Le juriste et promoteur de l’ONG Ethique et droit dans le sida (REDS) apporte un éclairage sur ce qui est fait dans le cadre des droits humains dans le sida.
Parmi les facteurs qui déterminent la vulnérabilité des individus dans le Sida, ou qui aggravent l’impact de la maladie sur les individus, il y a des facteurs qui dépendent de l’environnement juridique et législatif. Il se trouve que l’environnement juridique et législatif est déterminé par à la fois les lois camerounaises, mais aussi par l’environnement international.
Cela veut dire que lorsqu’on s’engage dans la lutte contre le Sida, il faut y aller avec une approche de droits humains. Il ne faut pas seulement médicaliser la lutte mais il faut tenir compte des paramètres que j’ai cités. Peut-on dire aujourd’hui que les lois camerounaises favorisent la lutte contre le sida ? On peut se poser des questions à la lecture de notre code pénal. Il y a encore des dispositions qui pénalisent les relations entre les personnes du même sexe et le travail du sexe par exemple. Rien que sur ces deux aspects là, on peut se rendre compte que cela nous pose effectivement un problème. Si nous voulons atteindre zéro infection, zéro discrimination, zéro décès lié au Sida, nous devons également nous attaquer aux questions juridiques, aux obstacles des droits humains qui entravent l’accès aux services de santé. Si on met simplement les antirétroviraux dans les hôpitaux, sans penser globalement à la personne qui vient chercher ces Arv. J’ai bien peur que l’on n’atteigne pas l’objectif qui est de soigner les gens. Sur ce point, on a des difficultés énormes à faire passer les messages, parce que la lutte contre le Sida, fondée sur les droits humains me semble être un objectif qui n’est pas encore approprié par les principaux acteurs dans la lutte contre le sida. Certes dans nos stratégies de lutte contre cette pandémie on fait référence aux droits humains, mais il faut traduire cela en programme. Et de ce point de vue, l’ONUSIDA a un ensemble de programme qu’il recommande aux Etats pour faciliter les réponses à l’épidémie et pour optimiser.
Concernant par exemple les populations clés, notamment celles qui sont pénalisées, on nous dit qu’il y a des mesures d’accompagnement. Par exemple dans le round 10 que le Cameroun est entrain de piloter, à côté il y avait un plan qui était conduit par Camnafaw sur la minimisation des risques. Tout n’est pas de mettre en place un plan de minimisation des risques, encore faut-il aller au fond. Il ne suffit pas d’effectuer des voyages dans les régions pour parler aux autorités administratives en une heure pour croire que le problème est réglé.
On leur demande de laisser faire les homosexuels, les travailleuses du sexe, et les utilisateurs des drogues parce qu’ils sont pris en compte dans les politiques nationales. Ce n’est pas suffisant, ces personnes doivent être impliquées dans les activités. J’aimerai que cela fasse partie des curricula des magistrats, des policiers, des enseignants, etc. Il s’agit de donner la possibilité aux professionnels de ces corps qui sortent des écoles de cerner les enjeux de la lutte.
Dans les établissements scolaires par exemple, les enseignants pourraient aider à lutter contre la stigmatisation des élèves qui se recrutent parmi les Pv VIH ou les populations clés. C’est la raison pour laquelle on a des appréhensions par rapport à l’état des lieux qui a été fait. Il faut dire qu’il y a environ un ou deux ans on a fait l’audit de l’environnement légal par rapport au VIH. On peut avoir des choses à redire sur cet audit qui a été réalisé par l’ONUSIDA et le PNUD, mais toujours est-il que l’on ne devrait pas s’arrêter là. Il faut se souvenir aussi que bien avant cet audit légal et sur les services juridiques, il y a eu un ou deux ans avant, la restitution de l’étude sur l’index des Stigma. Les acteurs qui étaient présents ont travaillé sur un plan d’action de mise en œuvre des recommandations. En gros, il était question de partir des recommandations et les traduire en programmes qu’on mettrait à côté de ce qui est prévu dans le plan stratégique.
Malheureusement on n’a pas évolué plus que ça. On peut donc se rendre compte d’une chose que ce soient les activités qui ont été menées à Douala ou celles qui ont été réalisées avant, on a l’impression que rien n’a été programmé.
Dans un pays comme le Maroc, il existe un cadre national de lutte contre le sida fondé sur les réponses des droits humains, avec un plan financé. Lequel a mobilisé les acteurs qui ont fait l’état des lieux, de définir les priorités, d’arrêter les activités précises à mener. Or dans le cas du Cameroun, c’est très difficile, si vous me demandez qu’est-ce que le Cnls va faire aujourd’hui ou demain en matière de droits de l’homme, je n’en sais rien. Aujourd’hui on sait ce qui se passe, des études menées par le Récap sur le stigma par l’ACMS dans le cadre du projet PPSAC, et bien d’autres études, on connaît la situation aujourd’hui. Il est simplement question de passer de ce qu’on sait à l’action, et c’est ça qui manque le plus. Un des gros défis qui nous interpelle aujourd’hui, c’est l’appropriation de l’approche de lutte contre le Sida fondée sur les droits humains. Tant que les acteurs ne l’ont pas fait, on aura des difficultés à avancer. Certains acteurs ne savent même pas de quoi il s’agit, car ils pensent que les questions des MSM (les hommes qui aiment les hommes) relèvent de la justice, alors qu’eux s’occupent du droit à la santé. Ça pose un problème puisque les droits sont indivisibles. Les droits de la santé ne peuvent être mis en œuvre que si les autres droits connexes sont respectés. Par exemple, la liberté de se déplacer, de bénéficier de la confidentialité, de se réunir, puisque ce sont des groupes que nous avons intégré dans la lutte et ils sont des partenaires du programme. Comment peuvent-ils se réunir pour définir leur stratégie si juste à côté des agents de police un peu véreux, des forces de polices zélées s’en mêlent.
L’approche droits humains renforce l’efficacité des programmes, il ne faut pas oublier que les changements que nous voulons produire aident sur le plan individuel, sur le plan collectif, sur le plan des services, etc. La lutte contre le sida doit être aussi une occasion de promouvoir les droits des femmes, la citoyenneté des personnes que nous considérons comme marginales dans la société. La lutte contre le Sida doit être aussi un levier de changement social et c’est quelque chose que les principaux acteurs n’arrivent pas encore à appréhender. Nous avons travaillé sur le plaidoyer, il n’est qu’un aspect parmi les programmes qui peuvent être menés dans ce champ.