Quand le Mali est à 60,80% de taux de prévalence des mariages précoces, le cercle rural de Diéma pointe à 73,60%. Beaucoup de parents invoquent la pauvreté pour expliquer ce phénomène, mais la pratique est souvent un désastre pour les filles, voire pour l’économie nationale.
On est à 350 kilomètres de Bamako. Dans ce cercle rural de Diéma, localité de la région de Kayes, le Mali se vide de ses ressources humaines. En effet, 4,9% des filles de la circonscription abandonnent l’école au niveau du second cycle. Un retrait qui arrive à un moment où elles commencent à prendre goût aux lettres et à la science, une décision qui s’impose à elles à une période où les contours de leur avenir se dessinent et où leur intelligence commence à s’éveiller au monde. Diéma, au carrefour de Nioro du Sahel qui regroupe 129 villages pour 15 communes rurales, n’est pas le seul chef lieu de cercle du Mali où pareille «hécatombe» est enregistrée, mais c’est une des localités où l’hémorragie est des plus importantes.
A Diéma, quand les parents amènent leurs enfants à l’école pour la première fois, les filles sont plus nombreuses que les garçons. Mais au fur et à mesure que le cycle avance, le nombre de filles recule. Laissant les garçons dans les classes, elles disparaissent dans les liens du mariage.
Dans cette localité, 27% des femmes sont mariées avant leurs 15 ans. Les chiffres s’emballent ensuite et 74% des femmes sont mariées avant d’atteindre 18 ans. Diéma présente ainsi un taux de prévalence de 73,60% en matière de mariage précoce, là où le Mali dans son ensemble pointe à 60,80%. Le pays se positionne ainsi à la deuxième place au niveau ouest-africain derrière le Niger (75%) et pointe à la 4e place au niveau mondial.
La saignée qui vide l’école de ses filles est importante. Elle a poussé le gouvernement à lancer une politique nationale de «Scofi» (scolarisation des filles) à travers laquelle il tente de faire revenir les parents à la raison. Le Directeur du Centre d’animation pédagogique (Dcap) de Diéma, Lamine Coulibaly se souvient d’être intervenu dans plus d’une dizaine de cas pour tenter de retenir sur les bancs des filles qui étaient destinées aux travaux ménagers. Allant même jusqu’à interpeler le Chef de village, «elles sont toutes revenues», clame-t-il. Mais ces succès constituent de faibles acquis à côté du gouffre des déperditions scolaires à l’origine desquelles on trouve souvent une même cause : la pauvreté.
Les causes du mariage précoce et forcé
A Diéma le doyen Yassa Konté a vu «l’eau couler sous les ponts». Les jeunes filles qui ont consommé le mariage sous ses yeux à l’aube de leur adolescence, il ne les compte plus. La plupart ont fini entre les bras d’un émigré, face à des parents qui pensaient que cette union les sortirait de la pauvreté. A 12 ans, Niagalé Konté s’est ainsi retrouvée liée à un compatriote établi en France. Elle en compte aujourd’hui treize et a encore imprimés dans sa mémoire les souvenirs de ce jour où elle a été enlevée de force de l’école, en classe de 7eannée, pour se retrouver avec un homme qu’elle ne verra pour la première fois que deux mois plus tard.
Logée chez le grand-frère de son mari, dans la Commune de Diéoura, à une centaine de kilomètres de Diéma, Niagalé apprend sa vie de femme sans avoir goûté aux fruits de l’adolescence. Pour elle, chaque journée commence par le balayage de la grande cour familiale. Ensuite elle va piler du mil, puis puiser de l’eau pour remplir toutes les bassines de la cuisine et des toilettes avant d’aller aider dans la cuisine. Aucun moment de répit dans sa journée.
En octobre dernier, alors qu’elle avait six mois de grossesse et n’avait pas encore commencé ses consultations prénatales, elle a fui son enfer pour rejoindre ses parents à Diéma. Son mari tient à elle, mais son unique condition pour retourner dans son foyer est de voir son martyr prendre fin.
L’avis des religieux et coutumiers
Un autre drame se conte à Diéma. Fily Konaté, connue pour son intelligence à l’école, étonna un jour son professeur par son absence. Très vite il apprit par ses camarades de classe qu’elle devait se marier. Il se précipita vers la maison familiale où le père lui fit savoir que sa fille était physiquement grande même si elle n’avait que 13 ans et qu’elle devait «honorer ses parents en se mariant avec un émigré établi au Gabon». Les pleurs de la fille n’y ont rien fait.
L’union scellée et le mari reparti au bout de 4 mois de vie commune, elle tomba bientôt malade. Fily avait contracté le sida. Une tragédie pour une enfant qui venait à peine de commencer sa vie. Un drame pour toutes ces mères qui ne peuvent s’opposer au mariage de leur fille de peur de se voir répudier. Car l’argument fatal est souvent vite trouvé : marier sa fille tôt revient à coller à des préceptes religieux.
A la grande mosquée de Diéma, l’Imam Salim Sacko est pourtant formel : «le mariage forcé ne figure nulle part dans le Coran.» Mais il y a aussi la tradition, autre source de référence, qui impose le mariage d’une fille dès qu’elle avait vu ses règles à trois reprises. En milieu Soninké par contre, le mariage dépend de la corpulence de la fille. Mais corpulence ne signifie pas maturité et on ne compte plus ces enfants qui se retrouvent répudiées, vivant avec des fistules pour avoir contracté une grossesse précoce et qui dépérissent pour s’enfoncer dans les travers de la vie.
Le révérend pasteur Ballo de l’église protestante de Diéma rappelle que «les principes de la religion sont proches de l’éducation sociale» et souligne que la religion chrétienne n’évoque point le mariage précoce.
Président du Réseau des communicateurs traditionnels (Recotrade) de Diéma, le griot Alpha Diombana s’emporte aussi contre les mariages précoces «c’est à 16 ans qu’on mariait nos filles. La pauvreté s’est installée et on les unit de plus en plus jeunes. Les parents ont peur de voir leurs filles tomber en grossesse hors mariage. Mais quand les maris émigrés retournent en France ou ailleurs et les laissent ici, elles deviennent des objets sexuels pour les frères et autres parents du mari restés au village. Beaucoup d’enfants ont été conçus à travers l’adultère».
Mais il avertit d’un autre danger qui surgit là où les parents ne l’attendaient pas : «On prône la nécessité d’amener les filles à l’école, mais là-bas aussi on se retrouve avec ces enseignants qui les engrossent. Donc les parents n’ont pas autre choix que de les donner en mariage le plus tôt possible». En écho, la griotte Nani Dansira opine «c’est surtout par crainte des grossesses non désirées que les parents donnent leurs enfants en mariage. Si une solution est trouvée à ce phénomène, la pratique s’arrêtera d’elle-même».
La part des services techniques locaux, associations et ONG
A la Coordination des associations féminines (Cafo), on préfère attaquer la question des mariages précoces de front. Pour la présidente, Mme Diallo Mariam Soucko, «la solution la plus radicale est de porter plainte». Elle se souvient du cas d’une élève que ses parents voulaient donner en mariage, «l’affaire a été portée devant la gendarmerie qui a tranché en faveur de la fille».
Les plaintes ne sont pas nombreuses, mais à chaque fois qu’un cas se pose, elle déclenche l’alerte au niveau des services spécialisés, notamment le ministère de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille, la Direction du développement social ainsi que l’Ong Iamaneh (voir encadré).
A Diéma aussi, le représentant du ministère de la Promotion de la femme a mis en place une procédure de veille. Aux vingt-deux Directeurs techniques de centres de santé communautaire (Cscom) il est demandé de recenser les accouchements de filles de moins de 17 ans. De janvier à septembre dernier,«une vingtaine d’accouchements de filles victimes de mariage précoce et n’ayant pas atteint 16 ans ont été enregistrés dans chacune des 22 localités».
Au village de Madiana Sacko, le représentant de la Direction nationale du développement social, M. Kalifa Diarra, se souvient du cas d’une fille de 17 ans. Donnée en mariage à un homme très âgé, elle l’a poignardé pendant la nuit de la noce. Le mari se trouve actuellement entre les mains de la justice, «je travaille avec le ministère de la Promotion de la femme et avec le tribunal. Le président du tribunal n’est pas tout le temps disponible, mais on essaye de faire ce qu’on peut», explique-t-il.
Quatrième pays ayant la prévalence la plus élevée au monde en matière de mariage précoce, le Mali, avec 55% de filles mariées avant 18 ans, fait face à une problématique du mariage des enfants dont les conséquences sont multiples. Dans les milliers de filles qui en sont victimes il y a des intelligences qui auraient pu participer au développement socioéconomique du pays. Pire, on prive ces jeunes de la jouissance d’un droit fondamental d’épanouissement, pour elles-mêmes, mais aussi pour leurs familles et leurs communautés.
Réalisée par F. Mah Thiam Koné
(avec le soutien de l’Institut Panos Afrique de l’Ouest, à la suite d’un atelier de formation)
ENCADRE
Des chiffrent qui parlent
L’Enquête Démographique de Santé du Mali (EDS V) réalisée en 2012- 2013, montre que 50 % des femmes entre 15 et 49 ans ont été mariées avant l’âge de 18 ans. La même enquête révèle que 20% des filles sont mariées avant 15 ans et 50% avant 18 ans. A 16 ans, 6,8% des filles sont enceintes de leur premier enfant et à 19 ans, 58,7% sont déjà mères.
Les conséquences de ces mariages précoces pèsent sur l’éducation des filles. En 2014, 60% des 999.866 enfants de 7 à 12 ans qui n’étaient pas scolarisés au Mali étaient des filles. Sur le plan de la santé les effets sont autant désastreux. Chez 37% des femmes ayant eu leur premier enfant avant l’âge de 18 ans, on note des cas de fistule, de prématurité, voire de décès maternels précoces. Ainsi, 15% des décès maternels surviennent chez les adolescentes.
Kayes reste la localité la plus affectée par les mariages précoces. Zone d’émigration par excellence, c’est aussi la zone où les parents enfreignent le plus les normes relatives au mariage des enfants. Quand la loi fixe à 18 ans le seuil pour une fille, à 13 ans la plupart d’entre elles sont déjà mariées.
FMTK