situation. C’est ainsi que les autorités locales nous ont contactés", a rappelé Mme Cissé.
Elle assure qu’à Kaolack, Diourbel (centre), Matam (nord), Thiès et d’autres régions où intervient le GIPS-WAR, les acquis obtenus ont changé le quotidien des femmes détentrices de la terre.
"En Casamance, dans certaines collectivités territoriales, nous avons accompagné des femmes jusqu’à l’attribution de surfaces" qui leur reviennent désormais, affirme Julie Cissé, soulignant que le GIPS-WAR articule l’accès des femmes à la terre à la problématique de leur autonomisation économique.
En 2016, cette organisation a intégré l’initiative Kilimandjaro, une plateforme de femmes rurales africaines créée en 2015 pour prendre part aux politiques foncières en leur faveur.
Ses initiatrices avaient marché pendant quatre jours jusqu’au sommet du mont Kilimandjaro, montagne située dans le nord-est de la Tanzanie, où elles ont présenté leurs revendications en 15 points.
Elles ont notamment demandé que des politiques soient mises en œuvre afin que les femmes africaines puissent accéder d’ici à 2025 à 30 % des terres aménagées.
"Quand il y a des groupes de femmes qui s’organisent pour (…) contrôler les ressources naturelles comme la terre, l’Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (CICODEV-Africa) s’engage à leurs côtés", assure son directeur exécutif, Amadou Kanouté, au sujet de cette initiative.
Il a donné l’exemple de la Fédération nationale des femmes rurales (FNFR) qui, selon lui, a réussi, dans le nord du Sénégal, près de Rosso, à faire octroyer 110 hectares à un groupement comprenant 100 femmes, en misant sur la sensibilisation.
Selon M. Kanouté, le CICODEV travaille avec d’autres associations de femmes dont le GIPS-WAR qui, grâce au leadership de ses membres, "a réussi des avancées extraordinaires en matière de sécurisation foncière, au profit des femmes".
"Nous avons eu des rencontres avec l’Union des maires du Sénégal, qui partage notre vision selon laquelle il faut que nous travaillions à mettre en œuvre ce que le maire de Mbadakhoune (centre) a fait", a-t-il dit, signalant que cet édile, sensible à cette question, a de lui-même affecté cinq hectares à un groupement féminin de sa commune.
Le rôle de la société civile est de veiller à ce que les lois et la Constitution soient effectivement appliquées, fait valoir M. Kanouté, en guise de commentaire.
"Au niveau de la mairie, nous avons des projets pour les femmes, mais pour qu’elles puissent en bénéficier, il leur faut des terres. C’est ainsi que nous avons convaincu des chefs de village de céder deux hectares aux groupements de femmes de leur localité", a expliqué Jean Marie Silmang Marone, l’édile en question.
Une fois que les terres leur sont octroyées, c’est la municipalité de Mbadakhoune, située dans la région de Fatick, qui mène des actions de sensibilisation visant à emmener des femmes à en acquérir et à leur trouver ensuite des financements auprès de partenaires, selon l’édile.
Le combat est également porté par les femmes au sein des instances locales de prise de décision où elles occupent des postes de responsabilité, contribuant ainsi à influer sur les décisions les concernant.
"Nous faisons tout ce qui est nécessaire pour aider les femmes, concernant la terre (…). A chaque conseil ou débat d’orientation, nous remettons sur la table ce problème", explique Adja Maguette Fall, conseillère municipale chargée de la planification et de la formation à la mairie de à Thiès Ouest.
Selon Mme Fall, également membre du GIPS-WAR, des avancées ont été notées, mais elles n’ont pas atteint le niveau escompté.
"Nous continuerons à faire des plaidoyers, à tenir des séminaires et des ateliers sur le leadership pour informer et former les femmes sur leur droit. C’est à nous qui sommes dans les instances de décision de porter la parole des autres femmes", ajoute-t-elle.
S’y ajoute l’Association des femmes juristes du Sénégal (AJS), qui joue également sa partition et a réussi à sensibiliser des maires jusqu’à obtenir 200 délibérations pour des terres affectées à des femmes individuellement.
Selon sa coordonnatrice régionale, Ndèye Astou Goudiaby, la "boutique de droit" de l’Association des femmes juristes du Sénégal à Ziguinchor "se bat pour l’égalité des femmes et des hommes", la gent féminine représentant l’essentiel de la main-d’œuvre agricole locale.
"Elles sont au début et à la fin de tout ce que nous faisons ici dans l’agriculture, alors qu’elles n’accèdent pas ou ne possèdent que 3 % de la terre. Cela constitue un blocage à leur autonomisation", relève Mme Goudiaby.
Aussi faudrait-il que les femmes soient bien imprégnées de ces questions, et qu’elles aient les mêmes droits que les hommes pour accéder à la terre.
Sur le plan législatif, font valoir plusieurs spécialistes, le code civil, le code du travail, le code de la famille et la loi sur le domaine national constituent autant d’instruments permettant aux femmes d’acquérir des terres au même titre que les hommes.
La Constitution sénégalaise consacre aussi le principe d’égalité entre les hommes et les femmes, concernant l’accès à la terre.