A Ngoundiane les femmes rêvent de lendemains meilleurs. Organisées en groupements féminins et ayant pris goût à l’entreprenariat, elles voient gros et loin. Mais leur engagement dans le développement local se heurte à l’épineuse question du financement. Le Quotidien, en partenariat avec l’Institut Panos, a mené l’enquête dans cette commune située à environ 90 kilomètres de Dakar.
Envoyée spéciale - Les femmes n’étaient pas sur le présidium. Mais pour cette réunion d’orientation budgétaire de la commune de Ngoundiane, le 25 novembre dernier, elles étaient bien présentes dans la salle. Oumy Tine, conseillère municipale, trouve ce retrait normal. «Le premier et le deuxième adjoint au maire sont des hommes», explique-t-elle. Le podium était ainsi complet. Vingt orateurs défileront au micro, dont sept femmes. Parmi elles Astou Gning, présidente de l’Union des groupements féminins de Ngoundiane. Dans ses mains un carnet où elle a noté ses propositions. «Cette année, clame-t-elle, nous avons un besoin réel de formation. Notamment pour les femmes éducatrices qui ont en charge les centres d’éveil». Point focale de la mairie dans les sociétés d’extraction minière et membre de la coalition Publiez ce que vous payez, Bambi Kâ est également venue avec des suggestions. Notamment l’organisation d’un forum qui, selon elle, va regrouper la population, les responsables des sociétés minières et les autorités municipales et administratives pour discuter des problèmes de sécurité qui se posent dans les carrières. Le prétexte, c’est l’accident qui s’est produit à la Gécamine, occasionnant la mort d’un ouvrier.
Les revendications continuent de fuser devant le conseil pour se focaliser pêle-mêle sur les infrastructures de base, l’accès à l’eau potable et à l’électricité dans certains villages de la commune, ou sur les problèmes de table-bancs et de toilettes dans certaines écoles. Les interventions des femmes dans cette session du Conseil municipal ne versent ni dans la polémique ni dans une remise en cause des actes posés ou annoncés. Mais elles renseignent sur l’engagement des femmes dans la gestion de leur commune et la revendication pour la prise charge de leurs activités. Parmi les préoccupations émerge surtout un projet intégré conçu par les femmes. Estimé pour la première phase à 30 millions de francs Cfa, il devrait commencer à Kam Diack, un des 15 villages de Ngoundiane, dans les bas-fonds favorables à la culture légumière. Elle comprend la mise en place d’unités de transformation à Ngoundiane Centre et des unités de commercialisation à Séokhaye, un village situé sur la Rn2. Ce projet «peut occuper l’ensemble des femmes actives de notre commune et développer notre localité», soutient Astou Gning qui souligne que celui-ci a été soumis à l’équipe municipale, mais est resté jusqu’ici sans suite.
A Ngoundiane, commune distante de 80 de Dakar, dans la région de Thiès, «est assez particulière, comparée aux autres localités, se réjouit Oumy Tine, conseillère municipale. Nous avons trois postes de santé et trois maternités. Chaque poste à une ambulance. Chaque année il y a des dotations en médicaments pour un montant de 3 millions de francs Cfa». Astou Gning y ajoute la construction de salles de classe par la mairie, l’allocation de table-bancs et des fournitures scolaires. «Nous n’avons pas de problème de ce côté. Il faut juste renforcer l’existant», souligne-t-elle.
Le principal problème pour les femmes réside au niveau économique. Le premier adjoint au maire, Ypanne Ndiaye pense que l’institution n’en a pas assez fait. «Il faut qu’on s’occupe d’avantage des femmes», martèle-t-il, regrettant leur exode vers les villes qui continue même si elle faiblit. S’adressant au maire Mbaye Dione, il l’invite à trouver aux femmes des terrains et de l’eau pour qu’elles puissent faire le maraîchage. «Il faut leur donner des moyens», insiste-t-il sous les applaudissements des femmes venues assez nombreuses assister à cette session du Conseil municipal. Le maire Mbaye Dione reprend à la volée pour révéler que son équipe travaille à sa mise en œuvre du projet de Kam Diack, mais «le financement sur fonds propres n’est pas envisagé d’ici 2019». Il promet cependant de trouver d’autres sources de financement dans le système de la micro-finance et avec des bailleurs extérieurs comme l’Organisation internationale de la francophonie (Oif). Secrétaire générale de l’Oif, Mme Michaëlle Jean avait promis des financements aux femmes de Ngoundiane pour des projets de transformation de céréales, de fruits et légumes et de teinture, après sa visite dans cette localité le 14 octobre 2017,
Mais l’attente risque d’être longue par rapport à l’impatience de femmes de voir ce projet démarrer. En fait, les conseillères ne sont pas au nombre qu’il faut pour mettre la pression sur la municipalité et accélérer sa mise en œuvre. Sur 46 conseillers elles ne sont que 22. Déjà, le choix des investissements pour 2018 s’est fait sans les elles. «C’est au cours de cette réunion d’orientation que j’ai pris connaissance des investissements seront réalisés en 2018», révèle Oumy Tine. Elles se sont néanmoins prononcées sur les choix opérés et ont exprimé leurs préoccupations. Sur l’accès à l’eau et à l’électricité par exemple, Mbaye Dione s’est engagé à résoudre l’année prochaine les problèmes soulevés.
Spécialiste en finances publiques, chargé des programmes à l’Ong 3D, Seydina Mouhamed Mbaye explique la faible participation des femmes à l’élaboration du budget par le fait qu’elles «sont absentes à l’étape la plus importante, c’est-à-dire là où on collecte les besoins des populations pour les traduire en budget. Souvent, les hommes leur dament le pion parce qu’il s’agit d’une question technique et la plupart des femmes n’ont pas le niveau requis». C’est le cas des conseillères municipales de Ngoundiane, qui ne sont pas encore au fait des questions d’élaboration et de planification du budget malgré des formations initiée par la mairie.
Une douzaine de sociétés d’exploitation minière
Les vingt-cinq entités qui composent l’Union des groupements féminins de Ngoundiane (Ugf) en veulent. Et leur dynamisme a commencé à changer les habitudes. «Nos femmes ne connaissaient que les travaux champêtres et l’exode rural. Elles allaient à Dakar pour exercer le métier de domestique ou de lingère. Cet exode a beaucoup diminué. Aujourd’hui vous les voyez aux abords des écoles ou des sociétés minières où elles tiennent des restaurants et des tables de petit commerce», se réjouit la présidente de l’Ugf, Astou Gning. Mais l’accompagnement qu’il faut à ces activités manque.
Ngoundiane abrite pourtant une douzaine de sociétés d’exploitation minière et tous les jours les femmes voient passer les camions chargés de basalte qu’on extrait de leur sous-sol. Le filon est riche. «En 2016, la commune s’est retrouvée avec 250 millions de francs Cfa d’impôts et de taxes», révèle Isma Tine, secrétaire municipal de la commune. Le conseiller municipal Aliou Tine y ajoute les taxes journalières sur le stationnement des camions, «estimées à 50 millions de francs par an». En somme, la commune de Ngoundiane tire plus de 300 millions de francs des carrières. Mais quand le budget municipal est adopté, les questions les plus importantes pour les femmes passent à la trappe.
Les femmes opinent
Au Conseil municipal on estime cependant que les préoccupations des femmes ne sont guère laissées en rade, mais qu’il a fallu prendre en charge d’autres priorités qui les concernent par ailleurs. «A notre arrivée à la tête de la commune en 2009 Ngoundiane manquait de tout, souligne le secrétaire muncipal. Notre priorité a été l’électrification et l’accès à l’eau. Aujourd’hui les 15 villages sont connectés au réseau de la Senelec. Sous peu le manque d’eau sera un mauvais souvenir. Il a fallu aussi investir dans l’éducation avec la construction de salles de classes, ainsi que dans les infrastructures de santé, etc.». Le maire de Ngoundiane, Mbaye Dione lui-même, complète : «Depuis 5 ans une subvention annuelle sous forme de prêt revolving non remboursable, d’un montant de 5 millions de francs, est accordée à l’Ugpf de Ngoundiane pour le financement de leurs micro-projets.».
Les femmes opinent devant ces affirmations. Présidente de l’Ugf, Astou Gning précise que «les 5 millions sont distribués aux 25 groupements de femmes. Chaque entité reçoit 500 000, 300 000 ou 100 000 F. Les allocations vont même jusqu’à 35 000 francs selon le nombre d’adhérentes». Conseillère municipale à Ngoudiane Dior et présidente d’un groupement de femmes, Saye Gning révèle avoir reçu 100 000 francs en 2016, partagés entre quelques-unes des membres de son groupement. «Certaines ont reçu 30 000 F, d’autres moins. Elles doivent toutes rembourser la somme plus les 10% d’intérêt au bout de 6 mois». Mais quand on va à Keur Demba Gning, un quartier de Ngoundiane, les 5 millions de francs sont jugés «insuffisants». Fatou Faye, une des bénéficiaires qui devait rembourser 30 000 francs en novembre dernier, en veut plus. «Cet argent nous permet d’entretenir un petit commerce. Mais vu qu’on n’a pas d’autres source de revenus, l’enveloppe est souvent utilisée dans la dépense quotidienne. Du coup, une fois l’échéance arrivée on a du mal à rembourser. C’est mon cas».
Seynabou Gning non plus ne s’en est pas sortie. Ayant bénéficié de 30 000 francs de subvention, son investissement n’a pas été rentable. «J’ai acheté des poussins qui tous sont morts avant même la deuxième semaine». Astou Faye, elle, s’en sort mieux avec le poulailler qu’elle a mis sur pied. «Depuis que j’ai commencé à recevoir cette somme. J’ai arrêté d’aller à Dakar pour y travailler comme lingère».
Saye Gning admet que la subvention de la maire leur a ouvert la voie, mais ne leur a pas permis d’atteindre une autonomie dans leurs entreprises. Conseillère municipale, elle voudrait investir dans le maraichage et dans l’élevage de volaille. Elle dispose d’un terrain, mais n’a pas les moyens de concrétiser son rêve. Et des femmes comme elle, il y en a beaucoup à Ngoundiane. La mairie, dans ses programmes de développement local, leur dispense des formations en collaboration avec des partenaires au développement. «Certaines ont été formées aux techniques de fabrication du savon, d’autres à la transformation des céréales», souligne le secrétaire municipal. Oumy Tine, conseillère municipale et présidente de la Commission sociale et Petite enfance, en fait partie. Formée à la fabrication de savon à base de carotte, d’huile de palme et de henné, elle «attend d’avoir les moyens pour (se) lancer».
Espoir de financements conséquents
A la mairie de Ngoundiane, M. Mbaye Ndione reconnaît la modicité du budget alloué aux femmes. «Si on rapporte ces 25 millions aux 5 000 femmes adhérentes des Gpf, cela peut paraître dérisoire», indique-t-il. La présidente de l’Union des groupements féminins salue cependant cette initiative qui a suscité en elles un esprit d’entreprenariat. «Malgré les difficultés liées au manque de financement, les femmes arrivent à s’en sortir. Dans chaque village il y a un marché entièrement réalisé par l’équipe municipale et cela participe au développement du commerce dans notre localité», témoigne-t-elle. Mais Ypanne Ndiaye estime que l’argent alloué aux femmes depuis des années n’a pas impacté sur leurs conditions de vie. «Ce ne sont pas ces petits crédits qui vont sortir les femmes de la pauvreté», fait-il remarquer. Pour le maire, «les femmes méritent plus mais 25 millions et plus de 5 millions en matériels, c’est quelque chose».
M. Dione, lors de ce conseil, a demandé à la présidente d’organiser une grande réunion avec toutes les femmes pour évaluer l’impact de ces fonds sur les activités des femmes. Une façon de mesurer les effets de cet investissement, mais aussi d’orienter et, au besoin, de changer de stratégie pour plus d’efficacité.
ENCADRE
Les femmes absentes de l’élaboration des budgets
La prise en compte des intérêts des femmes réside d’abord dans leur bonne représentation au sein de l’institution municipale. Car il faut qu’elles soient présentes pour exprimer leurs besoins et les défendre. A Ngoundiane, l’équipe municipale compte 22 conseillères sur 46. Si la parité homme-femme n’est pas respectée, la commune n’est est pas loin. Seulement les conseillères participent plus au vote du budget qu’à son élaboration et à sa planification. Or, pour Seydina Mouhamed Mbaye, spécialiste en finances publiques, chargé des programmes à l’Ong 3D, cette première étape est la plus importante. «C’est l’étape où on collecte les besoins des populations pour ensuite les traduire en budget. Souvent les hommes dament le pion aux femmes car la question budgétaire est très technique et la plupart des femmes n’ont pas le niveau requis.»
Une difficulté qui n’épargne pas Ngoundiane. Les conseillères interrogées disent ne pas être au fait des questions d’élaboration et de planification du budget. Le secrétaire municipal Isma Tine incrimine la parité qui, selon lui, est la «résultante» de cette situation.
Par Ngoundji DIENG