Progressivement les promoteurs immobiliers ont fondu sur Bambilor et pris possession des terres. Les hommes leur ont tout vendu sans prendre en compte les intérêts des femmes, qui du jour au lendemain, on vu s’évanouir leurs principales sources de revenus.
Derrière les bulldozers ont poussé des maisons. A Bambilor, les champs de mangue et les espaces maraichers ont pratiquement disparu. L’appétit foncier des spéculateurs a fini de raser cette verdure qui, à une trentaine de kilomètres de Dakar, faisait le bonheur des femmes de la contrée. Elles n’étaient pas propriétaires des terres qui ont été emportées, mais l’essentiel de leurs activités économiques reposait sur ressources dont l’exploitation leur assurait des revenus constants. Elles vendaient les mangues et cultivaient des légumes avec lesquels elles approvisionnaient les marchés de Pikine ou de Rufisque. Du jour au lendemain les Caterpillars ont tout dévasté. Des tâcherons sont ensuite passés pour dessoucher les derniers arbres et laisser derrière eux le désert. Point de souci pour le sort des femmes de la commune.
C’est dans les années 1970 que les promoteurs immobiliers et certains privés ont pris d’assaut Bambilor. L’Etat y avait installé Bud Sénégal, une unité agro-industrielle. Elle fera faillite, mais la ruée ne s’arrêtera plus. Aujourd’hui les marchands de sommeil ont remplacé les paysans du dimanche. Les chantiers et les sites immobiliers s’alignent pour recueillir le trop plein de Dakar. Et les femmes n’ont rien pu faire. Elles se sont alarmées quand elles ont commencé à sentir que leurs moyens de vivre avaient quasiment disparu. Leurs récriminations montent, mais un peu tard.
Promoteur immobilier actif dans la zone, Cheikh Sané Faye est des plus prompts à les balayer leurs arguments : «Peu de femmes sont propriétaires de terre. Elles vendent des produits récoltés dans les vergers de leurs maris ou achètent des fruits et légumes pour les revendre. Nous ne venons arracher les terres de personne. Mais quand un propriétaire vient nous voir pour terrasser son champ, nous n’hésitons pas. C’est notre gagne pain». Ainsi prospère une spéculation foncière sans merci qui ravage la commune de Bambilor. Chef du service d’Appui au développement local, Mme Ba Ndiapaly Diop note avec amertume : «Dakar n’a plus d’espace à Dakar du fait de l’urbanisation et tout le monde veut venir ici. Mais les conséquences sont lourdes. Les terres ont disparu et les femmes n’ont plus d’activité économique. Vous avez constaté que les produits sont devenus plus chers sur le marché…».
Avec l’autoroute à péage, cette commune, naguère immense verger, est devenue «la porte à côté», à une trentaine de minute de voiture. Et les nouvelles cités y pullulent. A la mairie de la commune, un agent lâche : «Dakar est en train d’être délocalisé entre Bambilor comme pôle urbain à usage d’habitation et Diamniadio comme pôle urbain à usage industriel. Notre commune n’est plus rurale mais urbaine et les champs sont menacés. Nous sommes issus de familles paysannes certes, mais plus personne dans nos familles ne pratique l’agriculture». Une écoute attentive des femmes de la commune aurait sans doute permis de pondérer ce point de vue. Car la terre n’était pas «inutile» pour tout le monde.
Teinturière de profession, Adji Ndiaye rappelle qu’avec ces terres de culture qui disparaissent s’évanouissent également les activités économiques qui faisaient d’elles des soutiens de ménage ou des chefs de famille. «Nous sommes bien présentes dans le secteur agricole tout comme dans la transformation et la commercialisation des produits. Pourquoi les autorités ne nous accompagnent-elles pas dans ce sens ? Aujourd’hui nous n’avons même plus de terres pour cultiver alors que l’accès à la terre un droit», se désole-t-elle. Dans cette zone, 90% des activités génératrices de revenus étaient agricoles et l’apport des femmes se faisait sentir dans le développement local. «Nous sommes nées et nous avons grandi en voyant nos mamans s’acquitter de ces tâches car c’est la terre qui nous fait vivre. Ici sept femmes sur dix assurent la dépense familiale. Elles sont veuves, abandonnées ou ont vu leurs maris atteint par la limite d’âge». Dès lors tout leur revient. Notamment l’école et la santé des enfants.
Mais dès qu’on se tourne vers le président de la Commission domaniale de la mairie, M. Aliou Mbaye, le son de cloche change : «Aucune femme, à ma connaissance, n’a fait de demande d’affectation de terres à notre niveau pour des activités». Une mise au point qui n’est pas pour éteindre la polémique. Car Mme Fatou Gaye Samb, présidente de Gie, revient à la charge : «Parmi les organisations que je dirige certaines ont bien adressé une demande. Mais jusqu’à présent rien n’est fait. Tout le monde sait que nous avons besoin de terres car certaines d’entre nous sont obligées d’en louer pour mener leurs activités». Présidente du Réseau des groupements féminins de la zone, Mme Fatou Samb Gaye noircit encore le tableau : «Les femmes sont laissées pour compte. Certaines de nos revendications ne sont pas prises en considération, surtout celles qui sont liées à l’accès aux terres pour nos activités agricoles.» Des activités qui les occupaient toute l’année. Après la saison de cueillette des mangues qui dure trois mois, elles se tournaient vers le maraichage pour les neuf autres mois de l’année. Aujourd’hui c’est la quasi-inactivité.
Responsabilité collective
Les femmes de Bambilor pensent que leurs préoccupations auraient pu être mieux prises en charge au niveau municipal où on compte 27 conseillères, soit 56 % des membres. Mais cette représentation semble sans effet. Dans la ville, certaines fustigent leur silence dans l’élaboration du budget et dans les politiques de développement au moment où il faut défendre la cause des femmes. «Elles ne sont conseillères que de nom. Elles ne s’impliquant dans rien. Même dans leur propre combat en tant que femme on ne les sent pas», dénonce une dame. Conseillère libérale, secrétaire générale de la commission Entreprenariat féminin, Ndoumbé Diène réfute ces accusations. Pour elle, l’élaboration du budget relève d’une responsabilité collective. «Tous les vingt villages de la commune sont informés à chaque fois que le budget doit être voté. L’information est souvent véhiculée à travers la radio Bambilor Fm, mais aussi par l’intermédiaire du président du Foyer des jeunes, ainsi que du président des amicales d’élèves et d’étudiants. Par ailleurs, la séance se tient dans les locaux du foyer des jeunes. Tout le monde est au courant. Ceux qui se disent mal informés sont de mauvaise fois. Notre budget est bien «genré». En tant secrétaire générale de la commission Entreprenariat féminin je peux le dire». La teinturière Adji Ndiaye, miliante libérale comme Mme Diène, revient à la charge : «C’est après le vote que les échos nous parviennent. Pourtant nous avons notre part dans ce budget. Les femmes de la commune doivent être servies avec des investissements qui nous profitent. C’est ce que nous revendiquons»
Ce sur quoi les deux responsables libérales s’accordent, c’est que la commission Entreprenariat féminin ne fonctionne pas. «Elle est dirigée par une jeune d’une vingtaine d’année et certaines de ses collègues lui contestent son poste du fait de son jeune âge. Ce problème de leadership sur fond de conflit intergénérationnel bloque bon nombre de nos projets. En fait, comme femmes nous ne sommes pas unies pour defender nos causes», précise Ndoumbé Diène. Ce blocage est préjudiciable.
Passée au rang de commune en 2014 avec l’Acte 3 de la décentralisation, Bambilor n’a donc pas uniquement changé au plan administratif. Cette communauté qui fait partie à la zone des Grands Niayes et va de Keur Massar à Lompoul, a déjà perdu son cachet de zone mairaichère. A la place des manguiers qui s’élevaient de ses zones fertiles ce sont désormais le béton et l’acier qui sont rois. Les hommes ont vendu leurs terres, ce sont les femmes qui en souffrent.
Khary DIENE
(avec le soutien de l’Institut Panos Afrique de l’Ouest)
ENCADRE
Les femmes s’endettent et finissent à la gendarmerie
Chef du centre d’appui et du développement local de Bambilor, Mme Ba considère que «le développement local est un tout. Il s’agit de l’ensemble des activités dont les populations ont besoin pour être autonomes. Et par rapport à cette autonomisation une grande part a été réservée aux femmes». Du côté de la municipalité, le conseiller Alioune Mbaye soutient qu’une ligne de crédit est disponible pour les femmes. Mais le souci des femmes pour la préservation du foncier semble avoir été oublié.
Nogaye samb le regrette : «Nous sommes envahis et même nos périmètres familiaux annexes ont disparu. Il faut le dire, l’agriculture commence à être rangée aux oubliettes dans notre terroir. Regardez les jeunes, ce sont eux qui s’adonnent aux terrassements des terrains au profit des promoteurs immobiliers». Samba Guèye, un jeune de la localité, justifie ses activités de terrassement : «Non seulement des terres sont perdues, mais celles qui restent sont usées et ne produisent plus comme avant. Alors, laisser ces terres à la merci des troupeaux…».
Faute d’espace de culture, les femmes se sont ainsi tournées vers d’autres horizons, notamment les activités menées avec l’appui de leurs groupements féminins mais aussi les tontines. Mais elles sont aléatoires. Rembourser les dettes est difficile et nombre de femmes de la localité ont dû répondre à une convocation de la gendarmerie des suites du non paiement d’un prêt. La teinturière Adji Ndiaye en fait partie. «Ma mère et moi avons dû aller répondre à la gendarmerie de Rufisque en 2014. Mon père était hospitalisé. Seule avec ma maman, nous ne pouvions plus aller travailler. On est resté deux mois sans payer. On a colmaté par ci par là pour trouver de quoi faire une avance», rappelle-t-elle.
La secrétaire à la commission Entreprenariat féminin défend le fait que les femmes ne sont pas laissées à leur sort. «Pour les accompagner dans des activités génératrices de revenus, le maire avait mis sur la table une garantie bancaire de 75 millions de francs. Il vient de la renouveler pour 15 millions». Mais l’accès à ces fonds divise. Adji Ndiaye dénonce des «procédures qui sont telles que vous vous résignez à abandonner». Mais pour Mme Ndoumbé Diène, la faute incombe avant tout aux conseillères : «Certaines sont handicapées par le manque de formation et d’audace pour s’imposer devant les assemblées. Elles doivent faire plus pour nos droits».
Le besoin de formation et d’appui s’exprime fort à Bambilor. «Nous sommes seules dans nos combats, déplore la secrétaire générale de la commission Entreprenariat féminin. La seule fois où une organisation de la société civile est venue ici, il y a longtemps, c’est moi qui en avais fait la demande auprès de l’Association des femmes juristes du Sénégal». Fatou Samb Gaye tire dans le même sens : «La société civile, nous ne les entendons qu’à la radio. Ici leurs actions ne se font pas sentir». Assistante au Réseau Sigguil Jigueen, Mme Bâ Aida Ndoye reconnait : «Nous n’avons jamais tenu de rencontre dans le sens de renforcer les capacités pour les femmes de cette localité. Certaines en ont la demande pendant la dernière campagne électorale, mais c’était de façon verbale et il n’y a pas eu de suivi.» Le Réseau Sigguil Jiguén a cependant à y eu intervenir dans le domaine de santé.
K. DIENE